Ce texte paru dans Echanges n° 78 (juillet-décembre 1994) – et auparavant dans Etcetera n°9 (avril 1994) fait partie d’un recueil à paraître début mai : Restructuration et luttes de classes dans l’industrie automobile mondiale.
La réponse des travailleurs de la Seat (1) à la fermeture de l’usine de Zona Franca et à tous les plans de restructuration de l’entreprise apporte des éléments pour comprendre à quel moment des relations capital-travail nous nous trouvons.
Il n’y a pas si longtemps, l’affrontement était plus important pour moins que ça. Alors aujourd’hui, avons-nous moins de force, nous intéressons-nous moins à la garantie de l’emploi ? la résignation est-elle plus grande ? la situation, les conditions salariales et celles du travail sont-elles meilleures ? Avons-nous encore plus à perdre ? ... Comprendre ce qui s’est passé durant cette période, ce n’est pas tant de répondre à ces questions mais de les comprendre et de les poser d’une manière intelligible, sans réponse préconçue découlant d’un passé dogmatique ou pédagogique.
Il est difficile d’analyser les comportements ouvriers, d’en définir des étapes, tout autant que de s’abstraire du moi qui observe, du lieu d’où il observe et dans quelles circonstances il observe... tout cela ressortira de l’analyse. Cette analyse, on la tente aujourd’hui suite à une expérience revendicative qui a conduit à l’échec pour ne pas avoir pu modifier, sauf un tout petit peu, les conditions de travail, les conditions d’exploitation de notre force de travail tout au long des quinze dernières années de relations capital-travail. Le sentiment d’échec a été amplifié par le fait de nous savoir moins autonomes, moins capables d’intervenir pour modifier les relations sociales, aussi bien dans la sphère la plus proche que dans la plus lointaine. Par ailleurs, il est difficile dans l’analyse de cette réponse ouvrière, d’en faire une évaluation, d’établir des comparaisons, de discuter de ce qui est en plus ou en moins... Il s’agit plutôt de voir les différences, de les expliquer, de les comprendre. Différences d’époque, de période, de zone géographique. Nous voyons par exemple comment en France on réagit pour bien moins (contre la modification d’un point spécifique du marché du travail), alors qu’en Espagne, aujourd’hui, on se tait pour beaucoup plus (modification totale du marché du travail). Des différences politiques, administratives (aujourd’hui en France, c’est la droite qui gouverne) peuvent aussi expliquer ces différents comportements mais il y a un trait fondamental, inscrit dans une même forme de composition de classe, c’est l’accélération et l’atypisme du processus de prolétarisation à la fin du franquisme.
L’Espagne s’incorpore aux formes démocratiques de domination capitaliste et aussi à son « état de bien-être » au moment où celui-ci commence à entrer en crise en Europe. Cela ne se produit pas dans une période d’expansion, comme cela s’est passé en France, en Allemagne ; au contraire cela se passe dans une période de récession et de crise ; en dix ans, les ouvriers espagnols parcourent le même chemin que les ouvriers des autres pays européens ont parcouru en quarante ans. La prolétarisation est atypique, de faible ampleur, rapide sans laisser la même empreinte qu’elle a laissée dans le mouvement ouvrier des zones centrales de l’Europe, en permettant le retour à des situations impensables dans les autres pays d’Europe, par exemple dans le rôle de soutien que joue aujourd’hui la famille face à la diminution des salaires et au chômage. Ce rôle, la famille ne pourrait pas le jouer dans les pays d’Europe centrale vu qu’elle s’y est désintégrée. Dix années de PSOE [Parti socialiste] au pouvoir, de discours cyniques, d’insistance à nous faire accepter ce qu’il y a de « moins pire », de nous responsabiliser pour la baisse de rentabilité des entreprises, de nous faire intérioriser la logique du profit maximum et de nous faire croire que l’intérêt de l’entreprise est aussi le nôtre. Et aujourd’hui, lorsque ces entreprises ferment leur porte, la conséquence, c’est qu’il apparaît soudain clairement que tout cela n’était que mensonges. Alors les syndicats, les journalistes et tous les spécialistes de « l’ouvrier » accourent et en appellent à l’éthique des entreprises pour qu’elles maintiennent les postes de travail, comme si elles avaient une autre logique que le profit maximum, faisant ainsi une affaire morale ce qui est une lutte de classe.
