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Particularités des luttes sociales en France en 2008 et 2009

vendredi 21 mai 2010

Cet article est paru dans Echanges n° 132.

Avant de décrire les luttes en France des deux dernières années, 2009 et 2010, il faut considérer d’une part la structure de l’économie française, d’autre part les particularités des conditions d’exploitation de la force de travail. Et il faut y ajouter la spécificité bien française des médiations syndicales.

Si l’on observe les secteurs d’activité, l’industrie emploie en 2009 encore près de 25 % de la population active, les services plus de 70 %, l’agriculture moins de 4 % (ces chiffres définissent aussi la part de ces secteurs dans le PIB, sauf pour l’agriculture qui ne compte que pour 2,2%). Ces taux ne sont pas des absolus car, pour certaines catégories, les frontières sont mal définies ; par exemple on trouve dans les services une importante catégorie « services à l’industrie » qui manifestement serait à classer dans l’industrie.

Si l’on considère la répartition des travailleurs dans chacun de ces secteurs, on doit préciser que :

– le secteur primaire, industries extractives dont les mines de charbon et de fer, a presque totalement disparu. La production et la distribution d’énergie (électricité, gaz, pétrole) sont particulièrement concentrées et encore très proches de l’Etat ; – le secteur de l’industrie lourde (sidérurgie, autres métaux) est très concentré et aux mains de multinationales : Arcelor Mittal pour l’acier, Rio Tinto-Alcan pour l’aluminium et a subi dans les dernières décennies d’importantes fusions, restructurations et fermeture de sites ; – l’industrie métallurgique concerne principalement l’automobile (avec deux multinationales : Renault-Nissan et PSA), l’aviation, électronique et armement (à l’échelle européenne, très concentrés et proches des Etats européens, à la fois comme actionnaires et comme clients) ; – l’industrie agro-alimentaire est particulièrement développée, l’agriculture bénéficiant de protections qui font de l’agro-alimentaire un des principaux exportateurs ; – mis à part les transports routiers où le privé domine, les transports (maritimes, ferroviaires, aériens) sont toujours très proches de l’Etat ; – la distribution est aussi très concentrée avec la présence de multinationales ; – le secteur public reste particulièrement important par l’ensemble des fonctionnaires (dont l’enseignement public, les services de santé) et certaines industries (construction navale militaire, arsenaux) ; – le secteur financier (banques et assurances) est aussi très concentré, à la fois au niveau européen et multinational, et est également proche de l’Etat.

On se trouve donc en présence de nombre de secteurs (fonction publique, enseignement, santé, énergie, transports) pour lesquels l’impact de la crise n’est pas particulièrement sensible, sauf par le canal de difficultés budgétaires. Situation qui entraîne de grandes différenciations dans les luttes qu’il devient impossible de définir d’une manière globale, d’où des ruptures de solidarité entre les différents secteurs.

Depuis des années une grande partie de l’industrie, des services et même des administrations de l’Etat ont eu recours non seulement à la précarité de la main-d’œuvre (intérim, temporaires, temps partiel) mais aussi à la sous-traitance. Cette dernière pratique était particulièrement dangereuse pour les travailleurs concernés, d’autant plus que souvent cette démarche s’associe avec des projets de privatisation et/ou de la fin des monopoles d’Etat. D’une part comme les marchés de sous-traitance sont remis aux enchères périodiquement au moins offrant avec des cahiers des charges de plus en plus rigoureux, lesdits travailleurs subissent des pressions sur les salaires et sur leurs conditions de travail ; d’autre part, si leur employeur perd son marché de sous-traitance au profit d’un concurrent, ceux qu’il exploite peuvent se trouver licenciés du jour au lendemain sans indemnité. L’ensemble de ces formes annexes d’exploitation de la force de travail constitue des variables d’ajustement et permet aux entreprises de fonctionner à flux tendu pour tous les facteurs concourant à la production, y compris la force de travail.

Toute une législation sur les différentes formes du contrat de travail a été mise en place pour légaliser ces pratiques. Elle permet aux entreprises d’avoir une flexibilité totale quant aux effectifs de travailleurs exploités mais accorde également un minimum de garanties pour éviter les conflits.

De fait, une série d’amortisseurs permettent d’éviter les conséquences trop brutales d’un licenciement. Tout travailleur licencié peut obtenir, en fonction de sa situation avant licenciement, jusqu’à deux années d’indemnisation (portées à trois à partir de cinquante ans) variable d’après son salaire. Il conserve également le bénéfice de prestations sociales du régime général et sa retraite continue de se constituer.

