1/ Que veulent les syndicats québécois ?
Les profondes transformations politiques et sociales créées par le nouveau développement économique de la mondialisation n’ont pas modifié les syndicats québécois. Ou plutôt si ! Assis sur les confortables et obligatoires cotisations syndicales, gérant les lucratifs fonds de retraite, les syndicats capitalisent, ils distribuent de la richesse à taux fixes tout comme les banques. Tout comme les banques, les ennemies de toujours des ouvriers et des employés, ils parlent de partenariat constructif et acceptent le déficit zéro, les départs "volontaires ", les réductions de salaires comme de coûts de la main d’oeuvre. La concertation leur permet de maintenir l’éternel système du salariat, indispensable prison des travailleurs sans laquelle eux-mêmes n’existeraient pas. Les restructurations et les délocalisations s’accélèrent, malgré cela le partenariat et la concertation sont montrés comme une stratégie définitive et gagnante alors qu’à chaque fois, syndicats/État/patrons s’entendent pour arrondir les angles. Les syndicats ne désirent pas supprimer les fondations d’un système salarial qui gère si harmonieusement cette merveilleuse entente consensuelle. Pourtant dans le contexte de la mondialisation, les syndiqués eux-mêmes ne sont plus protégés, alors qu’en est-il des autres ?
L’heure est encore (pour combien de temps ?) à la résignation, à une résignation que les syndicats ont largement imposée en s’appropriant chaque lutte pour la réduire selon leurs stratégies, en isolant celles qui ne lui accordaient aucun rôle ou en luttant férocement contre les autres qui les niaient. Dans l’indifférence sociale, les centrales syndicales plaident pour des droits de moins en moins respectés, et même oubliés selon le rythme des délocalisations. Cette indifférence est la preuve de l’isolement des centrales qui ne persuadent que leurs militants pour manifester ou pour faire le coup de main. Ces militants n’ont jamais à penser par eux-mêmes - la centrale pense pour eux - Ils n’ont jamais à penser le monde n’ayant aucun projet social susceptible de reconsidérer la condition même du travail, du salariat et des modes de production. Dans ce contexte, les sorties syndicales contre les libéraux (et pourquoi donc jamais les péquistes ?) sont des défouloirs mais sans doute pas l‚expression d’une conscience critique et radicale qui tente de changer le monde pour le bénéfice de toutes et de tous. Tout au plus des petits coups de gueules réformistes, une police d’assurance pour les milliards de la CSN, de la FTQ, pour les finances des syndicats, mais pas d’ennuis pour les patrons, rien qui menace les marchés financiers !
Les syndicats se sont accouplés à l’État-Providence lorsque celui-ci promettait plus de justice sociale, mais maintenant que l’État (du P.Q. au Libéraux) n’a plus les moyens d’acheter sa tranquillité, que les délocalisations créent seulement des actionnaires plus riches et des travailleurs plus pauvres, que l’informatique crée des chômeurs dans tous les secteurs professionnels, le centre de gravité de l’attraction syndicale aurait du se déplacer vers de nouveaux combats, vers un regard critique sur le présent qui se serait traduit par une pratique quotidienne de luttes plus dures, plus nombreuses. Au lieu de cela, les usines disparaissent sans bruit (G.M. par ex.), le monde salarié se modifie de fond en comble dans le désarroi, la précarité devient le lot quotidien ; l’État impose des conditions de travail morcelées aux nouveaux citoyens, aux éternels pigistes flexibilisés de force.
La concertation syndicale est de la collusion.
Encouragés par le gouvernement, les syndicats réduisent les coups de la main d’oeuvre là où ils devraient lutter au coude à coude avec les salariés pour refuser le pouvoir patronal et les plans sociaux de l’État. Ils trahissent leurs syndiqués sans état d’âme (syndicat des infirmières). Ils ont mieux à faire qu’assister les salariés : ils surveillent les rendements miraculeux des marchés financiers sur leurs placements. Leurs portefeuilles se gèrent à Toronto, à New York : les rendements usuraires se satisfont très bien de la mondialisation, ils accompagnent l’abrutissement de la consommation forcée. Qu’est ce que lutter pour des syndicalistes occupés à gérer et à surveiller la spéculation sur les marchés financiers ? Pour les syndicats, la survie de tous les jours et les luttes quotidiennes sont des souvenirs figés dans un temps disparu, les grèves et les luttes des ouvriers du siècle dernier se sont pétrifiées en glorieux drapeaux, en vieux soldat comme Chartrand qu’on exhibe en relique d’un temps dépassé. Alors les travailleurs plient l’échine sous le double poids des syndicats et de l’économie dominante, maintenant confondus et alliés.
2/ Que peuvent les salariés ?
