Arturo Peregalli
FEMME, FAMILLE ET MORALE SEXUELLE et Parti communiste italien (1946-1970)
Ferme résolution contre le divorce
L’une des premières préoccupations du nouveau Parti communiste italien (PCI), dès qu’il émergea de la clandestinité, fut de souligner avec force sa fidélité à l’institution de la famille, dans sa version bourgeoise national-populaire. Si, au cours des meetings, ses dirigeants soutenaient qu’ils avaient des projets « différents » dans le domaine des rapports matrimoniaux, dans la réalité leurs positions étaient essentiellement conservatrices et se différenciaient bien peu des attitudes petites-bourgeoises en vogue à cette époque en Italie.
En effet, les dirigeants communistes se souciaient particulièrement de maintenir la stabilité du mariage, qu’ils considéraient comme l’un des pivots des institutions de la société italienne construites durant les longues années de domination de la bourgeoisie. Avant même de revenir en Italie, Palmiro Togliatti s’était empressé d’exposer sa pensée dans le journal L’alba [L’Aube], édité en Russie pour les prisonniers italiens, et il y accusait le fascisme de ne protéger la famille qu’en paroles(1). Dans cet article, il était implicite que, si le fascisme n’avait pas réussi à protéger l’institution familiale, le communisme russe, lui, la soutenait très concrètement.
Noi Donne [Nous, les femmes], organe de l’organisation communiste Unione Donne Italiane (UDI) [Union des femmes italiennes], reliait, dans son premier numéro « légal » du 10 juillet 1944, la question de la famille non pas à une conception socialiste, mais à une vision nationale : « Nous voulons reconstruire notre famille, y soulignait-on avec force, et c’est pourquoi nous sommes directement intéressées par tous les problèmes de la vie nationale. » Dans cette publication, les problématiques sociales féminines étaient naturellement ignorées, mais ses pages étaient remplies d’articles qui allaient de la glorification de la femme partisane jusqu’à des recettes de cuisine.
La femme soviétique était présentée comme un exemple à imiter, dont on faisait continuellement l’éloge pour sa sujétion au régime stalinien. Le modèle de famille proposé par le Parti communiste italien correspondait exactement au modèle russe : morale rigide, progéniture nombreuse et attachement indéfectible à la patrie. Du moins, telle était la propagande en vigueur. C’est dans ce but que, le territoire à peine libéré, l’on chercha à utiliser les délégations soviétiques envoyées au fur et à mesure en Italie méridionale. En octobre 1944, par exemple, quatre délégués syndicaux russes firent une tournée de propagande.
À Reggio di Calabria, au cours de pompeuses manifestations, ils ne manquèrent pas d’exalter et de proposer en exemple la famille russe, qui, selon eux, était « protégée et respectée car elle est un des piliers de la société soviétique(2) ».
En 1945, la guerre terminée, le PCI publia un opuscule intitulé La Famille, le divorce, l’amour, dont l’auteur, Rita Montagnana, était membre du Comité central, responsable de la section féminine du Parti, directrice de Noi Donne… et encore l’épouse de Togliatti(3). Cet écrit devait circuler à des dizaines de milliers d’exemplaires dans les sections et les cellules communistes afin que la base connaisse l’opinion de la direction sur un sujet considéré comme très important à ce moment-là. Quelle en était la conclusion principale ? L’unité de la famille était l’élément central sur lequel reposait la société italienne et devait donc être défendue avec ténacité. La légalisation du divorce risquait d’attenter à cette unité. Rita Montegnana affirmait très clairement : « La revendication du divorce n’est pas comprise par la grande majorité des femmes, en particulier celles du peuple, qui y sont résolument hostiles. Pourquoi devrions-nous, nous les communistes, qui sommes pour la démocratie, poser aujourd’hui une telle revendication ? (…) Du reste, si les femmes sont aujourd’hui contre le divorce, cela prouve leur intelligence et leur sensibilité politique et nationale(4). »
Cette brochure laisse entendre que le divorce pourrait être employé par les hommes pour se débarrasser de leurs épouses. Contribuant à répandre des craintes inutiles parmi les femmes, cet argument anticipe celui utilisé par les partisans catholiques de l’abrogation du divorce quelques décennies plus tard, dans les années 1970, lors de la campagne pour le référendum.
Péremptoire, la conclusion de Montagnana ne laissait aucune place au doute : « Il n’est venu à l’esprit d’aucune d’entre nous, vraiment aucune, de parler de divorce(5). »
A première vue, cette manière de prendre position par rapport à la famille pourrait sembler une attitude uniquement tactique : le Parti n’avait-il pas besoin de s’affirmer parmi les masses catholiques, dont une partie importante se reconnaissait ouvertement dans la Démocratie chrétienne ? Ne voulait-il pas gagner les bonnes grâces de la hiérarchie ecclésiastique ? En réalité, cette conception de la famille n’était pas du tout étrangère aux idées que les communistes italiens avaient assimilées au travers de l’expérience de l’Union soviétique, pays qui, depuis les années trente, avait manifesté des tendances de plus en plus réactionnaires(6). En ce qui concerne les droits de la femme, la restauration stalinienne s’accompagna d’un tournant idéologique résolument régressif : la propagande officielle identifia la femme à son rôle maternel, alors que le divorce était présenté comme un mal auquel on ne devait recourir que dans les cas exceptionnels.
Il est significatif que l’épouse de Togliatti, lorsqu’on lui demandait si les communistes étaient par principe opposés au divorce, répondait : « Nous estimons que l’on ne devrait en arriver au divorce – lorsqu’il y a des enfants – que dans les cas extrêmes, tout comme l’on se résoud à amputer un membre s’il y a danger de mort pour le patient(7). » Et d’ajouter : « C’est ce qui se passe aujourd’hui en Union soviétique. Bien que l’on y admette le divorce, on fait tout ce qui est possible pour en limiter le nombre et ressouder toujours davantage les liens familiaux(8). » De toute façon, même ce divorce « restreint » n’était considéré ni comme actuel ni comme opportun pour l’Italie de cette période.
Les communistes étaient donc favorables à la « défense de la famille » telle qu’elle était à ce moment-là. Malgré tout, comme ils devaient se distinguer politiquement des catholiques, ils cherchaient à souligner qu’ils souhaitaient une famille « fondée sur des bases nouvelles », dans une société elle aussi « profondément transformée ». Cependant, ils se gardaient bien de spécifier comment cette société nouvelle aurait dû être structurée et quelles en seraient les bases. Par conséquent, tout restait à l’intérieur d’une description volontairement générale et vague. En réalité, le seul exemple positif proposé était, comme toujours, l’exemple soviétique.
En effet, Montagnana ajoutait : « En URSS, les jeunes garçons et les jeunes filles sont éduqués selon les principes d’une saine morale. (…) Une jeunesse qui se consacre entièrement, comme la jeunesse soviétique, au travail, à l’étude, au sport, à l’art et à la défense de sa patrie lorsque celle-ci est attaquée, n’est pas tentée par une vie dissolue mais par une vie sévère et honnête(9). »
Toujours la même année, le 5 juin, Togliatti abordait ce même thème à la première conférence féminine du PCI. Après avoir parlé de la nécessité de l’émancipation de la femme, il expliquait : « Dans un pays profondément bouleversé (…) nous avons particulièrement besoin de reconstruire et de défendre l’unité de la famille. (…) C’est pourquoi nous refusons de dresser le moindre obstacle qui pourrait briser ou affaiblir l’unité de la famille. (…) Nous avons besoin de défendre la famille, enfin, pour résoudre les problèmes de l’enfance(10). »
En employant des expressions plus sophistiquées mais identiques quant à la substance, le secrétaire général du Parti proposait les mêmes thèses que son épouse. Il cherchait à émouvoir les femmes italiennes, mais ce procédé ne servait qu’à noyer le poisson : « En Italie, trop d’enfants marchent pieds nus, ont perdu leurs parents, souffrent, ne mangent pas à leur faim, se corrompent. Si on ne les sauve pas de leur situation catastrophique, ils ne pourront pas devenir des jeunes robustes, des hommes audacieux et courageux. »
En définitive, Togliatti exprimait des idées qui contredisaient les thèses formulées dans la première partie de son discours dans lequel il avait vaguement évoqué l’« émancipation féminine », et qui confirmaient la position, de fait, subordonnée de la femme au sein de la famille.
L’attitude strictement négative du PCI à l’égard de la légalisation du divorce se durcit encore lorsque le problème sembla devenir d’actualité. En 1946, à Trieste, le gouvernement allié, qui contrôlait encore le territoire, avait chargé un avocat d’élaborer un projet de loi prévoyant la réintroduction du divorce dans la Vénétie julienne. (En effet, le droit au divorce existait dans cette région jusqu’à l’avènement du fascisme, dans la mesure où elle appartenait à l’Autriche.) Ainsi, plus tard, la Vénétie aurait servi de « modèle » pour étendre éventuellement la réforme à toute l’Italie. Le 16 septembre, le projet de loi était prêt, mais il ne fut jamais discuté. Il n’est pas exclu que le gouvernement militaire allié ait été soumis aux pressions de certaines institutions : celles-ci lui auraient fait observer l’inopportunité d’introduire l’institution du divorce dans une zone destinée à constituer, en tant que futur territoire italien, un précédent indésirable pour tout le reste du pays(11).
Le PCI se garda bien de profiter de l’occasion offerte par la décision alliée pour en demander la mise en œuvre et l’extension à toute l’Italie. Au contraire, la nouvelle députée catholique Leonilde (Nilde) Iotti, à peine élue comme indépendante sur les listes du PCI pour la Constituante, publia, précisément au mois de septembre, dans la revue théorique du PCI, Rinascita [Renaissance], un article intitulé « La famille et l’État(12) ». Dans ce texte, elle insistait sur la valeur de la famille, ce « noyau primordial sur lequel les citoyens et l’État peuvent et doivent s’appuyer pour le renouveau matériel et moral de la vie italienne ». Selon elle, la crise de l’État italien d’après-guerre menaçait la « saine moralité » du peuple, moralité qui, jusqu’à présent, « s’était manifestée particulièrement dans le cadre de la famille ». Afin que l’on ne se méprenne pas, et pour que sa pensée et celle du Parti soient mieux comprises, la future compagne du secrétaire général expliquait très pesamment : « Quant à l’indissolubilité du mariage, nous jugeons inopportun de la mettre en discussion, surtout du fait des considérations déjà développées concernant la nécessité du renforcement de l’institution familiale(13). »
L’intervention d’Iotti fut soutenue, peu après, par Umberto Terracini lui-même qui, dans un meeting à Terni, définit le divorce comme un problème intéressant essentiellement les riches, un luxe bourgeois dont étaient privés les prolétaires(14). Et puisque c’était une disposition légale à laquelle seuls les riches pourraient accéder, le Parti demandait qu’elle soit refusée à toutes les couches de la population.
Avec ces interventions énergiques, les communistes dévoilaient leur aversion pour un régime qui existait dans tous les pays civilisés du monde sauf, en Europe, l’Espagne fasciste et l’Irlande arriérée.
Au cours du débat sur l’article 29 de la Constitution, concernant l’organisation de la famille, débat qui eut lieu en avril 1947 à la Constituante, Togliatti affirma que son parti était opposé à l’insertion dans la Constitution du terme « indissoluble ». Ce concept aurait, en effet, pu apparaître comme une prise de position en faveur de la possibilité de dissolution du mariage, du moins dans l’avenir. En réalité, le problème de Togliatti était éminemment juridique ; il voulait uniquement que la Constitution ne mentionne pas l’indissolubilité du mariage parce que, au fond, sur le problème du divorce, le Parti était d’accord avec les catholiques. « Nous ne voulons pas du divorce, précisa le dirigeant du PCI à cette occasion, mais nous ne voulons pas non plus que l’on inclue la déclaration d’indissolubilité du mariage dans cet article de la Constitution(15). »
Le débat qui se déroula à propos de l’article 29 illustra bien la façon dont les communistes, pour se refaire une virginité, n’hésitèrent pas, à des époques plus récentes, à s’approprier les batailles des autres. L’article de la Constitution concernant la famille stipulait : « La République reconnaît les droits de la famille en tant que société naturelle fondée sur le mariage. » Le texte original du même article présenté par les démocrates-chrétiens affirmait reconnaître « les droits de la famille, société naturelle fondée sur le mariage indissoluble ». Togliatti, en collaboration avec Nilde Iotti et Maria Maddalena Rossi, déclara, comme nous l’avons déjà dit, qu’il considérait que le terme « indissoluble » ne devait pas être inséré dans le texte constitutionnel, « mais ils s’abstinrent de chercher à le supprimer par crainte d’offenser la Démocratie chrétienne(16) ». Il revint au parlementaire Umberto Grilli de présenter un amendement qui supprima le terme indésirable. Le Parti socialiste italien (PSI) et le PCI se sentirent alors obligés d’appuyer cet amendement qui passa grâce à trois voix de majorité, et uniquement parce que 170 membres de l’Assemblée (y compris beaucoup de démocrates-chrétiens) étaient absents.
Dans une longue interview recueillie par le journaliste Pasquale Balsamo, Terracini présenta la suppression du terme « indissoluble » comme le résultat d’une « belle bataille, commencée à titre personnel par notre camarade Umberto Grilli ». Et Terracini toujours, répondant à la question : « Comment se fait-il qu’un constituant communiste ait présenté un amendement aussi radical ? », affirmait que « ce camarade, modeste mais irréductible dans ses convictions, sut saisir au vol une grande occasion pour mettre en œuvre une "affirmation de principe"(17) ». En réalité, l’héroïque « camarade » Grilli n’était pas du tout communiste : au moment de la discussion plénière de l’article 29, ce socialiste de droite était déjà passé dans les rangs du Parti socialiste des travailleurs italiens (PSLI) de Giuseppe Saragat(18).
Le PCI contribua ainsi de manière significative, durant ces années d’intense activité législative, à maintenir une organisation arriérée, archaïque de la famille, organisation qui, surtout, ne correspondait en aucune façon à la société italienne. Il persista à défendre la valeur de l’« unité familiale » et les fonctions pédagogiques et moralisatrices de la famille indivisible. Il est vrai cependant qu’aucun groupe politique, à l’Assemblée constituante, ne se mobilisa particulièrement pour imposer une législation favorable au divorce. Et les démocrates-chrétiens n’eurent pas à affronter des députés fermement décidés à introduire le divorce, mais seulement des parlementaires qui refusaient que le principe de l’indissolubilité soit inscrit dans la Constitution.
