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« Affaire » Anelka : médias et politiques nous refont le coup de la Cinquième Colonne

mardi 22 juin 2010

On savait déjà que le football, comme bien d’autres sports populaires, était un concentré délétère de passions nationalistes et chauvines, de pulsions de violence fort mal canalisées (il suffit de voir non seulement le comportement des hooligans organisés, mais aussi tous les incidents qui suivent la fin des matches) visant à renforcer le mythe de l’unité nationale, de la communion de toutes les classes, agenouillées devant l’autel de la Patrie qu’il faudrait défendre... contre les autres équipes – traduire contre les autres peuples, les autres Etats, les autres nations, les autres ethnies, au choix.

À cet égard il est intéressant de constater que les néo-conservateurs américains les plus bovins mènent en ce moment campagne contre le football européen, considéré comme "anti-américain", et que les plus délirants d’entre eux n’hésitent pas à affirmer sérieusement qu’à l’origine ce sport était pratiqué par les Indiens d’Amérique du Sud qui jouaient à la baballe avec la tête de leurs ennemis…

Mais revenons à la Gaule du XXIe siècle et au déferlement de réactions politiques face aux insultes de Nicolas Anelka contre son entraîneur, Raymond Domenech. Cet incident sans intérêt, devenu une affaire politique nationale, a au moins un mérite : montrer que la plupart des hommes politiques et des intellectuels médiatiques français ne peuvent résister à la tentation de puiser dans l’imaginaire xénophobe et le mythe de la « Cinquième colonne ».

Alain Finkielkraut (on n’ose évoquer sa « pensée » tant elle est vulgaire) avait déjà lancé ce thème en expliquant que l’équipe de France était « Black, Black, Black » au journal "Haaretz" en décembre 2005. En se focalisant sur la couleur de la peau des joueurs français, il se contentait de reprendre à destination des milieux dits "cultivés", un leit-motiv sans cesse ressassé par le Front national : celui de la disparition de l’identité française, symbolisée par sa couleur blanche (car n’en déplaise à ces messieurs, si leur pensée est incolore, leur peau ne l’est pas – d’où le ridicule de l’expression qu’ils utilisent pour désigner autrui : "un homme de couleur"), et de sa cinquième colonne « black », comme ils disent….

En juin 2010, le sieur Finkielkraut a été doublé, dans la course à la xénophobie, par Pierre Cassen, membre du groupuscule Riposte laïque, lors du Rassemblement xénophobe qui s’est déroulé le 18 juin 2010 Place de l’Etoile (cf. notre article sur ce site : "Les 22 salopards de l’apéro saucisson"). En effet, ce bouffeur de musulmans, de Chinois, d’Africains et d’Arabes (comme en témoigne le site qu’il contribue à animer depuis trois ans) dénonça dans son intervention ces joueurs « qui se foutent du maillot qu’ils portent », ce qui en bon langage subliminal signifie qu’ils ne respectent pas les couleurs du drapeau français et ce qu’elles symbolisent – et la couleur de la peau et la religion de ces joueurs expliquaient certainement cet irrespect, pour les auditeurs de ce sinistre individu. Ces mêmes auditeurs qui criaient "Bleu, blanc, rouge, la France aux Français" pour soutenir Fabrice Robert, son pote du Bloc Identitaire... Mais Cassen n’est pas suffisamment téméraire pour dire publiquement le fond de sa pensée et risquer une condamnation pénale pour incitation à la haine raciale.

Le lendemain Finkielkraut, avec évidemment beaucoup plus de succès merdiatique par rapport au minuscule Cassen, en remit une couche en dénonçant la « génération caillera », et autres élucubrations. Le 21 juin sur France Inter, il compara successivement les joueurs de l’Equipe de France aux « Soprano » (feuilleton américain mettant en scène des tueurs cyniques et sadiques), à la Mafia, à des individus « odieux » et « décérébrés », des « voyous milliardaires », une « bande de onze petites frappes » et « des gens qui se foutent de la France et qui se sont émancipés de la morale commune ».

Son ressentiment, sa haine de petit bourgeois réactionnaire contre « l’esprit des cités » censé être responsable de tous les maux – de la crise de l’Ecole à celle du sport en passant par la Société – seraient risibles s’ils relevaient des propos de comptoir de n’importe quel frustré, imbibé d’alcool, crachant sa bile dans l’anonymat d’un café.

Ce « patriote français » qui prétend savoir penser et se servir de son cerveau mieux que les lascars des cités est pourtant d’une ignorance crasse.

Il ne s’est même pas posé quelques questions élémentaires : à quel âge sont recrutés les prétendus « jeunes » qu’il incrimine (rappelons qu’ils ont entre 23 et 32 ans, mais que la majorité ont plus de 28 ans !) ? dans quelles structures sont-ils formés ? quels sont leurs professeurs et leurs mentors ? S’il s’était posé ces questions toutes simples, il aurait lui-même compris qu’un vrai "jeune" qui fait carrière dans le foot (un ado ou un préado en clair), fut-il originaire « de banlieue », rompt très tôt (entre 12 et 15 ans) ses liens avec son milieu familial et social pour être pris en charge par des structures qui n’ont rien de "cailleresques", mais sont au contraire extrêmement élitistes et disciplinaires, comme les aime cette vieille baderne de Finkielkraut. S’il y a quelque chose qui pourrit le football, ce serait plutôt l’argent des sponsors, les manoeuvres des politiques et la mentalité généralement militaire des entraîneurs, ou l’individualisme forcené que prône la société bourgeoise... Mais notre intello réac n’a rien à dire à ce sujet.

