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Capital et crise : haro sur les retraites

jeudi 11 février 2010

Les retraites ne sont nullement un avantage, mais un salaire différé, qui fait l’objet des mêmes attaques de la part du capital que les autres formes de salaire. En outre, le montant accumulé des systèmes par capitalisation est la proie de convoitises diverses

Il faut dire une première vérité qui est le plus souvent escamotée : pour la grande majorité des trois à quatre milliards de travailleurs de par le monde, le capital estime ne rien devoir, ou si peu, pour leurs vieux jours. Une bonne partie d’entre eux n’ont d’ailleurs guère à s’en soucier car leurs conditions d’exploitation et de vie sont telles qu’ils n’atteignent jamais ce que l’on appelle dans les pays industrialisés « l’âge de la retraite ». C’est pour le capital mondial une bonne part de la garantie de bas coûts de production, de compétitivité et de maintien du taux de profit.

Par contre, pour une minorité relativement importante de travailleurs, notamment dans les vieux pays industrialisés, tout un ensemble de circonstances mêlant les propres nécessités du capital dans ces pays et les luttes de classe qui s’y sont déroulées ou qui s’y déroulent encore, faisait jusqu’à présent penser que leurs vieux jours seraient plus ou moins bien assurés. C’était une situation relativement récente, datant pour la plupart de ces pays depuis moins d’un siècle. On peut penser que cette question s’est posée à partir du moment où l’accroissement de la population et l’amélioration lente mais certaine des conditions de vie et d’accès aux soins médicaux, en progrès, ont fait que bon nombre de travailleurs n’étaient pas morts à un âge considéré comme « l’âge normal de la retraite ». Cet âge était finalement évalué au moment où l’exploitation d’une force de travail, diminuée par l’usage qui en avait été fait, n’était plus rentable pour le capital, problème qui ne se posait pas quand le travailleur mourait « jeune », étant usé « avant l’âge ».

Pour compléter, on pourrait ajouter par exemple que les fonctionnaires eurent les premiers accès à une retraite parce qu’ils vivaient plus vieux, n’étant pas surexploités comme les ouvriers. Autant que la conséquence des luttes, on pouvait aussi voir dans ce développement l’intérêt du capital à obtenir, dans certaines situations, non seulement la paix sociale mais aussi une certaine « participation » pour assurer l’accumulation du capital dans les meilleurs conditions d’exploitation de la force de travail. C’était particulièrement clair, par exemple dans les périodes d’après-guerre, lorsqu’il s’agissait de permettre aux capitalistes nationaux de reconstituer les structures d’accumulation détruites, ou bien dans les pays en développement pour les besoins de l’accumulation primitive.

Dans les Etats où le capital avait cru devoir instituer pour ses intérêts propres des systèmes de retraite pour les vieux travailleurs, cela s’était fait peu à peu et d’une manière très inégale. Dès avant la première guerre mondiale, certaines entreprises plus prospères, mais aussi désireuses de s’attacher des travailleurs qualifiés, avaient institué des régimes de retraite « maison ». Ce n’est qu’après la première guerre mondiale que ce système s’est progressivement étendu, pour des raisons tant économiques que politiques et est alors devenu l’objet de revendications ouvrières. Sa généralisation rencontrait une grande hostilité chez les paysans, les artisans, le petit commerce et les petites entreprises qui pouvaient avoir des difficultés de financement de ces « avantages sociaux ». Pour le capital, globalement, assurer une retraite aux vieux travailleurs était à la fois une garantie de fidélité, de paix sociale mais aussi d’un certain niveau de consommation permettant également d’échapper à la charge des vieux sans ressources par les collectivités. D’une certaine façon, ce développement était également lié à l’essor industriel défini dans le fordisme (production de masse pour une consommation de masse).

En fait, les systèmes de retraite ne coûtaient rien aux employeurs individuels ou entreprises : même si peu à peu s’instituait dans nombre de pays un système présenté comme égalitaire de contributions travailleur et patronales, celles-ci n’étaient en fait que des salaires différés, portion des salaires qui auraient dû être payée, mise en réserve jusqu’à l’âge de la retraite. C’était un élément des coûts de production. Cette mise en réserve posait des problèmes financiers car, représentant d’énormes capitaux, elle était, d’une part l’objet de convoitises de la part des circuits financiers à la recherche de financements, d’autre part de la formation éventuelle d’organismes de collecte et de répartition à terme aux bénéficiaires, et enfin de « sécurisation », c’est-à-dire principalement de maintien de son « pouvoir d’achat » notamment contre l’inflation.