Togliatti déconseillait aux militants de se mettre à discuter du divorce sous prétexte que le pays avait des problèmes bien plus importants à résoudre ; il présenta à l’approbation de la sous-commission la motion suivante : « La première sous-commission, constatant que personne n’a proposé de modifier la législation en vigueur pour ce qui concerne l’indissolubilité du mariage, ne considère pas opportun d’aborder cette question dans le texte constitutionnel(19). »
La position du PCI était donc très claire : inutile d’aborder le sujet brûlant du divorce ; en revanche, le Parti ne prenait pas position contre l’indissolubilité du mariage, il se contentait d’affirmer qu’il ne s’agissait pas d’« un problème constitutionnel ».
Il pourrait sembler que Togliatti, par son attitude, voulait laisser une porte ouverte, de façon à ne pas bloquer constitutionnellement l’organisation de la famille. Mais la réalité est autre, tant il est vrai que l’indissolubilité du mariage fut ensuite sanctionnée par la Constitution elle-même, grâce aux accords du Latran rappelés dans l’article 7 de la Constitution italienne, article voté aussi par les communistes. « Aujourd’hui, se demanda La Civiltà Cattolica [La Civilisation catholique], pourrait-on introduire le divorce en Italie sans violer les accords du Latran(19 bis) ? Beaucoup le nient, et ils ont totalement raison, parce que le divorce est manifestement contraire à l’esprit et, du moins en un certain sens, à la lettre des accords solennellement admis et reconnus par la Constitution dans l’article 7(20) ». Pie XII lui-même, assurément peu reconnaissant envers les communistes, admettait, dans un discours adressé à un congrès de juristes en 1949 : « Grâce à Dieu, votre devoir est ici considérablement allégé par le fait qu’en Italie le divorce, cause de tant d’angoisses intérieures mais aussi d’angoisses pour les magistrats qui doivent appliquer la loi, le divorce, disais-je, n’a pas droit de cité(21). »
Ce n’était pas seulement grâce à Dieu que le divorce n’avait pas été introduit en Italie, mais aussi grâce aux communistes. « L’adhésion du PCI à des modèles culturels mais aussi à des principes moraux absolus et traditionnels, écrit l’Américain Stephen Grundle, avait des motivations politiques précises. » Cependant, elle révélait aussi « une perspective générale inconciliable avec la structure sociale qui commençait à émerger au milieu du XXe siècle. Au cours des années suivantes, lorsque le développement économique provoquera des changements à tous les niveaux de la société italienne, le Parti se trouvera de plus en plus prisonnier de son propre conservatisme (22) ».
De nombreuses années s’écoulèrent avant que les dirigeants communistes ne commencent à comprendre que la société italienne ne pouvait plus supporter une condition matrimoniale aussi arriérée. Valdo Magnani, qui entre autres était un cousin de Nilde Iotti, fut interviewé en 1980 mais, ce n’est pas un hasard, cet entretien ne fut publié qu’après sa mort en 1988(23). Dans ce texte, il rappelle que, si les réformistes soulevaient le problème du divorce et présentaient des projets de loi à ce sujet, les communistes, eux, continuaient à être rigoristes, parce qu’ils voulaient précisément se présenter comme des conservateurs aux yeux du pays.
A cette époque quelle était l’image de la femme présentée dans la presse communiste ? Celle-ci vantait les vertus du foyer, de l’unité forcée de la famille et de l’épouse « mère de famille ». À l’occasion du 8 mars 1949, par exemple, Vie Nuove [Voies nouvelles], appelait les femmes à se mobiliser au nom de la famille et du foyer, à participer à « la lutte quotidienne de la vie », puisqu’elles étaient « des mères, des épouses, des filles, des compagnes d’hommes » que cette lutte faisait aller de l’avant (24). Deux ans auparavant, toujours à l’occasion de l’échéance du 8 mars, Noi Donne avait évoqué la fête joyeuse qui se déroule « dans les pays vraiment démocratiques où la femme participe activement à la vie politique et économique, tout en restant une mère respectée et aimée(25) ».
Les conseils que les différentes rubriques des journaux communistes prodiguaient à leurs lectrices frisaient le conservatisme le plus obtus, et ils auraient pu très bien paraître dans des publications catholiques comme Famiglia cristiana [Famille chrétienne]. Une lectrice de Catanzaro, par exemple, écrivait que son mari la trompait, et elle demandait : « Que puis-je faire ? Me chercher moi aussi une liaison ou rester fidèle à mon mari ? » Quelle fut la réponse ? « Sois gentille avec ton mari, prépare-lui toujours de bons petits plats, tiens-lui toujours prêts des habits propres et repassés, fais-lui savoir que tu as l’intention d’entreprendre une activité quelconque pour te sentir occupée, montre-toi intelligente et compréhensive. Je suis sûre que les rapports avec ton mari s’amélioreront(26). »
C’est cette même attitude que prônait Renata Viganó qui signait, à partir de mars 1951, la rubrique « Poste restante » dans le périodique de l’UDI. Elle répondait ainsi à une malheureuse lectrice vivant à Reggio Emilia : « Tu ne dois pas partir. Tu ne peux pas quitter la maison de ton mari. Votre fille a le droit d’être épargnée, sa petite vie est une chose douce et innocente qu’il faut sauvegarder. Patience, ma bonne amie, le temps est un grand remède(27). »
Trois semaines auparavant, du reste, la même journaliste, en réponse à une lettre analogue en provenance de Piombino, avait donné le conseil suivant : « Supporte, sois bonne, patiente, pense toujours à l’avenir de tes gosses (…). Je comprends que c’est là te demander un sacrifice permanent, mais la vie est ainsi — en particulier pour les épouses et les mères, dans l’intérêt et pour l’amour de leur mari et de leurs enfants(28). » En somme, comme l’affirmait le courrier du cœur dans la même revue : « Mieux vaut une famille mal faite qu’une famille défaite(29). »
Si, dans certains cas exceptionnels, on s’aventurait à conseiller la séparation d’avec le mari parjure, en revanche l’unité de la famille était toujours présentée comme une valeur inestimable.
Dans les années 1950, apparurent quelques rares prises de position en faveur du divorce. Elles ne provenaient jamais des dirigeants du Parti mais de certains journalistes de second plan. Au cours de l’année 1953, par exemple, Vie Nuove soutint timidement l’opportunité du divorce(30). Toutefois, l’orientation qui prévalait était celle exprimée dans Les Courtes Leçons de Zetkin. Dans cet ouvrage, les communistes reconnaissaient, au niveau des principes, « la justesse du droit au divorce », mais en repoussaient l’introduction en Italie. En effet, il fallait d’abord créer les conditions grâce auxquelles le divorce pourrait effectivement contribuer « à assurer à la femme sa complète indépendance personnelle » et ne constituerait pas « au contraire un privilège ou un motif de licence » comme cela était le cas « dans la société bourgeoise(31) ».
Parfois, l’avortement et le divorce étaient abordés sous l’angle de l’excommunication et avec le sinistre langage qu’affectionnait le stalinisme. Dans un article de L’Unità [L’Unité], Giulio Trevisani rappelait que beaucoup d’eau était « passée sous les ponts de la Volga et du Don » depuis l’époque où sévissait une morale plus désinvolte, c’est-à-dire depuis les années qui avaient suivi immédiatement la révolution d’Octobre. Et l’eau qui courait en ce moment dans le canal formé par ces deux fleuves était on ne peut plus limpide, parce que, depuis de nombreuses années, elle avait été « épurée des soi-disant trotskistes [sic] qui la polluaient ». L’avortement en Union Soviétique, expliquait Trevisani, « est aujourd’hui un délit grave, et la pratique du divorce y est bien éloignée du laxisme américain, puisque, même si les conjoints sont d’accord, le tribunal peut ne pas l’accorder(32) ».
En 1956, la Commission féminine nationale proposa au Parti de revoir partiellement sa position sur le divorce(33), mais, à l’évidence, rien ne se passa. Cinq ans plus tard, Giorgio Amendola écrivit que les modifications de la structure de la famille contribuaient à libérer les femmes et donnaient naissance à « de nouvelles mœurs, une nouvelle conscience et une nouvelle morale(34) ». Ce qui ne voulait pas dire que le PCI était prêt à abandonner sa position réactionnaire sur le divorce, mais seulement que les premières fissures commençaient à apparaître dans l’ancienne orientation.
Ce fut en 1964, à l’intérieur de l’UDI, que l’on entreprit finalement de soulever la question du divorce. Les jeunes de l’organisation mirent le problème sur le tapis. Cette année-là, au cours d’une réunion qui se tenait au théâtre Brancaccio de Rome, ils demandèrent ouvertement que soit votée une résolution en faveur de l’introduction du divorce dans la législation italienne.
La question était devenue pressante et, à cette période, le sujet commençait à être débattu de plus en plus fréquemment dans l’opinion publique. Les quotidiens et les hebdomadaires non communistes lui consacraient beaucoup d’enquêtes et de sondages. On organisait des tables rondes et des réunions d’étude sur ce thème. Le PCI, lui, continuait à exalter les vertus de la famille monogame soviétique, fondée sur un moralisme rigide et le sacrifice pour le bien de la collectivité. Ce n’est pas par hasard si la requête des jeunes militantes de l’UDI rencontra l’opposition de la plupart des adhérents du Parti, qui la rejetèrent.
Même à l’intérieur du PCI, cependant, certains commencèrent à comprendre que l’on ne pouvait plus écarter un problème aussi sensible pour une partie de la population. Luciana Castellina, qui travaillait à la section féminine, convainquit Nilde Iotti d’organiser une réunion sur le thème Famille et société dans l’analyse marxiste, thème qui permettait d’affronter la question du divorce sans toutefois l’admettre explicitement.
De nombreux dirigeants communistes participèrent à ce colloque qui se tint en mai 1964. Dans son discours introductif, Luciana Castellina critiqua l’organisation de la famille italienne. Lorsqu’elle eut fini son intervention, Pietro Ingrao s’approcha d’elle et lui murmura : « Tu es folle de parler comme ça, maintenant ça va être le bordel dans le Parti(35). » Au cours des interventions suivantes, Emilio Sereni polémiqua vivement avec Umberto Cerroni(36). Dans Rinascita, Giuseppe Chiarante publia un compte rendu au ton autocritique : « L’involution stalinienne a sans aucun doute pesé à cet égard aussi sur la ligne des partis communistes occidentaux, en déterminant un retard indéniable aussi bien dans l’élaboration théorique que dans l’initiative politique. (…) Il est évident que la bataille doit commencer par les sujets les plus brûlants, tels que l’égalité de la femme et du mari, le divorce, la position des enfants illégitimes. »
Cet aveu apparaissait comme une défaite de l’orientation familiale traditionnelle, et tenace, du PCI. À l’inverse, sur la même page, un long article de Togliatti, mis en valeur par un titre coloré de rouge et intitulé « Quelques observations en marge », s’opposait frontalement à l’intervention de tendance libérale de Chiarante : « S’ils sont rigoureux, les textes écrits à cette occasion manquent malheureusement d’une perception adéquate de la réalité », argumentait le secrétaire général, qui notait en outre « d’évidentes contradictions et incertitudes dans la formulation de la voie du renouveau ».
Togliatti ne niait évidemment pas la nécessité d’une réforme « profonde » de la famille. Le travail des femmes rendait indispensable cette réforme, qui malgré tout n’était pas suffisante : « Examinons les pays profondément différents du nôtre, où la grande majorité des femmes travaillent, mais où la famille ne s’est pas radicalement transformée ; des normes juridiques plus avancées et encore inconcevables chez nous (concernant le divorce, les enfants illégitimes et l’égalité) ont en partie assaini l’atmosphère morale de la famille mais elles n’en ont pas modifié la structure fondamentale(37). »
Comme on le voit, en 1964, le divorce, déjà introduit dans tous les pays civilisés depuis de très nombreuses années, était pour Togliatti une réforme « encore inconcevable » en Italie ; et même s’il était introduit, cela ne contribuerait en aucun cas à l’« assainissement » de l’atmosphère morale de la famille. C’est pourquoi, on ne parvient pas à comprendre la nature de la « profonde réforme » dont avait besoin la famille italienne, et que Togliatti invoquait à grand bruit. Selon lui, il fallait créer entre les femmes et les hommes une « nouvelle conscience », une nouvelle conception des rapports familiaux. Le contenu de ces belles paroles n’était clair que pour le secrétaire général, vu qu’il excluait l’intervention de nouvelles lois et que son Parti lui-même s’était bien gardé de définir une politique visant au développement d’une famille « rénovée ».
Togliatti insistait enfin sur le fait que « la famille a été, jusqu’à présent, un des lieux principaux de la formation de la personne et de l’homme », et il prévenait : « Nous ne devons pas avoir peur d’affronter la question, y compris sur le plan de la moralité. C’est pourquoi, les positions qui débouchent sur une sorte d’indifférence quasi anarchiste face à n’importe quelle forme de prétendue liberté sexuelle, sont non seulement erronées, mais aussi négatives et sans résultat. »
Togliatti « était resté attaché à une analyse de la société italienne qui ne correspondait plus à la réalité. Les transformations sociales avaient aussi impliqué profondément les couches populaires (…) mais pour Togliatti une réforme comme celle du divorce représentait une exigence concernant uniquement les couches moyennes. (…) Il continuait à répéter que la réforme du divorce allait à l’encontre des intérêts de la femme italienne, puisque celle-ci se trouvait dans une totale dépendance économique par rapport à son mari(38). » C’était ce même argument que son ex-épouse avait utilisé vingt ans auparavant, et que les opposants au divorce agiteront ensuite, dix ans plus tard, au cours de la campagne du référendum, pour convaincre les femmes de voter pour l’abrogation de la loi (ce fut même l’argument principal des discours d’Amintore Fanfani (38 bis) ).
Pendant ce temps, à l’intérieur du Parti, après la réunion de 1964, la section féminine commença à travailler à un projet de loi pour la réforme du droit de la famille, dans le cadre duquel il était prévu le « petit divorce », c’est-à-dire la ratification d’une séparation entre conjoints déjà advenue. L’idée était de présenter le projet à la conférence suivante des femmes communistes, et donc de le faire proposer aux deux chambres par les parlementaires du Parti.