De plus, à la fin de son indemnisation comme chômeur, comme pour toute personne n’ayant aucun revenu, il a droit à une indemnité mensuelle égale à la moitié du salaire minimum, au remboursement d’une partie du loyer, à diverses indemnisations locales et à une couverture maladie gratuite. Mais ces « avantages » font de plus en plus l’objet d’adaptations permettant aux entreprises d’utiliser du travail de plus en plus flexible à moindre coût. Dans cette période de crise, ce sont bien évidemment les marginalités d’ajustement de la force de travail qui sont d’abord touchées de plus en plus largement à mesure que la crise s’approfondit, pour finir par toucher l’ensemble du cœur de la main-d’œuvre, les travailleurs non précaires.

Un bon exemple de cet ensemble peut être donné par l’industrie automobile, qui reste en France, constructeurs et sous-traitants compris, une des principales activités industrielles. Les principaux constructeurs, Renault-Nissan et PSA, ont en France plusieurs usines de montage approvisionnées par une foule de sous-traitants, tous spécialisés sur une ou plusieurs pièces détachées. Ces usines de montage fonctionnent avec trois types de travailleurs : des intérimaires, des précaires à contrat à durée déterminée et des salariés permanents. En cas de ralentissement des ventes et de la production, les intérimaires sont licenciés les premiers. Puis ceux dont le contrat est à durée déterminée ne voient pas leur contrat renouvelé.

Le corps principal de la force de travail, avec un contrat permanent (contrat à durée indéterminée), pourrait être licencié pour raisons économiques, mais il s’agit pour une bonne part de travailleurs qualifiés et formés qui manqueraient à l’entreprise en cas de reprise ; d’autre part ce type de licenciement est très réglementé et coûteux ; il dépend de l’adoption par le comité d’entreprise d’un plan social comportant indemnisation et contribution à un reclassement ou à une formation, et est souvent une source de conflits qui peuvent obérer la marche de l’entreprise. Pour éviter d’avoir à se trouver dans une telle situation, ces entreprises ont élaboré avec les syndicats un système qui permet également l’adaptation de cette force de travail aux fluctuations de la production. Non seulement la direction peut jouer sur le nombre des équipes (c’est souvent la main-d’œuvre précaire variable qui en fait les frais), mais surtout sur les journées chômées, indemnisées jusqu’à 80 % du salaire ; ces périodes chômées payées ont pu durer jusqu’à plusieurs semaines.

L’ensemble de ce système a fait qu’il n’y a pas eu de conflit majeur dans les usines automobiles françaises, même au plus fort de la crise.

Seule exception : en 2007, une grève de six semaines à l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, banlieue nord de Paris), sur le montant de l’indemnisation et la durée du chômage forcé.

Il n’en a pas été de même chez les sous-traitants. Chez la plupart d’entre eux, qui emploient également des intérimaires et des précaires à contrats à durée déterminée, la main-d’œuvre permanente ne bénéficie d’aucune garantie en dehors des prestations légales, et les salaires ne sont souvent guère supérieurs au salaire minimum (1). Les journées chômées ne sont pas indemnisées et les indemnités de licenciement réduites au strict minimum légal.

Un autre facteur va jouer dans la radicalisation des luttes en 2008 et 2009 : la plupart de ces sous-traitants de l’automobile sont des entreprises petites ou moyennes (entre 50 et 300 travailleurs) souvent « délocalisées » en France même dans des petites villes, voire des bourgs ou des villages dont l’usine est la seule activité, faisant vivre directement ou indirectement l’essentiel de la population et alimentant les budgets communaux destinés aux services publics. La fermeture de cette seule usine est d’autant plus durement ressentie qu’une bonne partie des ouvriers, parfois de longue date, ont une famille, se sont endettés pour avoir un logement et, pour des raisons familiales, peuvent difficilement rompre avec cette sédentarisation. Cette situation explique d’une part la revendication commune en cas de fermeture de l’usine : augmenter sensiblement les indemnisations et d’autre part les méthodes de lutte plus radicales dans une sorte d’autonomisation de la lutte.

Ce sont les ouvriers des sous-traitants de l’automobile qui vont fournir l’essentiel des luttes radicales 2008-2009. Pourquoi ?

