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Le salariat, les racines de la révolte

3-2. La vie au travail (fin)

Un livre de Martin Glaberman et Seymour Faber

jeudi 22 juillet 2004

Table des matières

Qu’est-ce que la classe ouvrière ?

Une histoire de la lutte

3-1 : La vie au travail

3.La vie au travail (fin)

La guerre dans le travail

5-1. Le travail comme un jeu, ou rendre le travail humain (I)

5-2. Le travail comme un jeu, ou rendre le travail humain (fin)

Le travailleur en guerre contre lui-même

7-1. Les guerres au sein de la classe ouvrière. La guerre des sexes

7-2 : Les guerres au sein de la classe ouvrière. La guerre raciale. La guerre contre la bureaucratie

Conclusion

Notes

Comme le souligne Porter, ceux qui travaillent dans ces conditions deviennent de simples statistiques où l’on accumule les problèmes de santé, les accidents et les morts. Les chiffres du tableau 3.1 sont basés sur les statistiques annuelles établies aux Etats-Unis.

Tableau 3.1 - Ouvriers tués ou mutilés au travail de 1960 à 1994

décès blessures invalidantes année total industrie activités
nombre
(en milliers)
1960 13,8 21 1,7 10 12,1 25 2,0
1965 14,1 20 1,8 10 12,3 24 2,1
1970 13,8 18 1,7 9 12,1 21 2,2 1975 13,0 15 1,6 9 11,4 17 2,2
1980 13,2 13 1,7 8 11,5 15 2,2
1985 11,5 11 1,2 6 10,3 12 2,0
1986 11,1 10 1,0 5 10,1 11 1,8
1987 11,3 10 1,0 5 10,3 11 1,8
1988 11,0 10 1,1 6 9,9 10 1,8
1989 10,9 9 1,1 6 9,8 10 1,7
1990 10,1 9 1,0 5 9,1 9 3,9
1991 9,8 8 0,8 4 9,0 9 3,5
1992 5,0 4 0,7 4 4,3 4 3,3
1993 5,0 4 0,7 4 4,3 4 3,2
1994 5,0 4 0,7 4 4,3 4 3,5

1. Pour 100 000 ouvriers.

- 2 Blessures invalidantes définie comme entraînant la mort, ou tout degré de handicap physique, ou rendant le sujet incapable d’activité physique régulière à partir d’un jour plein après le jour de l’accident. En raison du changement de méthodologie, les données des années 1990 et suivantes ne sont pas comparables avec les précédentes.

- 3. Y compris forêt et pêche.

- 4. Y compris extraction pétrolière et gazière.

- 5. Comprend commerce de gros et de détail. - 6 Comprend finances, assurances, et immobilier.

Source : National Safety Council, Itazsca, Illinois. Accident Facts, annual.

Tableau 3.1.1 Ouvriers mutilés ou tués en 1994

[Les chiffres pour 1994 sont des estimations, basées sur les données du Centre national des statistiques de santé des Etats-Unis, des Départements de statistiques des Etats, des commissions industrielles, du Bureau des statistiques du travail, du recensement des victimes professionnelles. Le nombre d’ouvriers est établi à partir des données du bureau américain des statistiques du travail.]

(à venir)

Pour plusieurs raisons, il y a eu une baisse graduelle du nombre des accidents entre 1960 et 1996. Le développement continu de la science et la connaissance grandissante des produits toxiques ; les changements dans les processus du travail, spécialement l’introduction des ordinateurs et de l’automation ; et les transferts de main-d’œuvre de la production vers les services, tout cela a contribué è cette diminution, bien que les ordinateurs aient développé leurs propres formes de lésion, comme le syndrome du canal carpien (49).

Mais on doit apporter quelques explications à ce sujet. Le fait que les employeurs savent qu’ils utilisent des produits dangereux n’implique pas qu’ils en informent leurs salariés ou qu’ils prennent des mesures de sécurité à ce sujet. Le pire des exemples en a été l’industrie de l’amiante, qui ne prit aucune mesure de protection pendant des années après que l’on ait su le caractère cancérigène de l’amiante. Les compensations pour décès ou maladies dus à l’amiante sont encore aujourd’hui contestées devant les tribunaux.