Différents systèmes virent ainsi le jour :
- prélèvement sur le chiffre d’affaires. Les entreprises qui s’estimaient assez solides financièrement ne constituèrent pas de fonds de retraite et servirent les retraites de leurs anciens travailleurs, généralement en fonction des salaires d’activité et de la durée d’exploitation, en les prélevant sur le chiffre d’affaires courant.

C’est notamment ce que fait l’Etat pour ses fonctionnaires, qui furent les premiers travailleurs à bénéficier de retraites car le pouvoir avait besoin de leur fidélité. C’était aussi jusqu’à une date très récente le cas des firmes très importantes, par exemple les firmes américaines de l’automobile comme General Motors. Et celui du système éphémère en Russie et en Chine de la prise en charge des vieux par l’unité de travail, système nécessaire pour sécuriser l’exploitation d’un prolétariat d’origine paysanne dans la période d’accumulation primitive ;

- capitalisation. Bien avant la généralisation des retraites pour les entreprises privées, avant même la première guerre mondiale, certaines sociétés, qui avaient besoin également d’avoir un volant de salariés permanents et fidèles, mais qui voulaient se dégager d’obligations financières aléatoires et contraignantes, avaient souscrit auprès de sociétés d’assurances des contrats-retraite qui, à partir de versements conjoints de l’entreprise et du salarié, constituaient une rente servie par ces sociétés lors de la mise à la retraite. Le montant de cette rente dépendait du montant et de la durée de ces versements, mais aussi de la prospérité de la société d’assurance considérée et de l’inflation, car elle était fixée nominalement et ne variait pas dans le temps.

C’est ce qu’on a appelé une « retraite par capitalisation » car les versements aboutissent à la constitution d’un capital individuel que la société d’assurance fait fructifier par des placements et convertit à terme en une rente viagère ;

- répartition. Les péripéties d’après la première et la seconde guerre mondiale, la crise des années 1930 portèrent un coup fatal à ces retraites d’entreprise et amenèrent à chercher des formules moins aléatoires. Cela coïncidait aussi avec le développement du fordisme et de la production de masse et avec la nécessité qui en découlait d’assurer une masse minimale de consommation constante. Ce n’est pas un hasard si un autre système vit le jour dans les années 1930, notamment en France. Les bouleversements financiers et la nécessité, notamment dans l’après-seconde guerre mondiale, d’une adhésion d’un prolétariat au redressement des capitalismes nationaux, entraînèrent une généralisation d’un système moins aléatoire que le système par capitalisation. Avec des variantes, presque tous les pays d’Europe occidentale adoptèrent un système dit « par répartition ».

De plus, l’espoir d’un monde meilleur pour ceux qui avaient vécu la crise de 1930 et la guerre devait paraître contenu dans un ensemble de « garanties sociales » dont cette retraite était un des éléments majeurs. Ces retraites sont toujours individualisées et leur montant dépend de cotisations ouvrières et employeur (fonction du salaire) et de la durée des versements. Ce système offre la garantie assurée d’un minimum vieillesse même pour ceux qui n’ont jamais ou insuffisamment cotisé et d’un optimum basé sur « les meilleurs années » ; il a même été complété par des systèmes de retraite complémentaire obligatoire qui en élevait encore le montant. La base de ces systèmes, général et complémentaire, est la même : les cotisations perçues servent à payer les retraites en cours, d’où le nom « par répartition » : on répartit sur l’ensemble des retraités les cotisations versées par la masse des salariés en activité.

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Quel que soit le système retenu pour le service des retraites, ce n’est nullement un « avantage », comme on le prétend souvent, mais tout simplement un salaire différé qui ,d’une manière ou d’une autre, est accumulé au service du capital et dans son intérêt (ce qui explique la facilité avec laquelle des entreprises ou patrons ont pu « se servir » des fonds ainsi réunis comme si c’était leur propriété). Le système par répartition assurait un flux constant d’une masse importante de capitaux qui furent bientôt l’objet de convoitise de l’ensemble des capitalistes et des gouvernements à la recherche de liquidités pour approvisionner en crédit le développement économique à l’échelle mondiale, y compris sa partie spéculative de plus en plus importante. Si l’on considère d’un point de vue purement technique les deux formes de retraite proposées, leur base est strictement identique (reposant sur des tables de mortalité) et par exemple les problèmes de vieillissement de la population se posent de la même façon dans les deux systèmes.