La question est complexe. Il faut éviter les raccourcis faciles, les mots d’ordre simplistes, les actions inadaptées. Nous sommes tous confrontés à l’inertie syndicale. Tous, nous sommes au centre de rapports de forces économiques, sociaux, culturels, que nous n’avons ni construits ni souhaités. Pourtant, il faut un jour franchir la ligne qui délimite le renoncement et le sacrifice et trancher en prenant à bras le corps les conditions inacceptables de nos vies pour les changer. D’autres ont su franchir ce cap dans des conditions historiques différentes où le droit de vote et le droit de grève s’obtenaient sous la menace de la police, sous les tirs de l‚armée. Les temps ont changé, c’est parfois vrai : nous vivons mieux, mais pour quel avenir, en fonction de quel projet. Qu’avons-nous à vivre, qu’avons nous à léguer ? Une mondialisation polluant, aliénant, détruisant, en guerre contre tout ce qui n’est pas elle, aux moyens encore plus redoutables que le capitalisme du XIXe siècle. L’incertitude du lendemain et l’insatisfaction -des corps comme des esprits- se sont répandus partout, dominés par des médias aux ordres, des loisirs artificiels, une consommation forcée, une vie aliénée, terne et appauvrie, alors qu’en elle pourrait s’exprimer ce que tu es, ce que tu caches, et non ce que l’économie érigée en un système unique veut bien que tu sois.
Comment sortir de là ? Il n’y a nulles lois scientifiques ou naturelles qui permettent de supprimer les révoltes quotidiennes, les indignations légitimes. Dans ce monde, chaque individu a raison de se révolter, les raisons ne manquent pas. C’est en cassant la solitude, ce résultat de l’exploitation généralisée, que les révoltes se renforcent, qu’elles deviennent efficaces.
Les syndicats sont nuisibles à l’expansion de la vie libre, ils prolifèrent, entre autres, sur ton salariat et comme il est impossible de détruire le salariat du jour au lendemain ou, pour la plupart d’entre nous de déserter ses conditions de travailleur, une pratique, prudente, consciente et astucieuse, du détournement (de ton travail, des moyens de productions, de leur finalité) peut devenir un moyen ponctuel et efficace de lutte. C’est à toi de voir avec quels outils. Chacun est libre d’accélérer à sa façon le dépérissement de l’économie, de révéler la véritable fonction des organisations syndicales, du salariat et du travail.
Les syndicats imposent leurs conditions ? Détourne les tracts syndicaux, écris les tiens, sabote leurs mots d’ordre, remplacent les par d’autres qui ne parlent ni de déficits zéros ni de système financier mais des luttes, des pertes de salaires, de la frustration de tous, du chef, des grèves, de ta vie et de ceux qui la perdent à travailler. Écris, parle ! Rien n’est ridicule. Écoute ! Regarde ! Tu verras que tes collègues, tes amis, tous espèrent le même changement que toi afin d’accéder à une vie authentique et non plus subie. Crée les conditions de leur complicité active et durable.
Refuse l’embrigadement syndical : joue sur leurs contradictions, elles sont nombreuses.
Les syndicats sont des rentiers parasites. Comment utiliserais-tu ton argent, comment accéder à plus de liberté avec ce qui t’appartient ? Il doit bien y avoir un moyen à ta portée.
Les syndicats n’ont plus de projets sociaux ? Alors c’est à toi de redéfinir tes choix, tes souhaits, de dresser tes perspectives de luttes, d‚élaborer avec d’autres les conditions de ta liberté. Ne crois pas que la lutte des classes ait disparu, les patrons savent bien qu’elle existe encore, les compagnies utilisent les syndicats comme des garde-fous. À l’atelier, au bureau, partout le travail est de plus en plus exigeant, l’intensité du travail est en augmentation, les burn-out quotidiens ; la division du travail est restée partout la même. Le chômage augmente mais les profits boursiers augmentent toujours plus. La déréglementation permet à la classe au pouvoir de récupérer les profits partout dans le monde. Pendant ce temps, les syndicats, garants du partenariat, écrasent les luttes qui ne les servent pas.
Sans toi, les syndicats ne sont rien
De nombreux problèmes sont présents dans ta vie, toujours inchangés. N’attends rien de la grande famille syndicale, organise par affinité des groupes de discussion, il en naîtra toujours quelque chose de nouveau. Ailleurs le patron ne sera pas plus gentil, le syndicat plus serviable. Ailleurs ce sera toujours pareil : la mondialisation est l’expression des défaites passées du monde ouvrier. L’histoire des luttes syndicales est derrière nous. Elle n’a été, au Québec comme ailleurs qu’une pratique sociale autrefois vivante, maintenant à réinventer en dehors des syndicats.
Titus d’enfer - Janvier 2004