L’extraction du charbon dans les mines, une des tâches les plus dangereuses, donne des exemples de divers développements. Le transfert massif des mines souterraines aux exploitations à ciel ouvert a réduit considérablement le nombre de mineurs et les risques du métier. Néanmoins, cela n’a nullement empêché les compagnies minières de violer constamment les règlements de sécurité fédéraux et des Etats pour accroître la rentabilité des mines. Peabody Coal, la plus importante société minière des Etats-Unis, a récemment plaidé coupable pour avoir falsifié les tests de sécurité minière " et a accepté de coopérer à une enquête fédérale sur les fraudes à la sécurité dans les mines de charbon du pays... C’est la seconde fois en un peu plus de huit ans que Peabody... a plaidé coupable dans des poursuites pour avoir trafiqué les tests de sécurité dans les mines. Depuis 1980, cinq autres compagnies charbonnières ont aussi plaidé coupables de telles malversations " (50). (On peut noter en passant que ceci montre que le délit en " col blanc " (classe moyenne) n’est pas spécialement différent des prétendus délits en " col bleu " (prolétaires) par son absence de violence, quoique la violence se situe sur le lieu de travail au lieu de s’exercer dans les rues des villes.)

" Les guerres et les naufrages de l’industrie automobile prennent leur charge de victimes à peu près à égalité, mais les dommages physiques de l’industrie forment le quatrième des dangers menaçant la classe ouvrière. Ceci est particulièrement évident quand on passe d’un bistrot classe moyenne à un bistrot prolo. Là, le nombre des présents auxquels il manque un œil ou des doigts, avec des cicatrices, s’accroît énormément. Mais c’est seulement la partie émergée de l’iceberg, si on peut dire. Pas mal de mineurs sont morts dans des éboulements, mais cent fois plus sont morts de silicose. Et finalement, ce n’est pas ce qui vous tue, mais ce que vous vivez qui cause le plus de blessures. Nombre d’occupations ont des maux qui leur sont spécifiques et les femmes qui travaillent n’en sont aucunement exemptes. Si les dockers ont le dos en compote, les employées de supermarchés ont avec le temps, quand elles vieillissent, des problèmes de pieds, de genoux qui enflent et de varices (51). "

Dans l’industrie automobile, les restructurations avec licenciements, consistant en partie à transférer le travail effectué dans les usines des " Trois Grands " (de l’automobile - General Motors, Ford, Chrysler [NDT]) chez des sous-traitants qui ne connaissent pas de syndicat, ont contribué à l’augmentation des accidents du travail dans les petites usines, pressurées par les grandes compagnies pour réduire les coûts et aucunement contestées par des contrôles syndicaux sur la sécurité. La baisse du taux des accidents du travail ne veut pas dire que le lieu de travail moyen soit particulièrement sûr. La réalité est que la question de sécurité sur le lieu de travail est une lutte continuelle. Les problèmes de sécurité contribuent au sentiment d’insécurité que ressentent les travailleurs, ce qui confirme que le conflit entre le capital et le travail, malgré ses hauts et ses bas, ne cesse jamais.

Quand la Buick Motor Division de General Motors introduisit l’obligation pour chaque travailleur de ses usines de porter des lunettes de protection fournies par la compagnie, dans les années 1950, on comprit bien que le coût des compensations que la firme avait dû verser pour des blessures aux yeux avait dépassé le coût de ces lunettes. Le nouveau modèle japonais des relations de travail ne paraît, de ce point de vue, faire guère de différence. Dans sa campagne pour que l’usine américaine de Nissan reconnaisse le syndicat, un des principaux arguments de l’UAW (Union of Automobile Workers - Syndicat des ouvriers de l’automobile [NDT]) était le nombre élevé d’accidents du travail et l’accusation que Nissan violait les lois du Tennessee en ne les déclarant pas tous. En général, dans les usines ayant adopté le modèle japonais, le nombre d’accidents du travail a augmenté, en particulier ceux dus au stress.