À la veille de la conférence, la direction du PCI se réunit pour discuter de l’opportunité de cette action. Entre-temps, Togliatti était mort et avait été remplacé à la direction du Parti par Luigi Longo. S’exprimant maintenant en tant secrétaire général et dans une circonstance officielle, ce dernier affirma : « Il doit être possible aussi en Italie, dans le plus grand respect des sentiments religieux des citoyens, de parvenir à la dissolution du lien matrimonial lorsque les conditions de cohabitation sont devenues impossibles(39). »
Longo, heureusement divorcé depuis longtemps, prenait probablement une position aussi résolue parce qu’il s’était aperçu que le problème était en train d’exploser dans la société et que la solution ne pouvait plus en être différée.
Au cours de la discussion enflammée qui éclata sur la proposition de la section féminine, le nouveau secrétaire se montra assez favorable au projet, tout en adoptant un ton condescendant. Emanuele Malacuso s’aligna sur lui, mais Gian Carlo Pajetta et Giorgio Amendola se déclarèrent résolument contre. Encore une fois, on prétendit que l’Italie n’était pas mûre pour cette « liberté bourgeoise ». C’est pourquoi on concéda aux camarades la possibilité de présenter le projet à la conférence des femmes communistes, mais pas au Parlement où il aurait pu prendre la forme dangereuse d’un projet de loi.
En 1965 cependant, il se produisit un fait inattendu et non désiré par les communistes : Loris Fortuna présenta un projet de loi sur le divorce. Le PCI se trouva à la fois dans une position délicate et dépassé sur la gauche par le PSI et par les radicaux(41 bis). C’est pourquoi, deux ans plus tard, en mars 1967, il présenta la proposition Spagnoli. En réalité, la plupart des dirigeants du PCI continuaient à s’opposer à la réforme du droit de la famille, et par conséquent ils mettaient tout en œuvre pour conjurer l’avènement du divorce. Malgré tout, le 10 décembre 1970, le Parti fut publiquement contraint de choisir et de prendre position en faveur de ladite loi, laquelle fut même votée par quelques dizaines de parlementaires démocrates-chrétiens.
Il faut bien dire que l’on n’était pas arrivé sans mal à voter cette loi. Le vote final intervint au terme d’un chemin parlementaire tortueux, après un dialogue serré entre la Démocratie chrétienne, les laïcs et, surtout, les communistes, qui la considéraient trop avancée. En fait, au Sénat, la loi Fortuna (devenue Fortuna-Baslini) faillit ne pas passer en première lecture. Les communistes avaient proposé leur médiation, tout d’abord à Giacomo Mancini, du PSI, puis au démocrate-chrétien Arnaldo Forlani. L’affaire réussit et déboucha sur le comité présidé par Giovanni Leone, lequel présenta des amendements qui permirent l’approbation de la loi.
Immédiatement, les secteurs catholiques les plus extrémistes lancèrent une campagne pour un référendum en faveur de l’abrogation de la loi, référendum qui eut lieu quatre ans plus tard.
Lorsque la menace référendaire se précisa, le PCI chercha, à tout prix, un nouveau compromis avec la Démocratie chrétienne, en faisant proposer à Tullia Carrettoni, indépendante de gauche élue sur les listes communistes, des modifications substantielles à la loi qui, de fait, la dénaturaient complètement. Sous prétexte de « corriger » certaines « imperfections », le projet Carrettoni « cédait du terrain face aux prétentions des adversaires du divorce, car il rendait encore plus difficile la procédure du divorce(40) ». Loris Fortuna le définit comme « un recul catastrophique des positions laïques pour venir en aide aux opposants au divorce(41) ». Les radicaux virent dans la proposition Carrettoni une formule destinée à faciliter des concessions ultérieures vis-à-vis de la Démocratie chrétienne et à vider complètement de son contenu la réglementation sur le divorce. La dissolution anticipée des chambres fit passer à la trappe la proposition Carrettoni et repoussa le référendum d’un an.
Durant la période qui s’écoula entre l’approbation de la loi et le référendum, les communistes ne se donnèrent pas pour vaincus et entamèrent des pourparlers secrets avec de hauts représentants ecclésiastiques(42). Le dirigeant communiste Paolo Bufalini raconte : « Nous proposions une conception de la famille très sérieuse. (…) Nous étions opposés au référendum parce que nous ne voulions pas diviser les grandes masses populaires imprégnées par la culture catholique. C’est pourquoi, nous avons mené, en accord avec les socialistes et les autres laïcs, et avec les démocrates-chrétiens, ces pourparlers discrets avec l’Église, de manière très sérieuse et suivie(43). »
Mgr Gaetano Bonicelli, porte-parole à l’époque de la Conférence épiscopale italienne, a rappelé que les communistes, lors des rencontres secrètes, « proposaient une révision assez substantielle de la loi votée en décembre 1970. En fait, ils abandonnaient son principe en en réduisant la portée pratique. On en arriva également à la formulation de tous les articles de la nouvelle loi(44). »
Ce furent Paolo Bufalini et Tullia Carrettoni, en qualité de responsables du Parti, qui s’occupèrent de ces propositions. « Pendant deux mois, continue Mgr Boncelli, on peut dire que j’ai eu moi aussi des contacts avec eux. Nous faisions des propositions de part et d’autre. Pour ce qui me concerne, j’en référais à mon supérieur direct, Mgr Bartoletti, qui (…) était en relation personnelle avec le Saint Père. (…) Et le champ des pourparlers s’élargit beaucoup. (…) Beaucoup de sujets furent débattus, y compris des questions très éloignées du divorce(45). »
Tout au long de ces mois, le secrétaire général du Parti Enrico Berlinguer chercha un compromis. Carlo Galluzzi se rappelle : « Lorsque la consultation référendaire devint inévitable, Berlinguer entra dans une grande agitation. Il avait tout fait pour éviter cette confrontation, en activant ses réseaux de contacts privés avec l’Église et en faisant écrire presque tous les jours dansL’Unità qu’il n’était jamais trop tard pour arriver à un accord garantissant non seulement la paix religieuse mais aussi la stabilité du régime démocratique. Aux Botteghe Oscure (45 bis), le bruit courait que Berlinguer avait un problème de conscience et que, en réalité, l’abolition de l’indissolubilité du mariage représentait pour lui une brèche qui s’ouvrait et menaçait dangereusement les mœurs du pays tout entier(46). »
De plus, le pessimisme du secrétaire du Parti était alimenté par une certitude : le résultat du référendum allait être catastrophique et la victoire des opposants au divorce atteindrait un niveau record. Enfin, le référendum gênait considérablement le dialogue avec la Démocratie chrétienne, dans la mesure où il retardait la perspective du « compromis historique ».
Prévoyant une grande victoire pour les catholiques, Fanfani avait résolu de mener l’affrontement jusqu’au bout. Mis au pied du mur par la décision du président du Conseil, le PCI fut obligé de prendre position. Le PCI affronta « sans grande conviction(47) » la campagne du référendum lancée par les radicaux. Berlinguer fit part de ses préoccupations au journaliste de L’Unità Ugo Baudel : « Nous arriverons au maximum à 35% » Et il confia à Gianni Cervetti, au cours d’un meeting à Milan : « Il vaut mieux que je n’annonce pas mes prévisions, sinon je découragerai les camarades. »
« Ce calcul, commente l’historien Aurelio Lepre, démontrait à quel point le PCI connaissait mal les transformations en cours, surtout sur le plan des mentalités(48). » En réalité, un secteur de la société italienne avait posé d’une façon pressante le problème du divorce et fait en sorte qu’on ne puisse pas le différer.
Le référendum du 12-13 mai 1974 marqua une victoire sensationnelle pour ceux qui soutenaient la loi sur le divorce, mais, en même temps, il surprit totalement les dirigeants communistes, mettant en lumière l’écart énorme qui séparait le PCI de la société italienne.
Le moralisme dans le Parti
Revenons aux années 1940, lorsque Togliatti ne perdait aucune occasion d’exalter le rôle de la famille monogame indissoluble. Présentant le Parti comme le défenseur de la tradition et de l’ordre social, il prônait une morale familiale rigide et opposée au divorce. Eh bien, précisément au cours de ces années-là, les familles des dirigeants, en particulier de ceux qui étaient à la tête du Parti depuis plusieurs années, s’étaient défaites ou étaient en train de se défaire, donnant naissance à de nouvelles unions plus ou moins formelles.
Ainsi, par exemple, lorsque Togliatti et Montagnana, dans leurs écrits et leurs discours, vantaient aux militants de base et à la population les vertus essentielles de l’unité de la famille, la leur était en train de se défaire. D’autres dirigeants « historiques » avaient changé de partenaire ou en changeraient : de Luigi Longo à Mauro Scoccimarro, de Ruggero Grieco à Agostino Novella, d’Arturo Colombi à Girolamo Li Causi et à Gian Carlo Pajetta. Le problème touchait même Umberto Terracini qui, lui, plaidait sincèrement contre le divorce. Et comme il aimait présenter sa compagne d’alors comme son épouse, un scandale naquit quand, à l’automne 1947, le jeune chroniqueur du magazine Oggi [Aujourd’hui], Ugo Zatterin, révéla qu’ils n’étaient nullement mariés, puisqu’elle était encore l’épouse d’un officier et que lui-même avait une femme russe, Alma Leks. En somme, à ce moment-là, ils étaient des concubins notoires(49).
Des militants de base et certains secteurs de l’appareil n’appréciaient pas non plus la relation entre Togliatti et Nilde Iotti, dans la mesure où elle contredisait ouvertement la politique familialiste défendue publiquement et avec insistance par les dirigeants communistes eux-mêmes. Massimo Caprara, alors secrétaire de Togliatti, raconte : « Au cours d’une réunion convoquée spécialement sur ce sujet, la direction du Parti avait désapprouvé leur relation par un vote unanime à l’exception d’Estella (Teresa Noce). Celle-ci saisit l’occasion pour attaquer l’inconstance de son mari comme celle de tous les autres et demanda que des mesures soient prises contre eux, mais pas contre Palmiro et Nilde. Afin de forcer la situation et d’imposer leur choix de vie (mais aussi parce qu’ils étaient à la recherche d’un appartement que Secchi, chargé de la logistique des chefs, ne leur fournit jamais), Togliatti et Iotti décidèrent d’aller vivre, sans autorisation, dans un appartement réservé aux visiteurs et situé au septième étage des Botteghe Oscure(50). »
Aucun membre du Parti ne savait encore que Togliatti s’était installé « abusivement » à l’intérieur du siège du Parti. Et Caprara de commenter : « Durant ces mois-là, jamais je ne fus effleuré par le caractère grotesque de la situation : le secrétaire du plus puissant et nombreux Parti communiste d’Europe était contraint d’entrer chez lui furtivement (…) pour se cacher non pas de ses adversaires mais des dirigeants de l’organisation dont il était le chef indiscuté sur tous les points du dogme, sauf un : le respect rigoureux, en public, de la morale bourgeoise(51). »
Puisque les communistes étaient continuellement attaqués par les démocrates-chrétiens comme des libertins, destructeurs de la famille, partisans de l’amour libre, et donc des individus suprêmement immoraux, le PCI, afin de repousser ces attaques sournoises et mensongères, s’appliqua à supprimer de sa ligne politique toute mention favorable au divorce. Dans certains cas, ses dirigeants réagirent avec fermeté à l’accusation d’avoir divorcé. Par exemple, dans les colonnes du quotidien du soir Corriere della Sera qui avait déniché ce « scoop », Teresa Noce, épouse de Luigi Longo, alors numéro deux du Parti, démentit avec aplomb avoir entamé des démarches pour obtenir son divorce, en alléguant comme preuve de sa bonne foi et de sa cohérence, l’aversion du Parti pour cette mesure.
En réalité, Longo avait entamé les démarches à son insu, à Saint-Marin, en falsifiant sa signature. Lorsqu’elle apprit la vérité, « enragée et déchaînée, Teresa Noce fit un esclandre. “Vous nous avez demandé de voter l’article 7 de la Constitution pour inclure le Concordat dans la charte constitutionnelle, qui sanctionne par conséquent l’abolition du divorce. Et maintenant vous me demandez de faire le contraire dans ma vie privée, protestait-elle dans toutes les réunions du Parti. Comment pouvez-vous me proposer une telle farce ? Je ne suis pas d’accord (…) et je refuse d’accorder le divorce à mon mari (…).” Cela n’empêcha pas, malgré tout, que le secrétaire et le vice-secrétaire du PCI fassent tous les deux ce qu’ils avaient décidé de faire, à savoir de dissoudre leurs liens conjugaux(52). »
A force de soulever la question à l’intérieur de l’organisation, Noce finit par être évincée de la direction du Parti qu’elle avait contribué à fonder(53).
Quelle leçon tirer de cette histoire exemplaire ? Les dirigeants du PCI pouvaient organiser leur vie familiale comme ils le voulaient, pourvu que les masses, exclues des privilèges dont ils jouissaient, n’en sachent rien. Cette attitude correspond assez bien à ce que Gramsci appelait l’« hypocrisie sociale réservée à certaines couches ». On pourrait parfaitement appliquer au PCI ce qu’il écrivit au sujet de cette notion : « Les couches populaires sont forcées d’observer la "vertu" ; ceux qui la prêchent ne l’observent pas, tout en lui rendant hommage verbalement. L’hypocrisie n’est donc pas totale mais limitée à certaines couches(54). » Les dirigeants catholiques, qui soutenaient l’indissolubilité du mariage pour la masse de la population, faisaient annuler facilement leur union par l’intermédiaire de la Rote. Quant aux hauts responsables communistes, ils parvenaient, eux aussi, à rompre les liens du mariage par d’autres voies. En effet, de nombreux couples de dirigeants obtinrent, évidemment dans la plus grande discrétion, le divorce dans les pays de l’Est. Une lettre de 1951 écrite par Edoardo D’Onofrio à un autre chef communiste de premier plan, à propos des difficultés conjugales de ce dernier, révèle le jésuitisme profond du PCI. Il suggérait un recours plus que discret au tribunal de Saint-Marin, pour lequel – affirmait le responsable des cadres – un avocat de toute confiance était déjà disponible(55).
D’un côté, les chefs historiques du Parti se séparaient de leurs premières femmes et se remariaient ; mais, de l’autre, ils veillaient scrupuleusement à la « moralité » des couples des simples militants ou des dirigeants intermédiaires et des responsables de cellules. Et comme les dirigeants non mariés pouvaient susciter des ragots, le Bureau des cadres des Botteghe Oscure n’hésitait pas à réprimander les jeunes permanents célibataires, les pressait de contracter mariage et passait un savon aux moins soumis. Le Bureau des cadres était, en fait, le bras séculier de la Section d’organisation : entre autres tâches, il s’occupait de classer, fournir des informations sur les permanents du Parti et de les surveiller de façon occulte. Il était dirigé par Edoardo D’Onofrio, surnommé Edo, Romain d’origine ouvrière et stalinien d’une fidélité à toute épreuve.