On retrouve la même haine de classe chez un certain Jean-Paul Brighelli, auteur d’un livre intitulé « La Fabrique du crétin ». Devant un tel spécialiste de la connerie, on ne peut que s’agenouiller : les joueurs seraient des « petits caïds » (le vocabulaire des réacs insinue toujours que les petits chefs de bande auraient une origine étrangère), des « analphabètes », des « petites frappes de banlieue », des « Huns » (l’image d’Attila et de ses envahisseurs hun est un vieux thème de la droite et de l’extrême droite occidentale), « trente barbares ».

« Moins un, peut-être », nous dit ce professeur au langage fleuri. « Un garçon d’un autre milieu dont le père fut prof de maths ». Au moins le mépris des prolétaires est net et sans bavures chez le petit bourgeois Brighelli. En dessous de prof, y’a que des sous-hommes, bons à aller aux putes, comme nous le verrons un peu plus loin. Autre critère de « civilisation »selon lui : « il sort avec la fille de Villepin au lieu de se taper une radasse décolorée »... Et de conclure avec une vulgarité digne d’un Coluche ou d’un Bigard (l’usage du terme « radasse » par un intellectuel montrant bien quel mépris cet individu a de la gent féminine) : « Ribéry serait-il du genre à croire qu’une pipe est meilleure en diamants qu’en bruyère ? »

Quand un écrivain, un peintre ou un musicien se « tape » (on remarquera l’élégance du style et de la « pensée » de Brighelli) des prostituées (des dizaines d’artistes ou d’intellectuels célèbres pourraient être ici cités), il se livre sans doute à des recherches sociologiques ou il est en quête d’inspiration pour son oeuvre ?

Quand il s’agit d’un footballeur issu des "cités", bien sûr, ce n’est qu’un méprisable amateur de "pipes"....

Grattez le vernis d’un prof chauvin et conservateur, et vous trouverez bien vite un loustic encore plus rase-bitume que ceux qu’il accuse d’être des « barbares »...

Depuis l’Affaire Dreyfus, les politiciens et les intellectuels français ont toujours aimé avoir des boucs émissaires pour attiser les passions populaires. Au XIXe siècle c’était les Juifs censés être des « étrangers », des "apatrides", et surtout des « agents de l’Allemagne », même si leurs familles vivaient en France depuis des siècles, puis les xénophobes, de gauche et de droite, trouvèrent d’autres cibles, les Italiens, les Polonais, les Espagnols, etc.

Aujourd’hui, ce sont les « jeunes des banlieues » de préférence d’origine africaine ou maghrébine et s’ils sont musulmans (ce qui est apparemment le cas de quatre joueurs de l’Equipe de France) qui servent de cibles aux chauvins, aux nationalistes, aux xénophobes de gauche ou de droite, tous unis dans le culte de la Nation.

Y.C.

Revue "Ni patrie ni frontières" (site mondialisme.org)

22/06/2010

P.S

Les médias et leurs "penseurs" se sont beaucoup scandalisés des rémunérations des joueurs et des avantages matériels dont ils bénéficient. On ne les a pourtant jamais entendu critiquer la situation du football et des autres sports, quand une équipe de France était gagnante. Pas plus qu’ils ne remettent en cause les salaires des ministres, des PDG, des sénateurs et des députés et tous les avantages qu’ils cumulent – à commencer par des retraites scandaleusement élevées.

Les intellectuels parlent souvent de « populisme » quand ils dénoncent (justement) le discours haineux du Front national mais cette Coupe du monde de football a été pour eux un vertigineux exercice de populisme et de démagogie, la cible étant cette fois les jeunes d’origine populaire et étrangère qui ont « réussi » socialement en devenant des sportifs professionnels.

Sur le capitalisme français et son Etat flotte encore un léger parfum aristocratique (cf. l’équipe de « gentlemen » que réclame l’inénarrable Finkielraut) et les "élites "politiques et intellectuelles ne réussissent que très difficilement à cacher leur mépris du peuple, quand quelques individus issus des classes exploitées parviennent à grimper – un peu – dans l’échelle sociale.

Pour le reste, nous ne sommes pas naïfs. Qu’ils soient footballeurs ou rappeurs, comiques ou acteurs de cinéma, présentateurs de télé ou entrepreneurs, les célébrités d’origine prolétaire sont toujours d’excellents avocats du capitalisme dès qu’ils commencent à toucher le pactole....

PPS du 23 juin 2010

Sur la chaîne parlementaire LCP, d’autres hommes et femmes politiques ont communié à cette occasion dans le chauvinisme : Anne Hidalgo (PS) jugea les joueurs "indignes" ("ils se foutent de tout", "n’ont aucune valeur", dit-elle tout en expliquant qu’elle n’aime pas les lynchages...), Renaud Muselier considéra qu’il fallait virer les meneurs qui ont "craché sur le drapeau, craché sur leur maillot" et garder les éléments sains (selon une bonne logique policière qui ne nous étonne pas dans la bouche de ce monsieur). Benhamias (Modem, ex-Verts) en rajouta bien sûr une couche....

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