Miklas Haraszti explique que dans l’usine de tracteurs Red Star en Hongrie, dans laquelle il avait travaillé, son expérience du système de salaire aux pièces lui a fait conclure que s’il travaillait en suivant exactement la méthode prescrite, sans prendre aucune pause, il ne pouvait gagner de quoi vivre. De sorte que lui comme les autres ouvriers étaient contraints de court-circuiter les règles, d’ignorer sécurité et qualité. Au lieu de fixer la pièce sur la table de la machine, ils la maintenaient avec leur corps, alors que la machine usinait la pièce. Ce faisant, ils se mettaient en grand danger. Ils appelaient ça " piller ". Ils volaient du temps pour pouvoir gagner un salaire décent. Haraszti parlait du système qui prive les travailleurs de leurs désirs humains élémentaires. Au lieu de s’appliquer à un travail de qualité et à la " bonne ouvrage ", " toute connaissance, habileté professionnelle, tout ce qui aurait dû être mis en œuvre pour faire du bon boulot, était désormais mis en œuvre pour truander et ainsi totalement dévié ". Il demandait " quelle force immense était ainsi capable de tuer chez le travailleur "l’instinct du bon travail ?" " Ce qui, entre autres choses, l’amenait à parler de " l’absurdité inhumaine du travail salarié " (52).

Même dans des secteurs où l’employeur n’est pas directement responsable des blessures et de la mort, par exemple les violences sur le lieu de travail, les tentatives pour réduire cette violence rencontrent des résistances. " Les règles proposées par l’OSHA cette année (1996) pour diminuer les risques de violence pour des millions de caissiers ou employés du commerce de détail ont rencontré de fortes résistances dans les boutiques de fast food ou de toutes sortes d’approvisionnements quotidiens (53) ". En bref, il n’y a aucune raison de croire que les dirigeants d’entreprise se sentent plus concernés par la sécurité des travailleurs que par la sécurité des consommateurs. Sans les contrôles gouvernementaux et la pression des organisations de consommateurs, ces considérations seraient réduites au strict minimum. Le " marché libre ", comme Adam Smith l’a souligné il y a longtemps, n’améliore pas du tout la moralité dans le monde des affaires.

Tout ceci est scandaleux. Néanmoins, tout ceci sous-estime le coût pour l’industrie des problèmes de santé et de sécurité. La crainte des accidents et le ressentiment soulevé par des situations dangereuses amènent une chute de productivité et la nécessité de former constamment du personnel nouveau. Tout ceci ne dit rien non plus de concret sur toutes sortes de situations où les travailleurs sont exposés à des maux plus ou moins fatals.

En 1977, l’Académie des sciences de New York consacra un volume entier de son report annuel au cancer, tentant de rendre cette maladie compréhensible pour le commun des mortels. C’était un résumé méthodique de la littérature existant alors sur le cancer dans les lieux de travail. Il y était dit que le taux des cancers y croissait régulièrement, malgré toutes les avancées du traitement et des remèdes. L’Organisation mondiale de la santé estimait que 75 % à 80 % de tous les cancers étaient causés par l’environnement (54).

La discussion sur les produits chimiques montrait que les procédures pour déceler les produits cancérigènes étaient particulièrement lentes. En même temps, plus de 40 000 produits chimiques industriels, plus un nombre inconnu de composés dérivant de leur combinaison, posaient des problèmes. Par exemple, les sous-produits de la fabrication du coke se diffusent dans et autour du four à coke, une des tâches les plus dangereuses de l’industrie. Sur le haut des fours à coke, des travailleurs ayant été exposés à ces produits pendant cinq ans avaient onze fois plus de chance d’avoir un cancer du poumon que les autres travailleurs de l’aciérie (55). L’Académie examinait aussi un incident survenu à l’usine Goodrich d’Akron (Ohio). Les travailleurs avaient perdu une grève déclenchée pour que la cafétéria ne soit plus contaminée par les vapeurs de deux produits chimiques cancérigènes. Il était aussi expliqué que les entreprises, non seulement cachaient toute information sur ce sujet aux travailleurs, mais souvent mentaient quant à la sécurité sur le lieu de travail (56).