Le Parti demandait à chaque nouvel adhérent d’écrire sa « bio ». A cette fin, le militant remplissait une fiche relatant même les faits personnels les plus intimes. Ce document faisait ensuite l’objet d’une discussion publique, par l’ensemble des camarades de la section ou de l’école locale du Parti. Le débat portait souvent sur la moralité de l’individu concerné et, même si cela s’appliquait surtout aux femmes, les hommes passaient également ce type d’examen.
Une section de Gênes, par exemple, consacra de longues séances et des débats épuisants au problème suivant : l’un de ses adhérents, qui devint ensuite un haut dirigeant, devait-il ou non mentionner dans sa « bio » le fait que sa femme le trompait régulièrement ? Mario Pirani, alors jeune cadre du PCI, à la veille d’un transfert dans la fédération communiste de Venise, fut appelé par D’Onofrio. Celui-ci fit semblant de « s’informer » sur sa situation sentimentale (quoiqu’il la connût fort bien). « Mais, lui dit-il, tu n’avais pas un penchant pour une jeune camarade ? Pourquoi donc ne vous mariez-vous pas ? » Et il l’admonesta : « Tu vas aller dans une petite ville, les yeux de tous seront braqués sur toi ; rappelle-toi qu’un communiste doit toujours être un exemple pour les autres(56). »
Renato Mieli écrit aussi dans ses souvenirs : « Je sentais (…) que mes affaires sentimentales suscitaient une curiosité malveillante. On disait dans le PCI que j’étais un coureur invétéré, sans cesse à la recherche de nouvelles aventures. (…) Ce racontar haineux visait à me présenter sous un mauvais jour. Togliatti lui-même m’avait fait dire d’être plus attentif afin de ne pas donner lieu à des médisances fâcheuses(57). »
À Naples, pendant de nombreuses années après 1945, le Parti fut dirigé par Salvatore Cacciapuoti, un stalinien de fer, qui avait comme secrétaire Renzo Lapiccirella. Celui-ci vivait avec Francesca Spada, une femme séparée ayant deux enfants. « En 1945, raconte l’écrivain Ermanno Rea, Renzo avait à peine commencé sa relation avec Francesca, ou peut-être n’avait-elle même pas débuté officiellement. Cacciapuoti l’a convoqué un jour dans son bureau et, lors d’un entretien discret, il lui a intimé de briser cette relation(58). » Pour le Parti, le fait qu’un communiste vive avec une femme mariée constituait à l’évidence une grave infraction à l’éthique du peuple.
Cacciapuoti exigeait que les militants respectent une morale réactionnaire mais, pour lui, les règles étaient tout à fait différentes. « Il réclamait souvent, avec une certaine solennité, des “prestations sexuelles“ aux femmes évoluant dans la fédération : il semblait faire allusion, même de façon très obscure, à une sorte de devoir auquel il aurait été tout à fait inopportun de se soustraire. Beaucoup naturellement s’y soustrayaient (…). Certaines, au contraire, tombaient dans le piège (…). Et avec bénéfice : une petite carrière politique peut être une matière d’échange acceptable(59). » Une sorte de do ut des, en somme.
En ce qui concerne le communisme napolitain, Ermanno Rea a aussi parlé d’une sorte d’« obsession machiste(60) ». Mais pour la base ouvrière, pour l’extérieur et l’opinion publique, la famille monogame indissoluble était, durant les années 1950, la carte de visite du PCI. « Pendant ces années-là, confirme Teresa Noce, toutes les fédérations d’Italie déployèrent de gros efforts pour réunir à nouveau les familles séparées par la guerre et mettre un peu d’ordre dans la vie des camarades(61). » Même « les querelles personnelles, les trahisons, les désaccords, étaient portés devant le secrétaire de section(62) ».
Le PCI soulignait constamment l’importance de la famille et de la morale « positive » et « saine » régnant en Union soviétique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation.
Aux lecteurs ingénus qui écrivaient à Vie Nuove pour demander si, comme le prétendaient certains calomniateurs, l’amour libre, c’est-à-dire une certaine liberté sexuelle, sévissait en Russie, on répondait aigrement : « (…) la théorie du prétendu “amour libre” comme système de vie est rigoureusement condamnée par le marxisme en tant que déviation anarchisante et phénomène de dissolution petite-bourgeoise(63) ».
Si le Parti faisait référence au modèle de la famille soviétique, il insistait cependant aussi pour accréditer l’idée qu’il perpétuait les « bonnes traditions italiennes ». Ce que les communistes prêchaient aux quatre vents ne contredisait pas du tout l’image traditionnelle de la famille catholique. C’est d’ailleurs pourquoi les transgressions et les infidélités conjugales continuaient à l’intérieur du Parti à faire scandale et étaient stigmatisées comme des manifestations d’un manque de « sérieux » civique. Non seulement la cohabitation more uxorio (que les catholiques définissent comme le « concubinage »), mais également la séparation entre conjoints suscitaient réprobations et ragots. A des niveaux plus élevés du Parti, elles étaient considérées de façon négative. Luciana Castellina, qui a bien connu de l’intérieur le PCI durant les années 1950 et 1960, a affirmé : « Il arrivait assez souvent qu’une camarade tombe amoureuse du secrétaire de section. Dans ces cas-là, si l’un des deux était marié, la vie au sein du Parti devenait difficile pour elle, et parfois pour lui : ils étaient destitués de leurs responsabilités, transférés dans d’autres cellules et entourés d’un climat de réprobation morale(64). »
Pour les cadres dirigeants du Parti, en particulier Togliatti, le communiste devait absolument incarner un « modèle de comportement ». Puisque la majorité de la population italienne était fortement pétrie de moralisme catholique, il fallait faire attention à ne pas causer de scandale ; le militant communiste devait devenir un exemple à imiter, et sa maison être une « maison de verre ». C’était en général ce que répondaient les responsables du PCI à ceux qui leur reprochaient de pécher par conservatisme dans le domaine de la morale sexuelle. En outre, de nombreux éléments les poussaient dans cette direction : le harcèlement de leurs adversaires politiques, la recherche de la bienveillance de l’Église, mais surtout la formation même des dirigeants « historiques » du Parti. Cette formation puisait dans une longue tradition remontant aux débuts de la création du groupe de L’Ordine Nuovo qui, vers la moitié des années 1920, réussit à écarter la direction bordiguienne et à s’imposer à la barre du Parti, précisément en concomitance avec la montée du stalinisme en Russie.
Dans une interview à Arrigo Petacco, Paolo Robotti a raconté que, à Borgo San Paolo, les militants du fascio(64 bis) de la jeunesse socialiste turinoise discutaient souvent du problème de l’amour. « Nous soutenions, reconnut le beau-frère de Togliatti, que l’amour avec une femme devait commencer par un sentiment sérieux, sans brusquer les étapes, même si cela impliquait une longue période de chasteté. “Pas de rapports physiques sans amour”, disait-on. Notre groupe était entièrement d’accord. » C’est pour cette raison que ses militants étaient surnommés les sanpaolotti (64ter) : « Ceux qui nous critiquaient nous accusaient de vouloir constituer un fascio de jeunes moines ! », conclut Robotti(65).
Après la Seconde Guerre mondiale, Togliatti décide de « normaliser » le plus possible le comportement des dirigeants communistes afin que l’idéal « comme il faut » du citoyen moyen italien, du petit-bourgeois respectable, se reflète dans leur vie quotidienne. (À l’évidence, cette règle ne s’appliquait pas au secrétaire général.)
« Dans la morale populaire communiste, écrit Aurelio Lepre, confluaient des éléments de la morale catholique. Accusés par les démocrates-chrétiens d’être des ennemis non seulement de la religion et de la propriété mais aussi de la famille, les communistes se défendaient en affirmant eux aussi avec force les mêmes valeurs morales traditionnelles(66). »
Mauro Scoccimaro, par exemple, concluait habituellement ses discours par une exhortation digne d’un prédicateur de l’Évangile : « Et, en vous comportant avec droiture dans chaque acte de votre vie, agissez en sorte que les autres puissent vous estimer, vous montrer en exemple et dire de vous : Voilà un communiste(67). »Malgré l’attention et la propagande incessantes pour conserver unies les familles communistes, les familles des militants et des dirigeants continuaient à se défaire à un rythme égal, ou peut-être supérieur, à celui des autres couples italiens. Lorsque cela se produisait, le couple était presque toujours convoqué – d’abord le mari, évidemment, et ensuite la femme – par un dirigeant qui lui infligeait son petit sermon, en l’invitant, pour conclure, à ne pas faire de scandale et à revenir à la raison.
Écoutons le témoignage de la communiste Carla Capponi. Lorsqu’il fut évident dans le Parti que son mari avait une relation avec une autre femme, les dirigeants Marcello Marrone et Maria Michetti commencèrent par l’exhorter discrètement et affectueusement à « faire quelque chose ».
Ensuite, étant donné qu’elle avait décidé de se séparer de son époux, Aldo Natoli convoqua dans son bureau des Botteghe Oscure d’abord le mari, puis elle-même, en les incitant tous deux à ne pas accomplir ce pas. « Vous êtes un couple trop célèbre », dit-il plus ou moins à chacun des deux protagonistes de l’attentat de la via Rasella(67 bis), en leur recommandant de ne pas « faire de scandale ».
Felicita Ferrero raconte dans ses mémoires qu’elle avait convoqué le mari d’une militante, car ce communiste maltraitait sa femme : « J’ai terminé mon sermon en lui rappelant que l’épouse est la partenaire par excellence et que, lorsqu’un communiste se comporte mal, le jugement négatif des gens retombe sur le Parti(68). »
Dans les cas où le « scandale » se produisait à des niveaux moyens ou élevés du Parti, Togliatti en personne intervenait et discutait avec les « coupables » et les « victimes » des trahisons. Il arriva, par exemple, qu’Alfredo Reichlin soit convoqué dans le bureau de Togliatti quand tout le monde, à l’intérieur de l’immeuble des Botteghe Oscure, commença à s’intéresser aux mésaventures de son mariage avec Luciana Castellina.
Vers le milieu des années 1950, le PCI diffusa parmi les adhérents un opuscule intitulé Les Années de notre vie et écrit par Marina (Xenia) Sereni. Ce petit livre obtint le prix Prato en 1955 et devint presque une sorte de bible pour les jeunes militants. Puisant dans son journal intime et ses lettres, la femme d’Emilio Sereni racontait sa vie et celle de son mari en témoignant d’une admiration infinie pour lui et pour le Parti — admiration qui avait son revers : l’humiliation de sa propre personnalité.
A propos de ce livre, Ambrogio Donini écrivit : « Durant les dernières années de sa vie, ses préoccupations, ses espérances, sa sérénité, ses certitudes furent identiques à celles qui transparaissent dans ces lettres [de Marina Sereni] : celles d’une communiste, d’une militante athée, pour qui les plus hauts idéaux de la vie s’identifièrent avec les sentiments affectueux d’une femme simple, d’une épouse, d’une mère aimante(69). »
Le livre de Xenia Sereni illustrait parfaitement l’attitude du Parti par rapport aux femmes. D’une part, le PCI favorisait – en paroles – une forte poussée émancipatrice : il souhaitait que les femmes s’engagent, mènent des batailles pour la l’égalité des salaires, la protection des ouvrières mères, le développement des services sociaux. De l’autre, cependant, il réaffirmait que le rôle principal de la femme consistait à être une « épouse » et une « mère fidèle ». Il vantait, toujours en paroles, l’avènement d’une famille « rénovée », mais sans faire quoi que ce soit pour changer les mœurs, puisque le Parti adoptait intégralement les modèles de comportement des masses paysannes et de la petite-bourgeoisie. En définitive, les femmes restaient pour le Parti une simple masse de manœuvre pour renforcer son influence politique.
La question féminine
Depuis mai 1944, le PCI répandait une image de la femme tirée de l’iconographie soviétique, image qu’il présentait comme un idéal à atteindre en Italie(70). En fait, le traitement de la « question féminine » se résumait aux initiatives de l’UDI. Comme le rapporte l’ex-dirigeant communiste Massimo Caprara, les activités de cette organisation « oscillaient entre l’assistance à l’enfance et la propagande antifasciste. Et (l’UDI) s’interdisait d’évoquer tout sujet épineux comme l’avortement et le divorce(71) ». Dans une interview de 1979, Felicita Ferrero expliquait : « Il existe des règles (certains problèmes sont ignorés) qui valent encore maintenant. Les femmes communistes, celles de l’UDI, ne sont pas allées au-delà des problèmes des garderies d’enfants, etc. : elles n’ont jamais affronté un seul problème existentiel. Seules les féministes, ces derniers temps, les ont poussées à oser aller plus loin(72). »
Étant donné que le PCI n’était pas un parti révolutionnaire, bien qu’il continue à se définir comme tel, mais un parti démocrate-bourgeois, la cohérence aurait voulu qu’il soit favorable au droit de vote des femmes. Mais si celles-ci votèrent pour la première fois aux élections municipales de mars-avril 1946, cet événement historique n’eut pas lieu grâce au PCI. Si, depuis lors, elles peuvent mettre un X sur leur bulletin de vote, elles doivent en être reconnaissantes à la Démocratie chrétienne. Togliatti et les dirigeants communistes craignaient en effet que les femmes s’expriment en masse pour les démocrates-chrétiens, et par conséquent ils se gardèrent bien de soutenir cette cause(73).
