Ce texte est paru dans Echanges n° 120 (printemps 2007), avec une revue des publications sur la situation dans l’industrie automobile
Le 28 février, les ouvriers de Magnetto, le secteur Presses-Emboutissage devenu depuis 2004 un sous-traitant de l’usine Peugeot-PSA d’Aulnay-sous-Bois (banlieue nord-est de Paris, autrefois très industrielle) travaillant comme souvent aujourd’hui sur le site même de l’usine mère, obtiennent après cinq jours de grève – sous la pression de PSA qui craint aussi la paralysie de son site espagnol dépendant de pièces embouties à Aulnay – une augmentation mensuelle de 100 euros net. Le même jour, certains syndicats de PSA signent un accord avec la direction de PSA pour une augmentation de 1,6 % soit 26 euros mensuels.
Cette coïncidence déclenche une grève qui ne touche pas la totalité de l’usine (près de 5 000 travailleurs) : 400 à 500 ouvriers débraient, à l’appel de certains syndicats (CGT, dont la section de l’usine est aux mains de Lutte ouvrière, et Solidaires [Sud]) en revendiquant pour 300 euros (1 525 euros net mensuels à l’embauche), le départ en préretraite à 55 ans (600 travailleurs) et l’embauche ferme des intérimaires (700 ouvriers). Un comité de grève est constitué avec la participation de l’ensemble des syndicats ouvriers. C’est lui qui organise diverses manifestations traditionnelles (regroupement devant le siège social de PSA ou défilé, samedi 24 mars, à Paris, rendez-vous avec le préfet de Seine-Saint-Denis...) et la solidarité (1). Les tentatives d’étendre la grève dans les autres usines PSA, si elles montrent les formes habituelles de solidarité en paroles et financières, n’entraînent pas une solidarité active par la grève. Un seul sous-traitant d’Aulnay se met en grève pour obtenir les mêmes concessions que Magnetto (Lear, assembleur de sièges pour les Citroën C2 et C3).
Mardi 10 avril, les grévistes ont voté en assemblée générale la fin de leur mouvement, en signant un accord de fin de conflit, La grève n’était pas une grève bouchon : les chaînes de montage ont continué de tourner, mais avec une production réduite ; pour briser la grève, PSA embauche des intérimaires (ce qui lui a été interdit par un jugement [2]) et a fait venir des ouvriers sûrs des autres usines françaises moyennant une prime de 750 euros par semaine. En fait, après plus d’un mois de grève, la direction, refusant toute concession importante, semble compter sur le pourrissement du conflit.
En mars 2005, après douze jours d’une grève motivée par la réduction de la paie qu’entraînait la multiplication des jours de chômage technique, la direction de la même usine avait accepté de payer à 100 % ces jours « chômés » et, de plus, le paiement des jours de grève. Pourtant, la grève n’avait guère plus mobilisé que le même noyau de travailleurs et ne s’était pas plus étendue aux autres usines du groupe.
Si la grève actuelle avait dû s’étendre, dans l’usine d’Aulnay et dans les autres usines du groupe (notamment Rennes en Bretagne et Sochaux dans l’Est) où les travailleurs connaissent des problèmes identiques, ce ne sont pas les manœuvres de la direction qui auraient pu prévenir une extension qui n’aurait pas été alors seulement un mouvement de solidarité, mais une grève pour les mêmes revendications.
On peut dès lors se poser quelques questions :
– la situation du marché automobile est-elle en France si morose que PSA pouvait laisser courir, puisque la réduction de production n’est pas un drame (3) et que de plus, comme toute multinationale possédant des usines partout dans le monde, le groupe a pu compenser sur le marché cette réduction de production sans que cela perturbe ses profits (ce qui n’aurait pas été le cas en 2005) ?
– la grève n’a-t-elle pas été déclenchée trop vite, sous la pression du succès de Magnetto, mais avec un noyau au départ certes important de 500 grévistes mais qui n’a jamais évolué en cinq semaines de conflit ? Grévistes et non-grévistes encadrés militairement sur le terrain occupé par une direction omniprésente, qui a bien senti tout l’intérêt de pousser les grévistes hors du site dès les premiers jours du conflit ; grévistes tout occupés ensuite à tenter en vain de généraliser la grève à d’autres usines ?
– la période électorale peut-elle expliquer, en partie tout au moins, le lancement syndical de la grève ? De toute façon, même si cela n’a pas joué ce rôle dans le déclenchement du conflit, elle a servi de « vitrine sociale » à tous les candidats de gauche et d’extrême gauche qui sont venus, à grand renfort de médiatisation, apporter un « soutien » de bonnes paroles savamment orchestré.
Etant donné les promesses largement et gratuitement distribuées par pratiquement tous les candidats pour un relèvement substantiel du salaire minimum, les résistances patronales ne sont-elles pas commandées par l’intérêt général du capital en France : des concessions relativement importantes sur les seuls salaires, précisément dans une telle période de surenchères, ne risquaient-elles pas de déclencher un mouvement de plus grande ampleur ?
Selon les propos d’un délégué CGT rapporté par Libération du 11 avril, « on a glané cinq jours de grève payés, aucune sanction, 50 % de prime transport et un salaire aux intérimaires le 1er du mois au lieu du 15... Mais on a construit un truc unique, six semaines de grève dans une boîte privée pour des salaires, c’est du jamais-vu depuis près de vingt ans. » Nous reviendrons sur ce mouvement et ses ambiguïtés dans le prochain bulletin.