Dans une étude de 1989, Antonia Ligori avait montré que le management de Valenite-Modeo mentait aux travailleurs sur les dangers potentiels d’une usine chimique. Lorsqu’on leur en donnait l’ordre, les travailleurs devaient s’exposer aux risques pour pouvoir conserver leur travail (57).

Naturellement, les produits cancérigènes sont l’objet d’une préoccupation générale. Mais, comme James Morton le souligne, la classe ouvrière tend à être la plus durement touchée :

" Le cancer survient réellement comme une série de petites épidémies, le plus souvent en relation avec le lieu et la période de production et d’utilisation de dérivés pétrochimiques. Alors que n’importe qui est plus susceptible d’avoir un cancer dans des endroits très divers qu’il ne l’était il y a dix ans, la classe ouvrière subit le poids principal de l’épidémie de cancers. Le taux le plus élevé de cancers se trouve parmi ceux qui vivent autour de lieux où des composés organiques sont fabriqués, répandus ou utilisés, et parmi les travailleurs qui les fabriquent ou les emploient, et parmi leurs enfants (58). "

Les recherches ont montré que les maladies mentales sont un autre problème pouvant être attribué aux conditions du travail moderne. Arthur Kornhauser a étudié plusieurs groupes de travailleurs de l’industrie automobile. Il les a classés suivant leurs connaissances professionnelles et selon l’éventail des travaux accomplis dans leur spécialité ; utilisant les méthodes d’investigation sur la santé mentale, il a comparé les résultats obtenus pour l’ensemble des travailleurs, compte tenu de leur âge et de leur niveau d’instruction. Il a trouvé une relation entre la santé mentale et l’emploi occupé chez les ouvriers de l’industrie qu’il étudiait. La santé mentale déclinait lorsqu’on passait de différents types de travaux impliquant responsabilité et professionnalisme à des tâches beaucoup plus médiocres de ce point de vue. Kornhauser en concluait que la " santé mentale dépend de facteurs associés au travail " (59).

Il y a des problèmes récurrents et conflictuels relatifs à des convenances personnelles : mauvaise aération, sols glissants, pollution de l’air, niveaux de bruit dangereux pour l’ouïe, pauses inadéquates, etc. Tous ces problèmes peuvent être évoqués à travers un article du Detroit Free Press du 6 mai 1971 sur le procès de James Johnson, un ouvrier de l’usine Chrysler (Eldon Avenue) jugé pour avoir tué deux contremaîtres et un autre ouvrier. Un témoin, James Muffett, délégué syndical, y parlait de " secteurs dangereux surpeuplés d’ouvriers et d’engins de manutention ". Johnson fut déclaré fou, à cause des conditions de travail, et envoyé dans une institution psychiatrique. Ce n’était pas un cas isolé, et même aujourd’hui cela peut être attesté par un article récent du Detroit Free Press qui donne une liste des incidents violents dans la région de Détroit, de 1991 à 1994 :

1. en décembre 1994, un contremaître a été tué et un ouvrier blessé dans l’usine Chrysler " Sterling Stamping " par un autre ouvrier ;

2. en 1993, un enseignant tue un administrateur et en blesse deux autres lors d’un conseil de doléances ;

3. en mai 1993, un postier tue deux de ses collègues et en blesse deux autres ;

4. en novembre 1991, un postier, de nouveau, abat quatre de ses collègues et en blesse quatre autres. Cet ancien employé venait d’apprendre qu’il ne serait pas réembauché ; il est revenu armé, a tiré dans le tas et s’est suicidé (60).