La Seat : un peu d’histoire
La Seat est née dans les années 1950, chevauchant le boom économique dans une période d’expansion et de généralisation de la société de consommation, parce qu’elle fabriquait l’objet roi de cette consommation.
Elle fut créée pendant la dictature franquiste et avec une vision emblématique, pour montrer au monde que l’Espagne aussi pouvait fabriquer des voitures. L’INI [Instituto Nacional de Industria] la traitait avec ménagement, subventionnant sa production et compensant les pertes. Seat a été un grand facteur d’industrialisation pour Barcelone dans les années 1950 et attira une importante main-d’œuvre provenant des autres régions d’Espagne. Autour de la Seat s’accrut la population de l’agglomération qui absorba des centaines de milliers d’habitants. D’autre part, ce développement engendra la formation d’une sorte de caste des travailleurs de la Seat, relativement bien payés et avec une stabilité d’emploi « à vie » et, en période d’expansion de l’entreprise, ils pouvaient avoir la certitude que leurs enfants pourraient à leur tour travailler à la Seat ou chez un sous-traitant.
La grande concentration ouvrière requise par l’organisation fordiste du travail sur la chaîne de montage fit des travailleurs de la Seat les protagonistes emblématiques des premières luttes importantes qui furent à l’origine des Commissions ouvrières de Catalogne (CCOO). Ces luttes arrachèrent des améliorations importantes de salaire et de conditions de travail contre les conditions d’exploitation. A défaut d’un syndicalisme intégrateur, les luttes revendicatives qui poussaient à sa réalisation, prenaient des formes assembléistes (décisions prises en assemblées avec des délégués révocables), hors de tout contrôle politique et syndical. Elles n’ont été ni plus (comme dans leur idéalisation par la gauche), ni moins (comme on essaie de nous le faire croire aujourd’hui). Pour contenir ce mouvement les partis et les entreprises instituèrent les Pactes de la Moncloa, qui n’incluaient pas les syndicats, pour qu’ils ne perdent pas leur crédibilité auprès des travailleurs et puissent consolider ainsi leur pouvoir de médiation.
Pendant les années 1980, la mobilisation à la Seat dépendait des négociations pour le renouvellement des contrats collectifs d’entreprise ; les mobilisations se faisaient avec une hégémonie totale des syndicats CCOO (Confederación Sindical de Comisiones Obreras proche du PC) et UGT (CUnion general de trabajadores, proche du PS), qui obtenaient la majorité des votes dans les élections aux comités d’entreprise. Lors de la discussion du deuxième contrat, il apparut que les travailleurs amorçaient une démarche plus radicale, mais c’était seulement une apparence. La CGT (Confederación general del trabajo, syndicat espagnol issu d’une scission de la CNT en 1977) profitait du mécontentement que les manoeuvres des syndicats majoritaires avaient créé, provoquait de nouvelles élections qui lui donnaient une majorité relative dans les comités de l’entreprise. Mais c’était seulement un vote de protestation contre ces syndicats majoritaires, qui récupéraient rapidement le contrôle de la représentation officielle à la Seat, qu’ils ont conservé jusqu’à présent.
La fermeture de Zona Franca
En 1986, contre le versement de 80 millions de pesetas (3,3 millions de francs), alors que l’Etat et l’INI versaient 400 millions de pesetas (16,5 millions de francs) pour l’assainissement de l’entreprise, Volkswagen mettait la main sur Seat en acquérant la majorité dans le capital. Cela accentuait la tendance à la sous-traitance qui prenait une part grandissante dans l’approvisionnement des composants des usines d’assemblage. Cette stratégie conduisait, d’un côté à faire supporter la réduction du coût de ces composants sur les fournisseurs extérieurs et de l’autre à affaiblir la déjà faible capacité de réponse des ouvriers de la Seat. Avec la diminution des ventes et la construction de la nouvelle usine de Martorell, la nécessité de réduire la force de travail passait de la menace à la réalité implacable à travers la fermeture de la vieille usine de Zona Franca, fermeture qui était déjà envisagée lors de l’acquisition par Volkswagen.
Fin 1993, Volkswagen décidait de fermer Zona Franca, la société préférant fabriquer ailleurs et moins. Pour la stratégie de production de Volkswagen, Zona Franca était obsolète et superflue étant donné la grande capacité de production de la nouvelle usine de Martorell où il était possible de fabriquer 1 500 voitures par jour, à une époque où l’état du marché était tel que l’on vendait à peine plus de 500 voitures par jour.