Et il ne s’agissait pas seulement d’une préoccupation due à un événement éphémère et à l’accaparement des suffrages féminins par la Démocratie chrétienne. Beaucoup de dirigeants communistes ne désiraient pas en fait que les femmes votent. Nous savons, par exemple, que Togliatti exprima ouvertement sa pensée en 1944 et qu’il tomba d’accord avec le cardinal Ottaviani pour leur refuser ce droit. Massimo Caprara assista à cette entrevue, qui eut lieu dans la nuit de Noël 1944 chez Franco Rodano : « (…) deux prêtres sont arrivés, dont l’un, plus compassé et ayant à l’évidence plus d’autorité, accepta sans empressement de serrer la main que lui offrait Togliatti. C’était le cardinal Alfredo Ottaviani, propréfet de la Congrégation du Saint Office, qui s’assit à la table. (…) Je me rappelle que, à la fin, les deux interlocuteurs [Togliatti et Ottaviani], éclairés par les textes canoniques, sur lesquels ils étaient parfaitement d’accord, considéraient comme sage et opportune de refuser le droit de vote aux femmes. Seule Rita Montagnana, qui se tenait près de la crèche dans cette sainte assemblée, soutint ardemment le contraire(74). »
Quelques mois plus tard, le problème fut réglé, continue Caprara, « de façon positive par De Gasperi qui, en Conseil des ministres, prit au dépourvu Togliatti, ministre de la Justice et Garde des sceaux. Ce dernier fut contraint, obtorto collo (à contrecœur), d’approuver le décret qui accordait le droit de vote aux femmes pour les élections municipales imminentes, décret dont les communistes se seraient volontiers passés, étant donné qu’ils pensaient ne pas pouvoir compter sur l’électorat féminin ». Italo De Feo, alors secrétaire de Togliatti, confirme que c’est bien le dirigeant démocrate-chrétien qui prit cette initiative : « Togliatti comprit qu’il aurait été difficile de résister, ou bien il ne voulut pas résister. Il accepta (…), suscitant désaccords et perplexité dans le Parti(75). »
Sept années plus tard, lors des élections du 7 juin 1953, des communistes posaient encore cette question à Togliatti : « Est-ce que cela a été juste de faire voter les femmes ? N’aurait-il pas mieux valu ne pas leur donner ce droit(76) ? »
Pour parvenir à pénétrer dans le monde féminin catholique, les communistes avaient, comme les démocrates-chrétiens, constitué des organisations « larges » qui, d’une façon ou d’une autre, cherchaient à s’adapter à leur mentalité supposée. La plus importante, comme nous l’avons déjà signalé, était certainement l’UDI, qui publiait sa propre revue, Noi Donne.
Durant la seconde moitié des années 1940 et au début des années 1950, le rôle de l’UDI, comme celui des autres organisations de masse à forte présence communiste, fut strictement subordonné aux campagnes politiques générales du Parti (contre l’OTAN ou en faveur de la paix, par exemple) ou cantonné aux luttes syndicales. En 1947, l’UDI organisa son deuxième congrès autour du thème « Pour une famille heureuse, la paix et le travail »(77). « De nombreux rituels du Parti, a écrit un historien américain, ne tenaient aucun compte des besoins des femmes et allaient continuer à les ignorer pendant les années suivantes(78). »
La société italienne, comme toutes les sociétés existantes, se caractérisait — et se caractérise encore — par la subordination de la femme à l’homme. Dans l’idéologie des communistes italiens, cette subordination était en outre renforcée par les éléments symboliques du mythe de l’homme « travailleur d’avant-garde » ou « combattant révolutionnaire ». Il était donc naturel que ces « besoins bourgeois » de la vie privée et de la sexualité, considérés comme dangereux par l’ordre politico-moral du Parti, soient attribués davantage aux femmes qu’aux hommes. C’est pourquoi, malgré la glorification formelle de l’égalité des sexes, le rang hiérarchique de la femme dans le Parti reflétait exactement celui qu’elle avait dans la société.
Le PCI choisit délibérément de ne pas remettre en cause les images conventionnelles de la féminité et il était imprégné d’attitudes indéniablement machistes. « Catholiques et communistes, ont écrit Giovanni Gozzini et Renzo Martinelli, partagent un humus culturel profond, de marque traditionaliste et machiste, dont les prescriptions et les interdictions dans le domaine familial ne représentent que la pointe émergeante la plus manifeste et la plus voyante(79). »
Si l’on s’en tient au témoignage de Felicita Ferrero, le machisme était profondément enraciné dans le PCI : « Le Parti communiste a toujours été un Parti machiste. (…) Après la guerre, je demandai un jour à Camilla Ravera, que je n’avais pas vue depuis longtemps : “ Où en sont les choses aujourd’hui dans le Parti, en ce qui concerne les rapports hommes-femmes ?” Elle me répondit : "Pire qu’avant"(80) . » Selon Camilla Ravera, vingt ans de politique fasciste anti-féministe avaient eu des répercussions « sur la mentalité des hommes, y compris sur celle des camarades ». À la question : « Et qu’a-t-on fait ou que fait-on pour la changer ? », Ravera répondit : « Rien ou très peu(81). »
Ce n’est pas un hasard si très peu de femmes parvinrent à entrer dans le groupe dirigeant, et si celles qui obtinrent des postes de responsabilités le durent presque toujours à des manifestations de favoritisme. Ainsi que l’a rappelé Felicita Ferrero : « Il suffisait d’observer l’emploi des femmes dans le Parti pour constater que l’imagination des camarades dirigeants ne dépassait pas les frontières de leur lit. Au sommet, trônait Rita Montagnana, la femme du secrétaire général du Parti, et Teresa Noce, la femme du vice-secrétaire. Si l’on descendait au niveau des comités régionaux et des fédérations, on trouvait fréquemment des responsables femmes qui étaient les épouses ou les “compagnes ” de leurs secrétaires respectifs ou d’autres dirigeants en vue(82). »
Luigi Longo fit nommer comme dirigeante nationale des femmes communistes Rina Picolato qui, toujours selon Felicita Ferrero, « n’a jamais pensé une seconde que, dans notre milieu, tout le monde établissait un lien déterminant entre sa carrière politique et sa relation notoire avec Luigi Longo(83) ». Un exemple parmi tant d’autres : lorsque Marco Vais devint directeur de L’Unità de Turin, sa femme fut nommée responsable du travail parmi les femmes dans la fédération(84).
Puisque leur ascension était due à une concession au « népotisme », leur chute était liée au même mécanisme. C’est pourquoi, lorsque les femmes des dirigeants tombaient en disgrâce en qualité d’épouses, elles perdaient également la place qui leur avait été « gentiment » donnée dans la hiérarchie du Parti. Alors que Togliatti et les dirigeants du Parti exhortaient les femmes à s’affirmer « par elles-mêmes » dans le travail et dans la société, le Parti et Togliatti lui-même chassaient cruellement de leurs postes de responsabilités les femmes « déchues ». Lorsque la liaison entre Togliatti et Nilde Iotti devint officielle, Rita Montagnana fut brutalement expulsée de tout poste officiel, et disparut de la scène politique et de l’histoire du Parti(85). Teresa Noce, comme nous l’avons vu, perdit son fauteuil à la direction du Parti, après avoir été répudiée par Luigi Longo.
L’attention que la presse communiste consacrait aux femmes était proportionnelle à la nécessité de se procurer des voix. Lorsqu’il s’agit de préparer les listes pour les élections du 2 juin 1946, un débat s’instaura à la direction du PCI sur l’opportunité de présenter deux listes de candidats : l’une constituée uniquement d’hommes, et l’autre uniquement de femmes. Togliatti et Longo en percevaient l’aspect immédiatement utilitaire — la possibilité de capter une partie des votes des femmes qui, autrement, ne se seraient pas portés sur les listes communistes. D’autres y étaient opposés, mais toujours pour des raisons strictement électoralistes. Par exemple, Fausto Gullo objecta que le Parti risquait de ne pas trouver de femmes candidates dans certains collèges électoraux. Au contraire, Teresa Noce exprima son opinion favorable, en exposant les conceptions nationales-populistes que le Parti propageait si volontiers : « Si nous établissons des listes de femmes pour la défense de la famille, ou de la moralité, ou pour la république, et si nous réussissons à faire affluer un certain nombre de voix sur ces listes, ce seront toutes des voix qui auront été arrachées à la Démocratie chrétienne(86). »
Les femmes du Parti manifestaient souvent un ressentiment diffus parce que leurs camarades masculins sous-évaluaient le travail politique des militantes. Parfois, au contraire, les plus engagées tentaient de se conformer au modèle masculin dominant dans le Parti. Dans certains cas, les femmes communistes elles-mêmes, comme par exemple l’ouvrière Negro, de Fiat, exigeaient des contrôles les plus rigoureux sur la qualité du recrutement féminin : « Il faut faire bien attention à la moralité des femmes car nous avons déjà trop d’inutiles(87). » Ou bien il arrivait qu’une paysanne communiste, s’étant rendue à Bari pour une réunion, fusse vivement « critiquée par les autres femmes, parce qu’elle était allée au café avec un jeune camarade(88) ».
Les femmes communistes vivaient en permanence la contradiction entre la propagande du Parti (qui vantait en théorie leur émancipation), et ses mœurs, calquées sur les conventions sociales traditionnelles, qui persistaient à les maintenir subordonnées aux hommes en général, et à leurs compagnons en particulier. Cette contradiction avait des répercussions immédiates sur la conception de l’amour, de la sexualité, du mariage et de la famille. Mais elle était transfigurée ou mystifiée par l’idéologie officielle du PCI grâce à un renvoi opportun aux caractères « oppressifs » et « corrupteurs » de la société capitaliste.
En effet, la question féminine ne figurait pas parmi les questions considérées comme fondamentales par le PCI pour son action politique. En 1954, l’UDI avait connu un certain succès, avec plus de 3 500 cercles locaux et plus d’un million d’adhérentes(89). Elle se battait pour la construction de crèches et pour l’égalité des salaires. Mais le PCI ne s’adressait pas seulement à la femme prolétarienne mais à toutes les femmes de la population, à quelque couche qu’elles appartiennent : « Nos vœux de paix à toutes les femmes italiennes, riches et pauvres, bourgeoises et prolétaires », proclamait L’Unità pour la journée internationale des femmes en 1951(90).
Souvent, « au niveau local, l’UDI était (…) critiquée parce qu’elle allait trop loin, comme lorsque, à Modène, par exemple, elle demanda la fin de l’esclavage de la “reine de la maison”, esclavage inscrit dans la domination masculine traditionnelle, et qu’elle revendiqua des cuisines collectives, des appareils électroménagers pour économiser le travail domestique, des crèches communales et l’augmentation des heures d’études ou de garde après les cours. Pour le Parti, il était beaucoup plus facile de faire appel aux femmes sur la base de leurs fonctions de mères et d’épouses que de mettre en cause l’ordre familial traditionnel(91) ».
En 1952, L’Unità pouvait s’enorgueillir d’une page hebdomadaire consacrée à la femme, mais, comme l’a avoué Paolo Spriano de nombreuses années plus tard, « elle était écrite uniquement par des hommes ». L’historien officiel du Parti ajoute : « Les journalistes ne s’intéressaient absolument pas aux sujets concernant la libération de la femme. La page était constituée de petits articles sur les conditions des travailleuses, de rubriques de mode, de conseils d’un gynécologue ou d’un pédiatre, de recettes de cuisine. Le machisme était dominant, mais aussi la pruderie. La question de la sexualité (…) était taboue(92). »
Togliatti lui-même reconnaîtra en 1956 que le Parti ne s’était pas beaucoup engagé sur le plan de l’émancipation de la femme. Dans le rapport au VIIIe Congrès, la politique féminine communiste fut soumise à une révision critique : et le bilan était négatif. Le secrétaire général parla « de duplicité dans la conduite générale du Parti ». « Nous avons dû lutter dans le Parti lui-même, affirma-t-il, contre la persistance de préjugés réactionnaires et même contre la négation pure et simple qu’une organisation de masse féminine doive exister et ait ses tâches spécifiques. Ce qui apparaît, c’est la vision d’un Parti qui approuve les choses justes, mais aussi d’une fraction du Parti qui ne les fait pas, qui fait des choses erronées. Nos militants sont-ils seulement négligents ou incapables, ou bien désapprouvent-ils la ligne politique sans le dire ouvertement(93) ? »
Etant donné les conceptions exprimées par Togliatti lui-même et par tout le groupe dirigeant du Parti comment aurait-il pu en être autrement ? Le PCI ne pouvait pas s’engager davantage en faveur des droits des femmes quand précisément la plupart de ses dirigeants continuaient de penser que la femme n’avait qu’une place : celle de l’épouse-mère veillant sur le foyer conjugal. Le Parti ne pouvait lutter efficacement pour une réelle émancipation des femmes, puisqu’il ne reconnaissait pas dans la morale, dans la famille et dans les mœurs traditionnelles, les chaînes qui perpétuaient la subordination des femmes.
La « macération du corps »
Pour conquérir la confiance du Vatican, le PCI devait absolument éviter d’alimenter l’idée que les communistes favorisaient la diffusion de l’immoralité et de la liberté sexuelle. Dans ce domaine, le Parti n’avait pas beaucoup d’efforts à faire, puisque, en matière de morale, il était très éloigné de la morale laïque. En effet, il imposait aux militants « une éthique sexuelle très sévère(94) ». « Entre les “rouges” et les “blancs”, a écrit un communiste repenti, en dehors des ressemblances entre les rites et les liturgies, s’établissait une profonde symbiose des jugements, et plus encore des sentiments, par rapport aux valeurs fondatrices de la vie morale. On peut dire que tous les comportements considérés comme coupables et immoraux par les catholiques suscitaient également la réprobation des communistes(95). »
La plupart des militants ne pouvaient imaginer des revendications susceptibles de menacer l’austère conception des « devoirs » et des « responsabilités » professée par leurs dirigeants : « Les valeurs du patrimoine populaire commun, partagé avec les catholiques, restaient intangibles. Jamais les communistes n’auraient soulevé directement des questions comme celles du divorce et de l’avortement(96). » Fondée sur une conception traditionaliste, la morale sexuelle des communistes italiens était en effet alimentée par une forte phobie de la sexualité. Le puritanisme et le bigotisme qu’ils affichaient, ainsi que leur attitude obscurantiste à l’égard de la morale en général, n’étaient pas dus seulement à l’exigence politique d’affronter les calomnies de leurs adversaires ; ils étaient aussi, et surtout, l’héritage d’une tradition que le mouvement avait assimilée, et qui se conjuguait en Italie avec la culture populaire catholique.
Dans le monde catholique, de même que dans celui des communistes italiens, l’idée de l’amour physique était souvent recouverte d’un voile pudique. Et elle était toujours soumise au crible de canons rigoureux, qui en « justifiaient » l’existence, mais la confinaient cependant dans le domaine du « sérieux », du sens de la « responsabilité » et de la « discrétion » : les anciens canons de la culture populaire paysanne et petite-bourgeoise qui aboutissaient, en fin de compte, à conforter l’éthique conventionnelle de l’institution du mariage.