La nature et l’organisation du travail changent continuellement. Souvent, c’est en raison de changements technologiques, mais ce peut être en raison de l’idéologie du management, ou d’une combinaison des deux. Comme le souligne Marx, le but de ces changements est habituellement d’éliminer des travailleurs, de mieux les contrôler, d’en obtenir plus de production, etc. Bien que la forme de ces changements puisse varier, la réalité qu’elle exprime reste la même pour l’essentiel. La rapidité et le moment de ces changements varient naturellement suivant les industries et les technologies.

Dans le trafic portuaire, les changements ont commencé dès les années 1950 et furent connus sous l’appellation " conteneurisation ". Dans son livre Comment dire que vous êtes fatigués ?, Reg Theriault décrit en long et en large les différences entre le travail avant et après la " conteneurisation ". Le fait que le docker doive s’occuper de conteneurs qui sont débarqués sur des camions avec des grues, au lieu de porter des sacs ou des boîtes de différents matériaux qui doivent être chargés ou déchargés, n’a pas signifié que le travail était moins dangereux ou moins pénible, mais a diminué considérablement le nombre de dockers (61).

Les changements intervenus sur la côte ouest des Etats-Unis, avec le syndicat dirigé par Harry Bridges, ont abouti à un contrat collectif impliquant des concessions importantes en faveur des patrons et entraînant une bureaucratisation du syndicat, dans le but d’imposer le contrat à ses adhérents pour qu’ils acceptent les nouvelles règles d’embauche et de travail.

Dans les années 1950, l’introduction des premières formes de l’automation se répandit rapidement. Le contrôle numérique devint la nouvelle technologie dans la métallurgie. Qui rendit cela possible ? Un soutien massif de l’armée de l’air, autrement un soutien gouvernemental, aida en prescrivant la forme que cette technologie devait prendre. Il n’y avait pas besoin d’être compétitif. La voie de l’automatisation totale qu’ouvrait le contrôle numérique , comme la possibilité de substituer le capital fixe au travail, n’est pas toujours rationnelle, particulièrement dans les cas où le financement gouvernemental n’impose pas absolument une réduction des coûts de production. La raison technique de l’intérêt des forces aériennes pour ce processus était de trouver des procédés pour usiner les pièces d’avion aux formes bizarres que l’on ne pouvait exécuter avec les machines traditionnelles. Mais la technologie peut aller dans deux directions. L’une consisterait à confier au métallo la possibilité de prendre des décisions concernant son travail. " Alors, l’idéologie du contrôle se fait jour plus clairement en tant que force motivante, une idéologie dans laquelle on trouve le summum de la méfiance envers les capacités de l’homme, dans laquelle tout jugement humain est assimilé à une "erreur humaine" (62). " Chez General Electric, une méthode bien différente fut choisie. Les machines à contrôle numérique furent considérées comme faisant partie d’un système de management, pas comme une simple technologie du travail du métal. Ce système remplaçait les métallos indisciplinés par un presse-bouton docile.

Reprenant l’argument de Harry Braverman dans Labor and Monopoly Capital (63), Philip Kraft affirma que la programmation par ordinateur montrait que l’argument selon lequel la nouvelle technologie élevait les qualifications ne tenait pas debout. Tout d’abord, " "programmeur" était un terme global appliqué à tous responsables de tout un éventail d’activités requises pour faire tourner un ordinateur. Le défaut de qualifications et de titres précis et bien définis indiquaient l’absence d’une division claire dans le travail de programmation ". Chaque programmeur fait plus ou moins la même chose que n’importe quel autre programmeur. La programmation fut rapidement divisée et subdivisée jusqu’à ce que le travail qui était à ses débuts accompli par des femmes hautement qualifiées était maintenant partagé entre hardware (matériel) et software (logiciel) avec des hommes prenant solidement les travaux les plus qualifiés. Ces tendances à la fragmentation, à la modulation et à la déqualification du travail " remettaient en question la prétention bien affirmée des avocats de la technologie que les technologies de plus en plus sophistiquées sur les lieux de travail créaient des emplois meilleurs que ceux qu’elles déplaçaient. La transformation de la programmation en production de logiciels montre que même les tâches les plus complexes peuvent être simplifiées (64) ". Il disait aussi quelque chose sur la manière dont le travail des femmes était avili.