La réponse des syndicats, comme d’habitude, a manqué d’imagination et de perspectives. Ils se sont retrouvés coincés entre les préjugés protectionnistes (demander à l’Etat central et au gouvernement de Catalogne d’aider la Seat par des investissements publics pour compenser l’abandon de l’usine par Volkswagen) et la logique de la compétitivité inhérente aux impératifs du marché à laquelle, par ailleurs, les mêmes syndicats obéissent et qu’ils défendent. De plus, pour les syndicats, la Seat a une valeur réelle comme lieu de grande concentration ouvrière où le syndicalisme trouve encore un certain degré d’implantation. En ce sens, soutenir la Seat, c’est soutenir une base sociale pour les syndicats... Précisément dans une conjoncture où leur faiblesse met en parenthèse la fonction de la bureaucratie dans la dynamique institutionnelle de la société capitaliste : le gouvernement développe sa politique de dérégulation du marché du travail en laissant de côté les responsables syndicaux . Les travailleurs essaieront de négocier l’augmentation des indemnités de licenciement. Une partie acceptera la retraite anticipée, d’autres iront chez les sous-traitants fournisseurs de pièces Volkswagen et les autres se retrouveront au chômage. Les mobilisations pour le maintien des postes de travail ne mènent nulle part si nous considérons que la logique de la compétition est fortement intériorisée par la plus grande partie des travailleurs. Nonobstant, l’ampleur des mesures adoptées et ses conséquences sur le chômage détermineront encore plus les conditions de vie de la population métropolitaine.
La place de la force de travail aujourd’hui
Ce qu’il faut voir dans ces comportements et qui depuis longtemps marque l’orientation des conflits ouvriers, c’est la dévalorisation du travail, du temps de travail et de la force de travail ; le remplacement du mode de production des marchandises dans la reproduction du rapport social capitaliste. Il y a une réflexion de Marx de 1858 dans les Grundrisse, un livre qu’on a mis plus de cent ans à lire et qu’ensuite on a vite oublié : « Le vol du temps de travail d’autrui, base actuelle de la richesse, paraît une assise misérable comparée à celle que crée et développe la grande industrie elle-même. Lorsque, dans sa forme immédiate, le travail aura cessé d’être la grande source de la richesse, le temps de travail cessera et devra cesser d’être la mesure du travail, tout comme la valeur d’échange cessera d’être la mesure de la valeur d’usage. Le surtravail des masses humaines cessera d’être la condition du développement de la richesse générale ; tout comme l’oisiveté de quelques-uns cessera d’être la condition du développement des facultés générales du cerveau humain. » Quelques lignes avant, Marx avait écrit : « Le travailleur se place à côté du processus de production au lieu d’en être l’agent principal » (Principes d’une critique de l’économie politique, « La Pléiade », tome 2, p. 306).
Aujourd’hui nous nous trouvons à ce point, mais d’une façon aliénée. Ce que Marx avait décrit – en voulant comprendre la logique du développement du mode de production des marchandises comme la fin possible du capitalisme se déroule actuellement, à défaut d’une révolution sociale communiste, d’une manière aliénée. La fin possible du travail aliéné, au lieu de se réaliser, se développe aujourd’hui comme précarisation, chômage dans les anciens centres capitalistes, comme travail salarié dans les pays de la nouvelle industrialisation et comme travail esclave dans une grande partie des zones périphériques. Dans les pays des anciens centres, le chômage n’est pas la fin du travail, mais son degré zéro. Cela veut dire que nous continuons à être géré par la même logique ; de la même façon, le temps libre continue comme étant le temps aliéné au profit du capital, pillé par la même logique de l’accumulation (toute l’industrie du temps libre) et de la reproduction sociale capitaliste (toute la production symbolique). Il ne s’agit pas ici de se joindre aux absurdités des discours à propos de la « fin du travail », de « l’adieu au prolétariat », de « la fin de l’exploitation », sinon de voir la transformation réelle de la valeur travail dans notre société, la perte de sa centralité, la perte de sa valeur de négociation, la perte de l’antique relation salaire-travail, et de voir au contraire le chômage comme produit de la crise du système capitaliste au-delà de l’incidence des nouvelles technologies qui ne sont d’ailleurs pas étrangères à la même crise.