Toutes les manifestations de « libertinage » étaient considérées comme radicalement détestables et incompatibles avec le militantisme communiste. On puisait dans le langage du catholicisme pour dénoncer l’« hédonisme » et la « superficialité », en les accusant de perturber la conscience morale des individus. Les communistes attribuaient à la tradition du capitalisme les tendances libertines, les tentations et les pratiques hédonistes, les passions « folles » et les « vices » de la chair. C’est précisément aux mœurs « bourgeoises » qu’était assignée la responsabilité principale de cette corruption envahissante. Par conséquent, si le PCI manifestait des attitudes anticapitalistes, ce n’était pas pour aller au-delà du capitalisme, mais pour revenir à des positions que celui-ci, dans son avancée, avait dépassées, et qui ramenaient l’amour physique essentiellement à l’amour familial.
De toute façon, le comportement des permanents du Parti, bien que confiné à l’intérieur d’une moralité « sérieuse » qu ’il fallait étaler complaisamment à l’extérieur, ne différait pas de celui de la majorité de la population italienne. Un permanent de Grossetto, Enzo Giorgetti, nous en donne un tableau savoureux, en racontant la vie de Parti en province dans les années 1950 :
« Nous, les permanents du Parti, vivions l’existence de prêtres rouges, ainsi que Bianciardi nous appelait. Et la fédération était un couvent. De temps en temps, nous en sortions pour aller prêcher dans les villages et dans les sections. Mais la vie sociale, la vie normale des gens, nous échappait. Pis, nous n’en savions rien. (…) (Nous nous comportions comme des) prêtres au couvent, à la différence qu’une fois par semaine nous allions tous ensemble au bordel (…). Ceux qui refusaient d’y aller étaient des pédés. Ceux qui voulaient y aller seuls et non en groupe, des sociaux-démocrates. Je me souviens d’un accrochage sérieux entre moi et le premier secrétaire de la fédération de la jeunesse ; nous étions tous les deux des clients passionnés, mais lui, il s’était inventé une théorie : un dirigeant ne devait pas se faire voir. Il devait y aller, mais dans le salon privé, et non parmi les masses. Moi, au contraire, jeune communiste plein d’ardeur, je soutenais que nous devions tous aller dans la salle commune. Nous fîmes des réunions sur ce sujet et nous eûmes aussi des disputes. En fin de compte, c’est moi qui gagnai, de sorte que la salle de la via dei Barbieri se transforma en annexe du Parti et qu’il y avait des dirigeants qui te demandaient : “As-tu apporté les coupons des cartes ? As-tu lu mon rapport, qu’en penses-tu ?“ Avec une vie de ce type, comment aurions-nous pu nous trouver une fille ? Nous étions toute la journée à la fédération, le soir à faire des réunions dans la province mais “je te recommande d’avoir un comportement d’une grande intégrité“, comme on te disait à la fédération. C’est pourquoi, quand bien même tu tombais sur une camarade que, excusez l’expression, tu te serais faite volontiers, tu ne pouvais pas y toucher parce que tu étais permanent et que la moralité était absolue(97). »
Si parfois, à l’intérieur du Parti, on fermait les yeux sur l’infidélité pré-matrimoniale(98), on ne transigeait pas en revanche sur l’infidélité conjugale, comme en témoigne le procès-verbal d’une réunion de cellule dans la région de Padoue, concernant l’exclusion du Parti d’un militant « pour cause d’immoralité ». Dans l’énumération de ses défaillances, on n’omettait pas d’observer : « Il semble également qu’il n’ait pas toujours été cohérent à propos de ses devoirs conjugaux et qu’une raison déterminante de sa faute ait été une aventure extra-conjugale(99). »
L’organe de la direction du Parti, Propaganda, pouvait parfois être confondu avec une publication cléricale, vu le ton employé dans le traitement des questions de morale et de comportement personnel : « Dans la société capitaliste, l’amour libre signifie la liberté de ne pas prendre l’amour comme un engagement sérieux et durable, la liberté de renoncer à mettre au monde des enfants, la liberté de faire de l’amour un moyen de plaisir et de désordre moral(100). »
Un autre communiste, Mario Alighiero Manacorda, écrivait : « En ce qui concerne l’amour et la famille, la moralité sociale “ne reconnaît comme normale et moralement justifiée que la vie sexuelle fondée uniquement sur un amour réciproque et qui se manifeste dans le cadre de la famille“(101). »
Il pouvait arriver que le comportement trop désinvolte des jeunes à l’égard de l’autre sexe soit l’objet de réprobation. Ainsi, par exemple, un journal catholique de Novara, au moment de la Libération, blâma la familiarité excessive de beaucoup de filles lors de l’accueil des troupes alliées(102).
La Lotta, organe de la fédération communiste de cette ville, adopta exactement la même attitude moraliste en les avertissant : « Rappelez-vous qu’il y a encore des ciseaux et des tondeuses en circulation ! », allusion à la punition à laquelle avaient été soumises les femmes qui avaient collaboré avec les fascistes et les Allemands(103). Le billet communiste fut considéré comme si réactionnaire qu’il provoqua la colère de l’administration militaire alliée ; celle-ci obligea le périodique communiste à publier, dans son numéro suivant, les excuses adéquates, en anglais et en italien.
Ce moralisme vigoureux, partie intégrante du bagage culturel du PCI, était présenté comme une manifestation de « moralité traditionnelle ». Togliatti lui-même, en juillet 1946, s’inquiétait de la « désagrégation morale » du pays, du développement du « vice », de la corruption et de la prostitution(104).
Certains militants, qui avaient vécu la rude expérience des partisans, subirent une cuisante désillusion lorsqu’ils reprirent contact avec leurs désormais « anciennes » camarades communistes qui rentraient en Italie après un long exil. Avec quelque ingénuité, ils avaient pensé retrouver chez elles un souvenir du glorieux passé. Ils découvrirent au contraire que dans leurs discours, en plus de la défense fréquente de la famille, elles étaient parfois enclines à faire la morale aux jeunes filles en employant les mêmes termes qu’utilisaient leurs mères catholiques. « Ne perds pas ton temps », recommandait par exemple Nadia Spano, une des responsables féminines après la Libération, aux plus jeunes qui affrontaient des mésaventures amoureuses. « Plus que des révolutionnaires, rappelle Carla Capponi, elles nous apparaissaient comme de braves ménagères(105). » Vie Nuove était aussi pudique que la presse « bourgeoise » ou que des hebdomadaires féminins comme Alba, ou Gioia [Aube, ou Joie].
Les jeunes hommes communistes héritèrent rapidement du moralisme des plus anciens. Le secrétaire de la Fédération de la jeunesse communiste, Enrico Berlinguer, pensait qu’il fallait affirmer avec force la supériorité de son Parti dans le domaine de la morale. En mai 1947, présidant les travaux d’une conférence nationale du PCI, il discourut sur le thème : Le PCI pour l’avenir et l’unité des nouvelles générations, en affirmant : « Nos jeunes filles devront s’intéresser de près aux problèmes économiques et sociaux des jeunes ouvrières et étudiantes, et à la lutte contre la corruption et la décomposition morale, ainsi que contre la presse pornographique. » Il invitait par conséquent les jeunes filles communistes à s’inspirer de « la moralité et de l’esprit de sacrifice qui imprègnent les traditions italiennes, celles d’Irma Bandiera et de Maria Goretti(106) ».
Rappelons que, le 27 avril 1947, Maria Goretti avait été béatifiée par Pie XII de manière solennelle et fastueuse, au cours d’une cérémonie à laquelle avaient participé 16 000 jeunes de l’Action catholique. Les hommages réservés par Berlinguer à sainte Maria Goretti, choisie par l’Église comme symbole de sa campagne pour la réaffirmation de la valeur de la virginité féminine, ayant été probablement considérés comme un peu excessifs (ils auraient pu être critiqués par une partie de la base communiste), L’Unità les censura dans le compte rendu de la conférence de la jeunesse.
En glorifiant Maria Goretti, le pape avait tonné contre les « corrupteurs, conscients et déterminés, de la littérature, de la presse, du spectacle, du théâtre, du cinéma, de la mode impudique ». Le 22 mai suivant, pour ne pas être en reste, le jeune Berlinguer fustigea, lui aussi, la corruption, la désagrégation morale et la presse pornographique. N’oublions pas que, le mois précédent, les accords du Latran avaient été approuvés par les communistes. Berlinguer s’en tenait donc strictement à la ligne du Parti qu’il traduisait en se servant de formulées empruntées à la morale chrétienne pour s’adresser aux plus jeunes.
Pour Berlinguer, comme pour les catholiques, la virginité avant le mariage devenait une valeur à défendre. Soucieux d’être bien compris, il vanta le comportement des jeunes filles russes qui « n’ont presque jamais de rapports intimes avec les hommes avant le mariage(107) ». Renato Guttuso lui fit écho en affirmant : « L’URSS est finalement, de par la volonté de Dieu, le pays où les jeunes femmes arrivent encore vierges à leur mariage(108). »
Dans l’immédiat après-guerre, même les dessins animés furent considérés comme non conformes à la morale courante. Selon Umberto Barbaro : « Dans le dessin animé américain, les attitudes des animaux, et en particulier leurs répliques, les intonations et les timbres de voix, se caractérisent tous par une grâce minaudière qui donne une note vaguement érotique à tout le film ; chose certainement déplacée, selon moi, et qui devrait répugner à tout honnête homme. En revanche, La Loi du grand amour est imprégnée par cette grande et saine propreté morale, d’esprit poétique, qui caractérise les films soviétiques(109). »
Les bandes dessinées furent passées au crible par la critique communiste moralisante, parce qu’elles reproduisaient fréquemment de dégoûtantes « exhibitions de seins et de hanches », et que les jeunes filles, constamment présentes dans ces publications, étaient montrées portant « des culottes trop courtes et des soutien-gorges minuscules(110) ».
Emilio Sereni ne laissa pas échapper l’occasion de faire remarquer, au Parlement, que « les patronages catholiques appréciaient particulièrement le cinéma soviétique parce qu’il offrait des films excluant systématiquement tout attrait pornographique, phénomène rare dans cette industrie(111) ».
Cette pudeur affichée et ce moralisme rance n’étaient pas particuliers aux communistes, mais avaient contaminé jusqu’à certains « compagnons de route ». L’écrivain Luigi Rosso, par exemple, en republiant – dans un recueil dont il s’était occupé et qu’il avait intitulé Sonnets burlesques et réalistes des deux premiers siècles – un sonnet de Rustico di Filippo qu’un spécialiste, Aldo Francesco Masera, avait intitulé dans une édition précédente Propositions phalliques à une femme qui est loin d’être pucelle, changea le mot « phalliques » en « obscènes » afin de « ne pas se rendre complice d’une excitation excessive des imaginations(112) ». En 1953, au retour d’un voyage en Russie, le même Luigi Rosso se félicita d’y avoir trouvé « dans la vie amoureuse-sexuelle (…) plus de modération et de simplicité que dans nos pays occidentaux(113) ».
Même la maison d’édition Einaudi, soutien culturel du Parti, se montrait parfois moraliste et pudibonde. En donnant imprimer le livre Le Métier de vivre de Cesare Pavese en 1952, elle supprima préventivement non seulement certaines références à des personnes encore vivantes, mais aussi des passages jugés « immoraux » comme celui-ci : « Dans la vie, il arrive à tout le monde de rencontrer une salope. Et à très peu de connaître une femme aimante et honnête. Sur cent, 99 sont des salopes(114). »
Dans une interview au quotidien La Repubblica, en janvier 1991, Giulio Einaudi déclara qu’il préférait encore la première édition « épurée », par les soins d’Italo Calvino et Natalia Ginzburg, à l’édition intégrale parue seulement en 1990(115).
La réflexion communiste sur les grands thèmes de la sphère privée restait encore résolument traditionaliste, comme en témoigne clairement ce texte d’Edoardo d’Onofrio : « (…) Le premier grand combat d’un jeune communiste réside dans le choix et la conquête de l’amour vrai contre l’amour commercialisé qui obéit à des considérations d’intérêt, purement capitalistes. Le second grand combat d’un jeune communiste réside dans la préservation de l’amour vrai, ainsi conquis, contre toute attaque de la société actuelle, tout dénigrement, parce que la société actuelle, avec ses intérêts et avec ses saletés, est toujours aux aguets, prête à faire rentrer dans son cadre toute tentative de fuite, tout acte de rébellion. Pour cela, il n’existe qu’un seul moyen : avoir conscience des facteurs sociaux qui empêchent le bon et libre choix en amour, dans le mariage, et la réalisation de l’amour authentique(116). »
Ce texte se soucie aussi de valoriser l’amour « décent » ou institutionnalisable, celui qui évolue naturellement vers une structure définitive et stable, à savoir le mariage. Amour entendu comme une rencontre libre de sentiments, mais amour « sérieux », conjugal. En réalité, continuait d’Onofrio, « choisir le mariage d’amour (…) signifie vouloir créer une famille fondée sur l’amour et non l’intérêt ».
On est fort loin de l’image des communistes immoraux, partisans de l’« amour libre » (lire : de la liberté sexuelle), qui auraient l’intention d’abolir le mariage et de détruire la famille ! On est bien loin du libertinage ! Les militants doivent toujours obéir à un principe inéluctable, organiquement lié à leur sentiment de responsabilité politique : il ne faut « jamais s’abandonner à l’instinct sexuel ni donner libre cours au caprice et à l’animalité », mais conquérir, en luttant contre la société capitaliste, « l’amour véritable » et choisir un « mariage d’amour » (117).
La condamnation sans appel de la sexualité (abhorrée parce qu’elle serait une force de perversion générée par des instincts « animaux ») et la valorisation simultanée de l’amour conjugal étaient tout à fait cohérentes pour un Parti qui défendait un modèle de mariage indissoluble. Au-delà des particularités du langage utilisé pour illustrer ses conceptions, sa vision de la famille ressemblait beaucoup à celle de la famille catholique, dispensatrice de grâce et formatrice de valeurs, invoquée par Pie XII et l’Action catholique.