Parce que c’est ce secteur qui va supporter le plus durement le poids de la crise. La sous-traitance touche à la fois la métallurgie, l’électronique, la chimie des plastiques et de la peinture, les pneumatiques : l’ensemble du secteur industriel. Souvent, un des clients principaux, celui qui fait tourner la boîte, est un des constructeurs français ou étranger établi en France ; cela explique la grande diversité des entreprises qui vont connaître ces conflits radicaux. Ces constructeurs vont profiter de la crise et des structures d’organisation du travail mises en place pour rationaliser la sous-traitance et éliminer celles des entreprises qui pour diverses raisons ne peuvent se plier aux nouveaux impératifs de leur client. D’autre problèmes peuvent se greffer sur cette situation : une partie de ces sous-traitants sont de petites entreprises familiales qui ne peuvent faire face à la perte d’activité car elles ne disposent pas de fonds propres et que les restrictions des crédits bancaires les empêchent d’emprunter ; une autre partie est tombée entre les mains des fonds de pension étranger ou de multinationales qui les ferment à cause de la chute de rentabilité.

La liste des méthodes de lutte utilisée pour tenter d’obtenir plus d’indemnisation au delà des indemnités légales en cas de licenciement économique est à la fois aussi diverse que dans ses atteintes à toute légalité.

Si l’on devait en dégager un caractère commun au-delà de l’unique revendication d’indemnisation, c’est l’unanimité de l’ensemble des travailleurs concernés dans le dépassement de toutes les structures légales de médiation des conflits (y compris par les sections syndicales de base) et la pratique sans problèmes, de l’illégalité. Ce dépassement signifie objectivement une atteinte aux fondements mêmes de la société capitaliste, bien qu’il ne soit pas vécu comme tel mais comme un simple moyen d’atteindre le but fixé qui peut paraître terre à terre et loin d’un objectif révolutionnaire quelconque.

ATTAQUES CONTRE LA PROPRIÉTÉ

– L’occupation a été en général la première réponse à la fermeture, d’abord pour avoir une base d’action mais aussi pour empêcher le déménagement du matériel et/ou du stock de produits déjà fabriqués. Dans les cas où l’entreprise a obtenu un jugement d’expulsion, des piquets de grève ont tenté de prévenir tout déménagement.

– La saisie de stock de produits déjà fabriqués s’est accompagnée parfois de menace de destruction de cette marchandise, ce qui fut exécuté au moins dans le cas de la fonderie Rencast à Thonon (Haute-Savoie), un sous-traitant de Renault et PSA. Pour contraindre ces clients de participer à leur indemnisation, les ouvriers remirent dans le four pour fusion plusieurs tonnes de pièces destinées à PSA – et obtinrent une prime de 30 000 euros en sus des indemnités et le paiement des jours de grève. Il y eut aussi une usine où des machines furent détruites. Dans d’autres cas, la menace de déverser dans des rivières des produits dangereux stockés dans l’usine reprenaient les circonstances de la lutte de Cellatex à Givet (Ardennes) (2), qui avait connu un début d’exécution assortie d’une menace de faire sauter une usine et tout un quartier de la ville.

– La destruction de matériel peut être reliée aux menaces de faire sauter toute l’usine – jamais exécutées, bien que des dispositifs de mise à feu aient été installés.

ATTAQUES CONTRE LES DIRIGEANTS

Il y a eu une progression dans ces attaques : – les discussions orageuses dans les comités d’entreprise examinant des conditions du licenciement ; – le blocage des réunions de ces comités assiégés par les travailleurs, et la séquestration de dirigeants depuis quelques heures jusqu’à plusieurs jours (tel François-Henri Pinault qui, bloqué dans sa voiture, dut être libéré par la police) ; – des projectiles divers ont été lancés contre des dirigeants, dont certains ont été molestés.

OCCUPATION DES ESPACES PUBLICS ET DE BÂTIMENTS SYMBOLES DE L’ÉTAT

– Impossible de compter (3) les blocages de voies de communications routières, ferroviaires ou les manifestations devant les bâtiments officiels. – les travailleurs de Continental de Clairoix (Oise), descendus à Paris, voulaient marcher sur l’Elysée mais stoppés par la police ils bloquèrent avec des barrages de pneus enflammés une des principales artères de la capitale ; – l’occupation et le saccage de la sous-préfecture, symbole de la présence territoriale de l’Etat, à Compiègne, par les mêmes ouvriers de Continental, est un exemple unique, mais qui fit beaucoup de bruit.

Une autre caractéristique commune de ces luttes est qu’aucune d’elles n’a comporté la revendication de non-fermeture du site, encore moins la reprise de la production par les travailleurs eux-mêmes en autogestion.