En période de prospérité capitaliste, il est certain par contre que le rendement des placements financiers permet éventuellement d’augmenter le montant des retraites par capitalisation, si tant est que ces « profits » ne soient pas distribués aux actionnaires des fonds. C’est ainsi que l’on a vu monter, dans les dernières décennies, une offensive généralisée pour que le système par répartition, qui, en principe ne faisait que faire transiter la masse des cotisations pour les répartir, se convertisse en système par capitalisation : des fonds de pension sont apparus, à côté des sociétés d’assurances, organismes spécialisés dans la collecte des cotisations retraite, gérant les comptes individuels de retraite pour chacun des cotisants. Ces fonds drainent d’énormes capitaux placés dans toutes les opérations financières possibles, les plus sûres comme les plus hasardeuses, et sont devenus des puissances financières redoutées, véritables prédateurs notamment pour les entreprises en difficulté ou les entreprises familiales à la recherche de capitaux.

Ils étaient jusqu’à une date récente des modèles d’un capitalisme triomphant, loués par tous les tenants de l’économie libérale et la déréglementation de l’économie. Dans leur expansion, épaulés par les politiciens et pas seulement par les conservateurs, la cible principale était tous les systèmes « étatiques » généralement de retraite publique par répartition dont la gestion financière, souvent paritaire leur échappait. En France, par exemple, l’attaque n’a pas été frontale mais a porté par petites touches sur le montant et l’âge de la retraite, visant à contraindre les salariés à se tourner, au moins partiellement, vers ces fonds privés pour parfaire une retraite décente.

La question de l’âge de la retraite, qui est au centre des débats, au moins dans le monde occidental industrialisé, a toujours fait l’objet de manipulations cachées. Par exemple, en France, lorsque l’on a fixé la retraite en principe à 60 ans dès les années 1930, des dérogations avaient été prévues pour certaines catégories de travaux pénibles entraînant une mortalité précoce (mineurs, cheminots, etc.), un avancement de cet âge étant sensé rétablir une « égalité dans l’inégalité ». L’évolution des techniques a fait en partie disparaître les anciennes « pénibilités » pour y substituer de nouvelles, moins évidentes, d’où les débats actuels où, sous couvert de prendre en considération l’allongement de la durée moyenne de vie et cette pénibilité, les « réformes » des systèmes de retraite ne visent qu’à faire diminuer globalement par différents biais le montant des retraites versées.

La tourmente boursière a porté un coup que l’on espère fatal à ces fonds de pension dont les actifs, consistant essentiellement en actions et titres financiers divers plus ou moins prometteurs, se sont parfois totalement effondrés, diminuant considérablement les garanties des retraites présentes et futures.

Des signes avant-coureurs étaient déjà apparus dans le passé, comme l’éclatement en 2001 du scandale Maxwell en Grande-Bretagne – ce magnat de la presse mort dix ans auparavant avait dilapidé le fonds de retraite du personnel – ou l’affaire Enron aux Etats-Unis – la faillite en décembre 1991 de cette entreprise de distribution d’électricité avait entraîné celle de son fonds de retraite, dont les actifs ne consistaient qu’en actions Enron.

Travailler plus longtemps

Aux Etats-Unis, la plupart des sociétés qui avaient dû consentir dans les accords d’entreprise des garanties retraite ont, à partir d’une loi de 1978 – article 401(k) qui désigne souvent ce système (1) – transféré leurs obligations à des fonds de pension gérant par capitalisation les comptes individuels alimentés par les cotisations employeurs et ouvriers (qui ne sont jamais fixes et sont souvent rediscutées lors des renouvellement de contrats, les entreprises tentant constamment de réduire leur propre contribution). Ce fut en fait une attaque concertée du patronat et des politiques pour réduire les charges des entreprises qui se trouvaient ainsi dégagées du service direct des retraites dont le montant pouvait être réclamé lors de ces renouvellements des contrats. Le résultat, avec la débâcle financière est que les comptes retraite sous l’article 401(k) avaient perdu, en septembre 2008, 2 000 milliards de dollars (1 600 milliards d’euros), montant largement dépassé depuis (un tiers des bénéficiaires atteignent actuellement 60 ans et 80 % de leur retraite sont assis sur ces fonds).

Les sociétés qui ont des engagements de retraite envers leurs retraités présents et futurs doivent compenser les diminutions de retraite servies par les fonds de pension, ce qui peut obérer sérieusement leur activité. Une autre possibilité est donnée au capital dans ce pays pour se dégager de toutes obligations concernant les retraites : la mise en faillite, qui permet à une entreprise de continuer à fonctionner en annulant toutes ses obligations, notamment celles résultant du contrat collectif donc les retraites : c’est ainsi que même en restant salarié de l’entreprise, plus aucune contribution retraite n’est versée et les pensions encore servies par l’entreprise sont purement et simplement annulées.