À la base du PCI, le soin consacré à la protection de la pudeur et la préoccupation de ne pas s’exposer à des manifestations licencieuses étaient parfois si intenses, si vifs, qu’ils conduisaient les militants à s’aligner, en réalité, sur des positions moralisatrices à l’extrême. On en venait à considérer comme inconvenantes et « dangereuses » les rencontres fréquentes et la promiscuité des sexes. « Cela semble aujourd’hui incroyable, écrit Gian Carlo Marino, mais même en matière de fêtes et de bals, et en raison des effets négatifs qui auraient pu en découler sur la correction et la moralité des comportements, on cultivait dans certaines sections communistes des idées semblables à celles de certains vénérables hommes d’Église(118). »
En 1947, le cardinal Giuseppe Siri et l’évêque Egisto Domenico Melchiori condamnèrent publiquement la danse pour son caractère licencieux. Leurs préoccupations pastorales étaient partagées par de nombreux représentants du groupe dirigeant communiste, y compris à « Bologne la rouge », où l’alarme avait été sonnée par Ruggero Grieco. Celui-ci avait remarqué que les jeunes avaient « l’habitude de donner à leurs fêtes un ton typiquement bourgeois(119) » : « En effet, dans les salles de bal où se réunissent nos garçons et nos filles, on voit tout à coup les lumières s’éteindre, ou baisser et devenir bleues, et alors il se produit des orgies et des chahuts. Tout cela est certainement provoqué par une mauvaise éducation, une mauvaise orientation politique, et en Émilie nous souffrons aussi de ce phénomène grave qui représente un obstacle à l’éducation de la jeunesse ; c’est pourquoi je ne voudrais pas que, à force de laisser les jeunes livrés à eux-mêmes, ces pratiques dangereuses se banalisent et s’institutionnalisent(120). »
Ruggero Grieco faisait partie de ce groupe dirigeant communiste qui avait assimilé inconsciemment l’idéologie morale conservatrice, mais il faut reconnaître que de simples ouvriers comme, par exemple, un certain Luigi Brunetti, de Turin, se livraient aussi à des observations analogues. Dans une lettre, ce militant considérait que le laxisme moral des jeunes, qui s’adonnaient à un sport « peu sain » et à des fêtes dansantes étourdissantes, était tout bonnement une des causes de la défaite électorale du 18 avril 1948(121) !
Cet argument sera repris, avec une charge moralisatrice à peine dissimulée et de nets accents pudibonds, par la députée Luciana Viviani, dans un discours qu’elle prononça au Parlement sur les problèmes de la jeunesse. Elle stigmatisa l’incapacité du gouvernement à offrir aux générations nouvelles « des sports sains et des activités saines à caractère récréatif et éducatif pour les protéger des dangers de l’hédonisme envahissant (122) ».
Seuls quelques militants isolés comme l’intellectuel Paolo Fortunati et le permanent communiste de Bologne Masetti refusaient énergiquement ces analyses : « Si les jeunes veulent la pénombre, laissons-la-leur, c’est au fond une chose sentimentale, pourquoi l’empêcher (123) ? » Mais l’ouvrier de Bologne Gastone Biondi demandait carrément que le Parti mette en place un « service de surveillance » afin d’empêcher les « dégénérescences bourgeoises » (lire : les manifestations licencieuses) des fêtes organisées par les sections. « Les camarades adultes doivent être présents afin de surveiller et guider les jeunes(124). »
Cette attitude communiste puritaine était plus accentuée encore dans le Sud, où l’arriération se faisait sentir lourdement. Le film Divorce à l’italienne, de Pietro Germi, montre à un moment une soirée dansante dans une section du PCI sicilien où seuls les hommes dansent entre eux, alors que les femmes sont exclues de la fête. Avec une fine ironie, le metteur en scène fait dire en voix off que, près du cercle des danseurs, l’on enregistre un progrès, « d’accord, un progrès encore lent, et même très lent… mais qu’il est impossible d’enrayer, comme on dit…(125) ».
À l’époque de Mario Scelba, on « moralisa » les plages italiennes parce que certaines femmes ne voulaient pas comprendre « qu’à la mer, on ne se déshabille pas ». En 1957, le journal Paese Sera, proche du PCI, écrivait encore : « Cette année, nous ne verrons pas de bikinis sur les plages. Ce vêtement était déjà moribond l’année dernière, et maintenant il est tout à fait mort. Tous les créateurs de maillots de bain ont obéi à la volonté des femmes : celles-ci ne veulent plus se montrer sur les plages comme des indigènes polynésiennes ; elles ont compris qu’on ne se déshabille pas au bord de la mer, mais qu’on s’habille avec des vêtements adaptés. Et comment les dames sont-elles arrivées à cette conclusion ? Ce n’est ni la répression de la police des mœurs ni les sermons indignés de leur curé qui les ont convaincues, mais uniquement leur bon goût(126). »
Le Parti redoutait la nudité parce qu’elle risquait d’avoir des effets corrupteurs sur les mœurs et la morale. Cette conception était tellement ancrée chez les dirigeants communistes que, dans l’immédiat après-guerre, « (…) un jour, le secrétaire de la fédération turinoise du PCI, Mario Montagnana [beau-frère de Togliatti], le plus puritain de tous, voulut consulter Calvino, Pavese et le soussigné [Paolo Spriano], pour savoir si nous, les intellectuels, considérions comme nécessaire que L’Unità publie toujours en troisième page des photos de jeunes filles plantureuses et un peu dévêtues (à la manière très chaste de l’époque)(127) ».
À la fin des années 1940, Gillo Pontecorvo publia dans Pattuglia [La Patrouille] un dessin humoristique au centre du journal qui montrait un beau derrière féminin qui débordait d’un maillot tombant en lambeaux, tandis qu’un jeune garçon demandait : « Mademoiselle, savez-vous que vous avez un trou au milieu du derrière ? » Lorsque Togliatti vit ce dessin, il fit un bond sur son siège, appela le futur metteur en scène, lui passa un bon savon, et peu après le remplaça par Ugo Pecchioli(128).
Les communistes s’alignèrent également sur la morale catholique la plus rétrograde et la plus réactionnaire dans un autre domaine : celui de l’homosexualité. Ceux qui transgressaient les indications morales hétérosexuelles du Parti étaient immédiatement sanctionnés.
C’est ce qui arriva à Pier Paolo Pasolini, qui fut exclu du PCI en 1949 pour avoir reconnu les faits après qu’on l’eut accusé d’actes obscènes dans un lieu public et de détournement de mineurs. Le 26 octobre 1949, le Comité directeur de la fédération communiste de Pordenone expulsait le poète du Parti pour « indignité morale et politique ». L’édition locale de L’Unità répondait aux « insinuations » du Messagero vénitien et du Gazzettino en annonçant le renvoi de Pasolini et en l’abandonnant donc à la « faute » et au « déviationnisme » intellectuel alimenté par des lectures d’auteurs « bourgeois » et « décadents »(129).
Un permanent de la fédération d’Udine écrivait dans L’Unità : « Une grave mesure disciplinaire a été prise à l’encontre du poète Pasolini. Nous nous saisissons de l’occasion pour dénoncer encore une fois les influences délétères de certains courants idéologiques et philosophique. Les Gide, Sartre, et autres poètes et hommes de lettres décadents veulent se donner des airs progressistes, mais en réalité ils incarnent les aspects les plus nocifs de la dégénérescence bourgeoise(130). » La même année, Giulio Trevisani définissait, dans le journal du Parti, Jean-Paul Sartre comme « le philosophe des invertis »(131). L’homosexualité était considérée comme une faute si grave que, l’année suivante, Togliatti injuria l’écrivain français André Gide, en l’invitant « à s’occuper de pédérastie, dont il est un spécialiste(132) », tandis que la feuille de chou de Berlinguer Gioventù Nuova [La Nouvelle Jeunesse] accusait Sartre d’être « un laquais dégénéré de l’impérialisme, qui se complait dans la pédérastie et l’onanisme (133) ».
Parmi la base communiste, la « différence » constituait aussi un motif de condamnation. En 1952, dans un travail sur sa section, un élève de l’école centrale de Bologne décrivait en ces termes le cercle paroissial local : « D’un point de vue moral, ce cercle n’est pas sain, car il est fréquenté par quelques pédérastes, connus de tous, qui le sont devenus dans ce milieu et qui continuent de le fréquenter(134). »
Dans ce moralisme pudibond affiché, il advenait cependant que certains trébuchent sur un accident peu sympathique, comme celui qui arriva à l’avocat Giuseppe Sotgiu, ex-député à la Constituante et représentant connu du Parti, considéré de plus comme un des champions de la « moralité ».
Il avait également écrit un petit livre intitulé L’État et le droit en Union soviétique (135), dans lequel il exaltait la pureté et la moralité de la famille russe, qu’il opposait à la famille américaine dégénérée. En d’autres termes, le stalinisme avait fait naître en Russie une famille modèle et banni l’amour libre.
En mars 1954, le brillant pénaliste assurait la défense du journaliste Silvano Muto, poursuivi en diffamation par Ugo Montagna, marquis de San Bartolomeo, pour ses reportages sur la mort de Wilma Montesi, décédée lors d’un festin érotique auquel aurait participé un des fils du ministre démocrate-chrétien Attilio Piccioni.
Au cours du procès, Sotgiu avait stigmatisé ceux qui organisaient des orgies scandaleuses et il avait tonné avec une grande véhémence contre le milieu corrompu dans lequel Anna Maria Moneta Caglio, une amie de la morte, avait vécu avec une désinvolture insouciante.
En novembre, la police, en enquêtant sur un cas analogue à celui de Montesi, découvrit par hasard la vie privée de l’avocat en question. En effet, Sotgiu aimait assister, parfois avec d’autres personnes, à des exhibitions érotiques de sa femme (elle aussi une militante du Parti) avec des jeunes hommes dans une maison de rendez-vous. Étant donné que l’un de ces jeunes était mineur, les époux Sotgiu furent poursuivis pour « instigation à la prostitution et complicité(136) ».
L’avocat se démit de toutes ses charges publiques – il était aussi président de la Province de Rome – et disparut avec son épouse pour un certain nombre d’années. Le PCI se garda bien de prendre sa défense : après l’avoir suspendu de toute responsabilité et interdit d’activité dans le Parti(137), il publia à la hâte des communiqués pour prendre ses distances avec ce camarade et pour affirmer que la vie privée de Sotgiu devait être jugée distinctement de sa vie publique (138) .
(Les notes ou indications suivies de la mention NDLR ont été ajoutées pour apporter quelques précisions historiques à ce texte écrit au départ pour un public italien.Y.C.)
1. Cf. Palmiro Togliatti, Opere, vol. IV, tome 2 (1945-1944), Editori Riuniti, Rome 1979, pp. 534-537.
2. Relazione prefetto di Reggio Calabria (31 octobre 1944), Archivio Centrale dello Stato, Min. Int. Dir. Gentile, Pubblica Sicurezza, Divisione Affari Generali e Riservati 1931-1949, cgt. C.2.I, b. 61 B.
3. Rita Montagnana, La famiglia, il divorzio, l’amore, Società Editrice l’Unità, Rome 1945.
4. Ibidem, pp. 3-4.
5. Ibidem, p. 4.
6. Cf. Arturo Peregalli, Stalinismo. Nascita e affermazione di un regime, Graphos, Gênes 1993, pp. 196-199.
7. Rita Montagnana, op. cit., p. 4.
8. Ibidem, p. 5.
9. Ibidem, p. 7.
10. Cité dans Daniela Pasti, I comunisti e l’amore, Editoriale L’Espresso, Rome 1979, p. 89.
11. Alessandro Coletti, Il divorzio in Italia, Savelli, Rome1974.
12. Leonilde Iotti, “La famiglia e lo Stato”, Rinascita, N° 9, septembre 1946, pp. 224-225.
13. Ibidem.
14. Cfr. l’Unità, 3 décembre 1946 ; cité in Alessandro Portelli, Biografia di una città. Storia e racconto : Terni (1830-1985), Einaudi, Turin 1985, p. 359.
15. P. Togliatti, Intervention à la Constituante le 23 avril 1947, in Id., Discorsi parlamentari (1946-1951), vol. 1, Chambre des députés, Rome 1984, p. 100. La même conception avait déjà été exposée par Leonilde Ioti dans l’article précédemment cité de Rinascita.
16. Donald Sassoon, L’Italia contemporanea. I partiti le politiche la società dal 1945 a oggi, Riuniti, Rome 1988, p. 277. “Togliatti avait ordonné (aux communistes) de ne pas soulever la questione du divorce” (Paul Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra a oggi. Società e politica 1943-1988, Einaudi, Turin 1989, p. 133).
17. Umberto Terracini, Come nacque la Costituzione, Riuniti, Rome 1978, pp. 56-58.
18. P. Ginsborg (op. cit., p. 133) reprend lui aussi l’information erronée selon laquelle Umberto Grilli appartenait au groupe communiste. (Le PSLI fut une petite scission du Parti socialiste en 1947. Au départ elle paraissait plutôt à gauche de la social-démocratie puisqu’elle entraîna une grande partie des jeunesses socialistes. En fait, il semble que la scission fut “encouragée” par le Département d’Etat américain, mais cela ne devint clair qu’à l’occasion des éléctions de 1948, lorsque le PSLI refusa de rallier le Front démocratique populaire (FDP), c’est-à-dire la coalition électorale de gauche, ce qui amena la rupture des jeunes qui fondèrent à la veille des élections le Movimento Socialista di Unità Proletaria et participèrent au FDP. Le PSLI se transforma ensuite en PSDI. Son principal dirigeant Giuseppe Saragat, 1898-1988, fut président de la République entre 1964 et 1971. Lorsqu’il mourut l’Unita, journal du PCI, titra “Un camarade est mort”… NDLR)
19. A. Coletti, op. cit., p. 118.
19 bis. Les accords du Latran consacrèrent la reconnaissance mutuelle de l’Etat fasciste et de l’Etat du Vatican en 1929. Ils ont joué un rôle historique fondamental puisqu’ils permettent encore aujourd’hui à l’Etat fictif du Vatican de fonctionner, et offrent une couverture idéale aux manoeuvres diplomatiques, financières et politiques de l’Eglise catholique à l’échelle internationale. Ils se composaient de trois éléments : 1) Un traité par lequel l’Etat italien garantit au Saint Siège la juridiction absolue sur un territoire nommé Città del Vaticano, au milieu de la ville de Rome ; l’Eglise à son tour reconnut le royaume d’Italie ayant Rome pour capitale. La religion catholique devint religion d’Etat. 2) Un concordat par lequel l’Eglise accepta surtout l’obligation pour les évêques de jurer fidélité à l’Etat, tandis que ce dernier accorda une validité civile aux mariages religieux et introduisit l’enseignement religieux obligatoire dans les écoles. 3) Une convention financière par laquelle l’Italie s’engagea à verser au Vatican 1 750 000 000 lires à titre d’indemnisation pour la perte des revenus qui revenaient à la papauté grâce à la gestion de l’Etat pontifical. Les Accords du Latran furent ratifiés définitivement en juin 1929. (NDLR).