La revendication d’autogestion est restée totalement absente, même si parfois la mauvaise gestion a été reprochée aux dirigeants et même contestée devant les tribunaux. Ce n’est pas un hasard. Tout comme la radicalité des luttes est venue de la situation spécifique des usines considérées et non d’une « conscience » quelconque d’un combat pour une autre société, la demande d’une simple indemnisation et rien d’autre est venue de ce qu’ils savent bien que leur activité est un simple maillon dans une chaîne de production, et que leur production, même autogérée, ne peut être utilisée autrement que dans cette chaîne et est dépendante d’un procès totalement capitaliste auquel ils ne peuvent se soustraire.

Une autre conséquence de cette radicalité a été la matérialisation de la distance entre les appareils syndicaux et le mouvement de base. Il est devenu évident que la plupart de ces luttes venaient de réactions autonomes de base, y compris de toutes les sections syndicales d’entreprise, pour aller au-delà des obligations légales auxquelles se cantonnaient les appareils. Mais en outre, souvent, les militants de base se sont plaint ouvertement d’avoir été abandonnés par les bureaucraties syndicales, avec des propos parfois très injurieux et accusateurs pour les dirigeants. Des sondages effectués pendant cette période sur la légitimité de cette radicalité des luttes ont montré que près de 80 % des enquêtés donnaient raison aux travailleurs de se défendre de cette façon. On peut penser qu’une telle opinion reflète un mécontentement général qui forme la toile de fond sur laquelle s’inscrivent ces luttes, créant une sorte de consensus radical qui n’arrive à s’exprimer que dans de telles poussées ponctuelles, mais qui en quelque sorte les autorise et les soutient.

Les centrales syndicales sont bien conscientes de ce potentiel larvé de combativité qui, s’il se généralisait, les placerait dans une position délicate quant à leur fonction dans le capitalisme : toutes unies, elles ont organisé des journées d’action avec des manifestations à la fois pour faire croire qu’elles prennent en charge ce mécontentement diffus mais en même temps ne cherchent par la répétition de manifestations qu’à l’empêcher de se polariser sur ces conflits radicaux susceptibles de se généraliser.

Le secteur du bâtiment et des travaux publics a lui aussi connu un déclin significatif. Il s’agit là encore d’une activité avec de très grosses entreprises, souvent multinationales, mais qui emploient une multitude de sous-traitants. Ces sous-traitants utilisent beaucoup d’immigrés sans papiers, exploités souvent au jour le jour. Ces derniers sont bien sûr les premiers à être victimes de la crise. Là, la lutte ne s’est pas polarisée sur des questions d’indemnisation mais sur une régularisation, l’attribution de permis de séjour permettant de chercher ouvertement du travail et d’échapper au harcèlement policier. Bien que diffus, ce courant revendicatif est assez fort pour que les syndicats, notamment la CGT, tentent de l’utiliser et de le canaliser. Il y a eu ainsi deux vagues revendicatives qui se sont exprimées dans des grèves, des occupations de bureaux, de chantiers et même, devant les atermoiements syndicaux, l’occupation pendant près d’un an d’une annexe de la Bourse du travail à Paris.

Il est difficile de décrire les péripéties de ces luttes et les manipulations entre autorités et syndicats. Les résultats, y compris ceux de la seconde vague, toute récente et qui s’éternise encore en avril 2010, sont dérisoires quant à l’objectif recherché. Si le mouvement des sans-papiers peut être mis en parallèle avec celui de la sous-traitance automobile par son origine dans la crise, les travailleurs concernés ne disposent pas de moyens similaires de pression, qui leur sont de plus interdits en raison de la fragilité de leur position sociale. Même si ces deux catégories de lutte ressortent de la même crise économique, à aucun moment il n’y a eu de jonction entre ces luttes, par trop disparates et concernant des couches très dissemblables du prolétariat.

On peut se demander si la temporisation syndicale n’a pas entraîné la disparition des conflits radicaux depuis le milieu de 2009. En fait, il semble que cette étape de la restructuration du secteur automobile ait été franchie par l’élimination des entreprises les moins compétitives sans trop de mal pour le capital et l’ordre social, malgré la radicalité de conflits ponctuels.