La crise de la valeur travail
Le conflit de la Seat, comme celui de Suzuki et comme la plupart des luttes de la dernière décennie, montre manifestement la perte de la centralité de la valeur travail de la classe ouvrière traditionnelle dans le nouveau cycle de l’accumulation du capital. Toute la force revendicative de la population salariée, toute sa capacité pour faire pression sur le complexe social, économique et productif du système capitaliste, repose sur la valeur fondamentale du travail. Cependant, la position de la fraction ouvrière industrielle dans l’ensemble de la population salariée a subi une considérable perte, précisément dans la mesure où l’extension de la pro- létarisation (comprise au sens de la réduction de la condition d’être humain à celle d’être force de travail salarié) s’est étendue chaque fois à un plus grand nombre d’individus comme à un plus grand nombre d’activités de la vie sociale et productive.
La classe ouvrière industrielle d’Europe, qui a propulsé le cycle de luttes de l’après-guerre et a été confrontée au prétendu « état de bien-être », a vu comment sa capacité de pression a diminué dans le procès de restructuration. Le résultat a été que la classe ouvrière dans les conflits de la restructuration a été incapable d’offrir une autre contrepartie que le travail. C’est pour cela que ses perspectives s’effilochent dans la défense des postes de travail. Ceci se passe justement au moment où le travail a été dévalorisé jusqu’à en perdre toute importance et même devenir superflu dans un ordre capitaliste de plus en plus fondé sur la surexploitation de la force de travail dans les nouveaux pays industrialisés et sur les dévergondages financiers à l’échelle mondiale.
La logique de la négociation qui faisait du travail la valeur nécessaire et l’axe stratégique de l’accumulation du capital, et qui, dans les grèves et les occupations d’usine, surgissait comme réalité pratique de la confrontation avec le capital, se trouve devant le paradoxe que sa force (de travail) est une valeur déclinante, une valeur accessoire. La suppression des postes de travail met en évidence ce paradoxe et met aussi en évidence l’abdication du prolétariat au profit du capital et de ceux qui gèrent le capital à l’heure de sa confrontation avec les réalités de la crise. La logique de la négociation et les valeurs de l’économie de marché se sont infiltrées profondément dans l’imaginaire de la population salariée ; la logique de la négociation mais aussi l’identité (soumise) qui nous fait être sujet salarié.
Et c’est aussi parce que nous ne pouvons même pas imaginer être autre chose qu’humanité salariée, que nous revendiquons d’y rester alors que les circonstances qui s’attaquent au fondement le plus profond de notre identité (le travail) opèrent un processus de dévalorisation qui, à l’heure actuelle, ne sert plus comme élément de négociation en contrepartie des initiatives prises par les managers transnationaux du capital. Prétendre conserver les postes de travail au moment où les exigences de l’accumulation du capital imposent leur suppression, c’est s’accrocher à une position de principe qui, comme on a pu le vérifier au cours des années écoulées, a conduit les conflits vers leur conversion en problèmes d’ordre public.
L’idéologie du travail
Malgré cette transformation du travail et malgré sa dévalorisation, aujourd’hui sa valeur symbolique est prédominante. Le long processus de conversion de l’activité humaine en travail – un gigantesque effort de soumission, de division, de castration, de transformation de l’énergie libidinale en force de travail – a laissé ses traces.
L’apparente incongruité qui se révèle dans le fait de revendiquer un poste de travail que la logique de l’économie de marché partagée entre les syndicats, les travailleurs et les gestionnaires du capital oblige à détruire, s’explique seulement par la profonde intériorisation de la valeur du travail dans la population salariée, de telle façon que ce qui constituait un élément d’affirmation formelle face au capital (classe ouvrière, dictature du prolétariat, communisme, etc.) représente dans les circonstances actuelles un préjugé idéologique de la part de ceux qui ne trouvent pas encore une autre base de légitimation pour leurs aspirations vitales que l’éthique du travail. Et ceci est encore plus contradictoire et moins linéaire car ceux-là mêmes qui assument cette éthique du travail vont réaliser dans le quotidien l’affrontement capital-travail sous les formes les plus variées du sabotage et de l’absentéisme, les formes les plus sauvages de la critique du travail (voir le fort taux d’absentéisme chez Suzuki-Santana).