Les sources de satisfaction au travail

On trouve un des meilleurs exemples de satisfaction au travail qui puisse être donné dans tout le procès de production dans un entretien de Stud Terkel avec un tailleur de pierre, Carl Murray Bates. Cet homme aime discuter de son travail en précisant ses sentiments sur la productivité et son utilité, le planning et le contrôle qu’il exerçait sur ce qu’il fait, et de son orgueil quant à la qualité de son ouvrage :

" Il n’y a pas une maison dans la région que je n’ai bâtie et que je ne regarde pas chaque fois que je passe dans le coin... Je puis m’arrêter là maintenant et réellement dans ma tête, en voir tant et tant que vous ne le croiriez pas... Je ne puis imaginer un travail devant lequel, après être rentré à la maison, vous repasseriez un an après, et que vous ne reconnaîtriez pas. Mon travail, je puis le voir dès le premier jour où je l’ai commencé. Tout mon travail est là au grand air et je peux le regarder quand je passe devant. C’est une chose que je peux voir toute ma vie‚ a fait quarante ans que j’ai monté mes premiers immeubles, j’avais dix-sept ans (65). "

Et ce contentement d’un cheminot sur son travail comprenait l’espèce de satisfaction qu’il éprouvait à continuer la même activité et à savoir combien son travail avait été bon :

" Quand je conduis cette locomotive, je le fais de la manière dont elle veut être conduite. Quelques collègues étaient des vrais porcs ; ils conduisaient leur machine comme ils auraient conduit n’importe quoi. Mais j’étais différent, j’essayais de trouver si cette machine avait besoin d’un aménagement ici ou là. Et cette machine que j’ai aujourd’hui, je puis l’avoir aussi demain et ce sera différent. Regardez, c’est juste comme une personne, aujourd’hui vous vous sentez bien et vous pétez le feu ; demain vous ne vous sentirez pas si bien. C’est une machine à vapeur. Eh bien, on doit réfléchir ; peut-être qu’aujourd’hui elle marche au poil et que demain quand je la prendrai elle sera à moitié bouchée et ne répondra pas bien à la vapeur (66). "

Les sentiments exprimés par ces deux professionnels, on ne les trouve plus que chez une minorité de travailleurs. Que tout le monde voudrait vivre une telle expérience, qui lui est refusée dans le travail, on peut le voir dans le fait que nombre de gens ont des hobbies qui, parfois, sont beaucoup plus fatigants que leur travail. D’autres ont des hobbies semblables à leur travail. C’est même si fréquent que l’expression " busman holiday " a été inventée pour le décrire. De plus, il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles des gens accomplissent des travaux gratuitement parce qu’ils sont intéressés, parce qu’ils cherchent des évasions sociales.

Au cours de leur travail, les travailleurs discutent souvent des techniques qu’ils pourraient employer pour surmonter l’ennui, la monotonie et le sentiment de frustration causés par le manque de contrôle sur leur propre vie. Comme il a été dit précédemment, une guérilla souterraine fait partie du quotidien de la vie en usine, une lutte qui n’est pas seulement défensive mais est souvent tout autant offensive par nature et est utilisée par les travailleurs pour endiguer l’aliénation.

La réponse des travailleurs à ce qu’est la vie au travail est à la fois individuelle et collective. Elle implique une guerre sur la nature même du travail (ce qu’on verra dans le chapitre 4), des tentatives pour rendre ce travail plus humain (ce qu’on verra dans le chapitre 5) et une guerre du travailleur avec lui-même (ce qu’on verra dans le chapitre 6).

M. G et S. F.

(à suivre.)

(Les notes figurent dans un fichier à part.)

Le livre Travailler pour la paie :les racines de la révolte (163 pages, 17 euros) peut être commandé aux éditions Acratie, editionsacratie@minitel.net