Une autre conséquence indirecte de la débâcle des fonds de pension est l’obligation dans laquelle se trouvent ceux qui approchent de la retraite, de travailler plus longtemps, de retarder la fin de leur activité pour accroître tant soit peu son montant (on estime qu’en 2016, 6 % de la population active devront travailler au-delà de 65 ans, contre 3,6 % en 2006).

On a pu entendre alors, devant la débâcle des fonds par capitalisation, chanter les louanges de la retraite par répartition qui mettrait les retraites des travailleurs à l’abri de ces tempêtes financières. Ce n’est qu’une apparence de vérité. D’une part, pour pallier les aléas des fluctuations de l’économie et/ou de la démographie, les caisses par répartition doivent constituer des réserves qui sont… placées sur le marché financier, c’est-à-dire tributaires, comme les fonds de pension, des hauts et des bas de ce marché : une des caisses de retraite a ainsi perdu pas mal de millions avec des titres liés à la débâcle américaine des « subprimes ». Mais il y a plus : comme le service des retraites dépend pour l’essentiel des cotisations encaissées, les recettes sont liées à l’activité économique, au total des salaires versés, c’est-à-dire au nombre de salariés et au montant des salaires qui leur est versé. Tout comme la crise économique réduit la rentabilité du placement des fonds de retraite par capitalisation, elle réduit tout autant pour les caisses de retraite par répartition le montant des cotisations permettant d’assurer le paiement des retraites. Le problème est pour celles-ci rendu plus aigu par le nombre de postulants à la retraite, en raison du baby boom de l’après-dernière guerre mondiale. On peut d’ailleurs se demander si la prorogation de l’âge des retraites n’est pas liée, quelles que soient les modalités de leur constitution, à cette question purement démographique.

D’autres menaces

Une autre menace pèse sur l’ensemble des régimes de retraite, distinctement de toutes les conséquences que nous venons d’évoquer : c’est la tentation des Etats de se servir autoritairement de la manne ainsi mise en réserve. Ce n’est pas une vision de l’esprit. Le gouvernement argentin vient de « nationaliser » dix fonds de retraite, c’est-à-dire en fait de prendre le contrôle de leurs disponibilités afin de pallier le manque de fonds pour les investissements déjà engagés, les recettes ayant été obérées par la chute des prix agricoles. Dans un autre secteur que celui des retraites, le gouvernement français vient de détourner à son profit 50 millions d’euros de l’Association de Gestion des fonds pour l’insertion des personnes handicapées.

En conclusion, c’est, pour l’ensemble des systèmes de retraites, pour ceux qui, de par le monde, ont la « chance » de pouvoir (encore) en bénéficier, une situation qui dépend entièrement de l’activité économique. La crise financière touche effectivement dans l’immédiat un des systèmes de financement, mais la crise économique qui n’a pas encore atteint son plein développement touchera encore plus sérieusement l’ensemble des retraites et des retraités.

On peut prévoir que les mesures restrictives pour l’obtention de la retraite qui ont déjà vu le jour vont s’accentuer alors que la pension versée aux retraités risque d’être touchée doublement, et par la stagnation de son montant notamment eu égard à l’inflation et par cette inflation elle-même. ◊

Note

(1) « 401(k)s » : en 1978, fut ajoutée au code fiscal américain une disposition permettant à un salarié d’épargner pour sa retraite tout en différant ses prélèvements fiscaux jusqu’au retrait de son épargne.. Différentes modifications ultérieures firent que ces cotisations concernaient aussi bien les contributions salariés et employeurs, qu’elles pouvaient faire l’objet d’accords d’entreprise, que les placements garantissant ces retraites pouvaient faire l’objet de fonds spéciaux souscrivant des actions de l’entreprise (voir l’affaire Enron). Ce système de retraite, compliqué, était particulièrement intéressant pour les employeurs qui pouvaient en se mettant sous cette législation échapper à des obligations contractuelles. Pour plus de détails on peut consulter l’article « 401 K » sur le site Wikipedia.

Voir aussi :

AGFF : Le syndicat FO conseillait aux salariés de prendre leur retraite avant le 1er avril 2009

Retraite : Les syndicats silencieux sur le renouvellement de l’AGFF, pourquoi ? (125-2008)

La spoliation des retraités, un moyen pour le capital financier de contrecarrer la baisse du taux de profit

Retraites : l’Etat organise la misère sociale, et le capital, la paupérisation