Les travailleurs de la Seat luttent pour la survie de l’unique forme possible à partir de leur identité prolétaire (et soumise) pas du tout remise en question : ils revendiquent un salaire et pour cela, ils cherchent une aide de l’Etat et de l’entreprise. Bien entendu, le travail est l’unique façon d’obtenir de l’argent et c’est la véritable essence de la sociabilité et de la vie dans le monde capitaliste. Bien sûr, dans ce monde capitaliste, le travail est ce qui nous constitue : en dehors de lui, il n’y a plus de vie. Avoir du travail est synonyme d’avoir la santé, c’est la façon de se projeter et socialement la façon d’être reconnu. Ne pas en avoir est la même chose qu’être en faute avec la société. Cela exige une justification (et cela arrive aussi bien dans les cercles les plus réactionnaires comme dans les cercles les plus révolutionnaires). En dehors du travail, il n’y a plus de sociabilité, il n’y a pas de vie. Mais on sait de quelle vie il s’agit : de la vie programmée, aliénée. Le travail nous « libère » de la vie autonome, créatrice : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre), c’était la devise inscrite au fronton de l’entrée des camps de concentration nazis (et avant cela, cette phrase aurait été utilisée par la société allemande IG Farben au-dessus du fronton de ses usines).
Les limites des relations capital-travail
Probablement, comme en d’autres occasions, ces conflits se résoudront par l’habileté des gestionnaires, par des indemnisations et une certaine dose de répression. Mais la question de fond reste : jusqu’à quel point la dévalorisation du travail, son manque de valeur dans le procès conflictuel, ne contribuera-t-elle pas à rompre les liens dans notre conscience et notre pratique quotidienne que le travail (salarié) est l’unique formule qui puisse garantir notre existence ? Bien entendu, les différentes formes d’auto-travail, de coopératives, etc., qui apparaissent comme des ressources circonstancielles parmi les nouveaux chômeur,s sont des formules qui reproduisent la condition salariée sous d’autres apparences.
D’ailleurs, il n’y a pas de signes de rupture tendancielle de la logique du travail dans aucun des conflits. Mais dans ce cas-là, l’absence d’une critique explicite (formelle) du travail (et par conséquent du capital) parmi la population salariée fait que l’accent mis sur la conflictualité se situe dans les limites (réelles) de la relation capital-travail. Des limites qui, pourquoi pas, à leur façon, rendent réelle et évidente la vieille provocation formelle de 1968 chaque fois que la population salariée, affectée par le programme de restructuration, énonce sa revendication. Précisément, parce qu’il est réaliste – en se limitant au cadre strict de référence capitaliste – de solliciter un poste de travail, c’est demander l’impossible.
(Traduit de l’espagnol)
(1) Seat : Sociedad Española de Automóviles de Turismo, créée en 1950 par le gouvernement espagnol avec l’aide de Fiat, qui se retire en 1981. En 1988, Seat devient la filiale espagnole du groupe allemand Volkswagen. Environ 60 % de la production de l’usine de la zone franche est expédiée à Martorell (inaugurée en 1993), le reste va vers d’autres usines de Volkswagen.
Seat employait en 2009 environ 13 000 personnes en Espagne, dont 1 500 dans la zone franche. Elle compte trois usines, celle de Martorell, la zone franche, et une usine de boîtes de vitesses à El Prat, en Catalogne (nord-est).
(2) Une correspondance d’un camarade espagnol publiée dans le même numéro d’Echanges précisait que l’augmentation des salaires demandée par les syndicats UGT et CCOO avait étré refusée par la direction, qui avait ensuite menacé de transférer la production de l’usine de la zone franche de Barcelone vers l’usine Skoda, en République tchèque, propriété du grioupe Volkswagen depuis 1991. Ce même camarade rapportait que les syndicalistes n’accordait aucune importance à cette menace, car selon eux le transfert serait techniquement difficile et économiquement coûteux. De fait,même si cette menace a été réitérée en 2006, en même temps que circulaient des rumeurs de cession de Seat à Fiat, , l’usine de pièces détachées de Barcelone tourne toujours en 2010 : en janvier de cette année, elle a été paralysée quelques jours par une grève protestant contre un projet de 330 suppressions d’emplois non directement liées à la production de véhicules.