Reste le problème global de la chute de l’activité économique qui touche l’ensemble des industries, bien qu’inégalement, avec son cortège de licenciements (le taux de chômage ne cesse de s’accroître) qui donne corps à ce mécontentement diffus que nous avons évoqué. Le problème essentiel (qui n’est pas seulement celui de la France) est de savoir pendant combien de temps les amortisseurs sociaux décrits ci-dessus (4) pourront contenir un conflit plus général latent et faire reconnaître définitivement l’incapacité des politiques à trouver des réponses économiques à la crise, l’impossibilité de tout réformisme et de toute forme de médiation des conflits sociaux. Le financement desdits amortisseurs tient d’un côté à la possibilité de continuer à prélever une part de la plus-value engendrée par l’activité économique (impôts et cotisations sociales) et d’un autre côté à la durée de la crise car le plus important de ces amortisseurs, l’indemnisation du chômage, est limitée dans le temps (au maximum trois années).

En 2010, plus d’un million de chômeurs perdraient leur indemnité de chômage et 600 000 d’entre eux, pour diverses raisons (dont le travail du conjoint) tout droit à une aide sociale quelconque ; des aménagements dont l’« allocation équivalent retraite » ou une allocation spéciale pour les chômeurs en fin de droits n’ont été instaurés récemment qu’à titre temporaire. Depuis des années déjà, des réductions d’avantages sociaux ont peu à peu rogné non seulement tout ce qui est salaire différé, mais aussi les salaires directs et les emplois jusqu’ici protégés.

Le mécontentement n’est pas seulement celui des travailleurs du privé mais aussi celui du secteur protégé des fonctionnaires (qui en France ne concerne pas seulement les administrations de l’Etat mais toute l’éducation et une bonne partie du secteur hospitalier), où toute une série de réformes visent à réduire les dépenses budgétaires en limitant le nombre des emplois (non-remplacement des départs à la retraite), ce qui augmente la charge individuelle de travail, et en diminuant les salaires. Le vieillissement de la population, l’augmentation constante du nombre des chômeurs et des allocataires sortis de l’indemnisation du chômage, la réduction des recettes fiscales et sociales, forment un réseau de difficultés dont on voit mal comment elles pourraient se résoudre sans une explosion sociale.

Plus récemment, si quelques conflits ont prolongé la vague des années 2008-2009 contre les fermetures d’entreprises, on a vu apparaître d’autres conflits portant sur des revendications de salaires et touchant principalement de petites entreprises. Non seulement ces conflits traduisent une baisse du niveau de vie telle que la crainte du chômage ou de la réduction d’activité n’est plus génératrice d’une acceptation des conditions présentes d’exploitation, mais ils disent aussi que les travailleurs ne croient plus aux « journées d’action » syndicales organisées de temps à autre pour prévenir une flambée sauvage de protestation.

On peut d’autant plus regarder ces conflits dans une telle perspective que certaines de ces grèves reprennent les moyens radicaux d’action développés dans la période précédente. Cette radicalité est apparue aussi dans des entreprises nationales où la présence syndicale permettait decontrôler des mouvements d’ensemble ; là aussi cette radicalité s’est exprimée dans des secteurs spécifiques au sein d’unités économiques plus vastes : par exemple la grève du RER A (5) ou la grève récurrente du secteur sud-est de la SNCF, ou la séquestration de dirigeants dans des hôpitaux. Pour se limiter à ces trois conflits, on peut y trouver un caractère commun au-delà de leur combativité, qui tient non dans la revendication salariale mais dans la contestation des décisions touchant l’organisation du travail, autrement dit des décisions politiques. On peut penser que de tels développements, s’ils se confirmaient, pourraient être le prélude d’actions de plus grande ampleur touchant des problèmes globaux d’exploitation du travail qui seraient significatifs du rapport dialectique avec les organes de médiation, les syndicats.

H. S.

(1) Le smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance) est en 2010 de 8,86 euros de l’heure, et de 1 343,77 euros par mois pour une durée légale du travail de 151,67 heures.

(2) Voir « A Givet, une nouvelle forme de la lutte de classe ? » Echanges n° 94 (été 2000), et « De Cellatex à Moulinex, une explosion de violence sociale ? », Echanges n°99 (hiver 2001-2002).

(3) On trouve sur le blog « Le Jura libertaire » une « Brève chronologie des blocages, sabotages et séquestrations » pour les quatre premiers mois de 2009.

(4) Voir aussi « La crise économique : en France, le rôle des “amortisseurs” sociaux », Echanges n° 130 (automne 2009).

(5) Voir La grève du RER A (décembre 2009), Echanges n° 131 (hiver 2009-2010).