20. F. M. Cappello, “La nuova Costituzione dello Stato italiano e i suoi rapporti con la legislazione ecclesiasti¬ca”, La Civiltà Cattolica, novembre 1948, p. 236.
21. Reproduit in A. Coletti, op. cit., p. 123.
22. Stephen Gundle, I comunisti italiani tra Hollywood e Mosca : la sfida della cultura di massa, 1943-1991, Giunti, Florence 1995, p. 60.
23. Cf. Ricerche Storiche, revue consacrée à l’histoire de la Résistance à Reggio Emilia..
24. Alfonso Gatto, “Sulla soglia della primavera l’Italia è fiorita di mimose”, Vie Nuove, N° 10, 6 mars 1949, p. 5.
25. “Viva l’8 marzo giornata internazionale delle donne”, Noi Donne, N° 4, 8 mars 1947, p. 6.
26. “Scrivete di voi a Michela”, ibidem, p. 2.
27. “Fermo posta”, Noi Donne, N° 25, 24 juin 1951, p. 2.
28. “Fermo posta”, Noi Donne, n, 22, 3 juin 1951, p. 2.
29. “Fermo posta”, Noi Donne, N° 26, 1er juillet 1951, p. 2.
30. Cf. “Confidatevi con Paola. Risposta a sette censori”, Vie Nuove, N° 44, 8 novembre 1953, p. 24. Et aussi : “I comunisti e la legislazione matrimoniale. Il dibattito all’Assemblea costituente”, Quaderno dell’Attivista, N° 23, 1 er décembre 1953, p. 695.
31. Breve corso Zetkin sulla lotta per l’emancipazione della donna, Tipografia La Sfera, Rome 1953, p. 37 ; cité in Sandro Bellassai, La morale comunista. Pubblico e privato nella rap¬presentazione del Pci (1947-1956), Carocci, Rome 2000, p. 59.
32. Giulio Trevisani, “Come nelle Mille e una notte la vita teatrale nelle città sovietiche”, l’Unità, 6 septembre 1952, p. 3.
33. “Come realizzare nel nostro paese un reale movimento emancipatorio”, Quaderno dell’Attivista, N° 12, 1er août 1956, p. 21.
34. Giorgio Amendola, “Il progresso dell’emancipazione femminile”, Rinascita, N° 3, 1961.
35. Cité in D. Pasti, op. cit., p. 136.
36. Cf. “Famiglia e società nell’analisi marxista. Atti del Seminario organizzato dall’Istituto Antonio Gramsci nei giorni 14-15 maggio 1964”, Quaderni di Critica Marxista, N° 1, 1964.
37. P. Togliatti, Rinascita, 20 juin 1964.
38. Témoignage de Maria Michetti, in D. Pasti, op. cit., p. 138.
38 bis. Amintore Fanfani (1908-1999). Député et ministre de nombreuses fois, il joue un rôle clé dans la Démocratie chrétienne après la Seconde Guerre mondiale (NDLR).
39. Ibidem, p. 99.
40. A. Coletti, op. cit., p. 172.
41. Ibidem.
41 bis. Il s’agit du Parti radical créé en 1956 à partir d’une scission de « l’aile gauche » du Parti libéral italien (PLI). Ce parti bourgeois a mené des luttes importantes pour certains droits comme le divorce ou l’avortement. Son dirigeant le plus connu aujourd’hui est Marco Pannella (NDLR).
42. Alessandro Banfi, “Divorzio. I perdenti alla crociata”, Il Sabato, 22 décembre 1990.
43. Ibidem.
44. Alessandro Banfi, “Quei patti con il PCI”, ibidem.
45. “(...) la discussion s’élargit et bien d’autres problèmes furent abordés. Nous avons été à deux doigts d’arriver à un accord concernant l’école catholique” (ibidem).
45 bis. Le siège central national du PCI se trouve à Rome Via delle Botteghe Oscure, adresse au nom prédestiné : « rue des Boutiques obscures » (NDLR).
46. Carlo Galluzzi, Il paese dei gattopardi, Ponte alle Grazie, Florence 1994, p. 119.
47. Aurelio Lepre, Storia della prima repubblica, Il Mulino, Bologne 1993, p. 266.
48. Ibidem, p. 266
49. Vittorio Gorresio, I carissimi nemici (1949), Bompiani, Milan 1977, p. 136.
50. Massimo Caprara, L’inchiostro verde di Togliatti, Simonelli, Milan 1996, p. 116.
51. Ibidem, p. 117.
52. Renato Mieli, Deserto rosso. Un decennio da comunista, Il Mulino, Bologne 1996, p. 62.
53. Teresa Noce, Rivoluzionaria professionale, Bompiani, Milano 1977, pp. 438-439. Cf. aussi Archives du Parti communiste, Verbali della riunione della direzione, 27 novembre 1953, pp. 11-12. Sur l’exclusion de Noce cf. Verbali della riunione dell’8 gennaio 1954.
54. Antonio Gramsci, Quaderno 22. Americanismo e fordismo, Einaudi, Turin 1978, p. 63.
55. Archives du Parti communiste, 1951, mf 341/2210.
56. D. Pasti, op. cit, p. 117.
57. R. Mieli, op. cit., p. 61.
58. Ermanno Rea, Mistero napoletano, Einaudi, Turin 1995, p. 24.
59. Ibidem, p. 72.
60. Ibidem.
61. D. Pasti, op. cit., p. 117.
62. C. Galluzzi, op. cit., p. 18.
63. Vie Nuove, 2 octobre 1949, p. 2.
64. Cité in D. Pasti, op. cit., p. 118.
64 bis. A la fin du XIXe siècle ce terme désignait les associations de paysans socialistes ou anarchistes qui s’organisaient contre les gros propriétaires fonciers. Ce n’est que plus tard que ce terme fut repris par l’extrême droite dont le dirigeant, Mussolini, venait des rangs socialistes. (NDLR).
64ter. Sanpaolotti : membres du Fascio Giovanile Socialista (faisceau de la jeunesse socialiste) de Borgo San Paolo (un arrondissement de Turin). (NDLR)..
65. Arrigo Petacco, Storia bugiarda, Laterza, Bari 1989, p. 104.
66. A. Lepre, op. cit., p. 135.
67. V. Gorresio, Berlinguer, Feltrinelli, Milan 1976, p. 29.
67 bis. Il s’agit de l’attentat organisé le 23 mars 1944 Via Rasella, à Rome, par les Groupes d’action patriotique (GAP), liés au Parti communiste italien. Cet attentat visait un détachement de policiers nazis chargés de maintenir l’ordre dans la capitale. Il y eut 33 morts et 70 blessés, ce qui amena les autorités allemandes d’occupation à ordonner l’exécution de dix partisans pour chaque Allemand tué. Finalement 335 prisonniers furent massacrés aux Fosses adréatines les 24 et 25 mars 1944, parmi lesquels presque tous les membres appartenant au groupe dirigeant du Mouvement communiste d’Italie (Bandiera Rossa), importante formation communiste dissidente (stalinienne de gauche), concurrente du Parti communiste, qui refusait la ligne de collaboration de classes patronnée par le Kremlin et Togliatti. L’attentat et ses conséquences n’ont jamais cessé d’alimenter des polémiques : on s’est bien sûr interrogé sur la “légitimité” de telles actions “terroristes” mais la discussion a été encore compliquée par l’hypothèse de certains historiens : selon eux, cet attentat résulterait d’une manœuvre du Parti communiste visant à se débarrasser de ses adversaires politiques. (NDLR).
68. Felicita Ferrero, Un nocciolo di verità, La Pietra, Milan 1978, p. 177.
69. Cité in D. Pasti, op. cit., p. 125.
70. “La donna nell’Urss e in Italia”, La Nostra Lotta, N° 9, mai 1944.
71. M. Caprara, Ritratti in rosso, Rubbettino, Soveria Mannelli 1989, p. 147.
72. Guido Gerosa, Le compagne, Rizzoli, Milan 1979, p. 130.
73. “Dans notre parti (...) il n’y a jamais eu un accord complet. On disait que, en raison de l’arriération persistante des grandes masses féminines (…) nous aurions seulement permis à la Démocratie chrétienne de gagner des millions de voix” (T. Noce, op. cit., p. 387). Dans son livre, Noce affirme, à tort, que Togliatti voulait accorder le droit de vote aux femmes.
74. M. Caprara, L’inchiostro verde di Togliatti, cit., p. 72.
75. Italo de Feo, Tre anni con Togliatti, Mursia, Milan 1971, p. 222. Selon De Feo, l’attribution du droit de vote aux femmes (qui fut reconnu seulement en Italie au mois de janvier 1945 !) et l’introduction du statut régional sicilien (qui garantissait à cette région une certaine autonomie par rapport à l’Etat central) furent des contreparties pour la nomination de Togliatti comme vice-président du premier gouvernement De Gasperi (ibidem, p. 234).
76. P. Togliatti, “È stato giusto dare il voto alle donne ?” (Discours prononcé à la réunion des militantes de Rome, 13 mai 1953), in Id., L’emancipazione femminile, Editori Riuniti, Rome 1973, p. 75.
77. Cf. Giulietta Ascoli, “L’UDI tra emancipazione e liberazione (1943-64)”, in AA.VV., La questione femminile in Italia dal ’900 ad oggi, Angeli, Milan 1977.
78. S. Gundle, op. cit., p. 205.
79. Giovanni Gozzini-Renzo Martinelli, Storia del Partito Comunista Italiano. VII – Dall’attentato di Togliatti all’VIII Congresso, Einaudi, Turin 1998, p. 459.
80. Intervista a Felicita Ferrero, in Guido Gerosa, Le compagne, cit., p. 129.
81. Felicita Ferrero, Un nocciolo di verità, cit., p. 177.
82. Ibidem.
83. Ibidem, p. 171.
84. Ibidem, p. 185.
85. D. Pasti, op. cit., p. 83.
86. Réunion du 5 mars 1946, in Renzo Martinelli-Maria Luisa Righi (sous la direction de), La politica del partito co¬munista italiano nel periodo costituente. I verbali della direzione tra il V e il VI Congresso 1946-1948, Riuniti, Rome 1992, pp.104-105.
87. Archives centrales de l’Istituto Gramsci, Fédération de Turin, procès-verbal de la conférence du 3-10 juillet 1948, Cellula Off. 19. Donne della Sezione Bravin, intervention de l’ouvrier de la FIAT Negro, MF. 0181-905.
88. Archives centrales de l’Istituto Gramsci, Fédération de Bari, procès-verbal du comité fédéral du 29 octobre 1950, intervention de Gugliotti, MF. 0328-1475
89. P. Ginsborg, op. cit., p. 264.
90. L’Unità, 8 mars 1951.
91. S. Gundle, op. cit., p. 103.
92. Paolo Spriano, Le passioni di un decennio. 1946-1956, Ed. L’Unità, Roma 1992, p. 123.
93. Cf. P. Togliatti, Opere, vol. VI (1956-1964), Riuniti, Rome 1984, p. 233.
94. Silvio Lanaro, Storia dell’Italia repubblicana, Marsilio, Venise 1992, p. 189.
95. Giuseppe Carlo Marino, Autoritratto del PCI staliniano 1946-1953, Riuniti, Rome 1991, 100.
96. Ibidem.
97. Pino Corrias, Vita agra di un anarchico. Luciano Bianciardi a Milano, Baldini & Castoldi, Milan 1993, pp. 40-41.
98. Cf. “Confidatevi con Paola. Abbandono immotivato”, Vie Nuove, N° 43, 1 novembre 1953, p. 24 ; “Scrivete di voi a Michela”, Noi Donne, N° 41, 15 octobre 1950, p. 12.
99. Archives du Parti communiste, Padoue, I.5.2.7 f.b. “Quadri e disciplina”.
100. “Chi sono i nemici della religione, i nemici della proprietà, i nemici della famiglia”, article cité in G.C. Marino, op. cit., p. 102.
101. Mario Alighiero Manacorda, critique du livre d’Anton S. Makarenko, Consigli ai genitori. L’educazione del bambino nella famiglia sovietica (Tipografia dell’Orso, Rome 1950), in Rinascita, N° 11-12, novembre-décembre 1950. Lorsqu’il cite le pédagogue russe, Manacorda manifeste son accord avec ses positions.
102. Monte Marona, 24 juin 1945.
103. “Ragazze”, La Lotta, 15 mai 1945.
104. P. Togliatti, Intervention à la Constituante du 24 juillet 1946, in Id., Discorsi parlamentari (1946-1951), vol. 1, cit., p. 17.
105. D. Pasti, op. cit., pp. 112-113.
106. Raconté par V. Gorresio, Berlinguer, cit., p. 23. (Irma Bandiera, 1915-1944, résistante des GAP, Groupes armés partisans, qui milita dans la Résistance à Bologne et dans les environs. Elle fut capturée les armes à la main et torturée pendant six jours avant d’être fusillée. Elle ne livra aucun de ses camarades. NDLR.)
107. Chiara Valentini, Il compagno Berlinguer, Mondadori, Milan 1985, p. 73.
108. Raconté in Maria Antonietta Macciocchi, Duemila anni di felicità, Mondadori, Milan 1983, p. 123.
109. Umberto Barbaro, l’Unità, 8 septembre 1946.
110. L. Rem Picci, “Propagandano miti di sessualità e violenza i tesori di Gey e Carioca”, Vie Nuove, N° 19, 8 mai 1949, p. 14.
111. Emilio Sereni, Per la difesa del cinema italiano, Discours au Sénat le 25 mai 1949, édité par le PCI.
112. V. Gorresio, I carissimi nemici, cit., p. 75.
113. Marcello Flores, “Il mito dell’Urss nel secondo dopoguerra”, in Pier Paolo d’Attorre (sous la direction de), Nemici per la pelle. Sogno americano e mito sovietico nell’Italia contemporanea, Angeli, Milan 1991, p. 501.
114. Cela se déroula le 5 février 1938. Cf. Paolo Simoncelli, “Pavese tagliato. ‘Non si insultano così le signore’”, Corriere della Sera, 12 septembre 1996.
115. La Repubblica, 26 janvier 1991.
116. Istituto Gramsci siciliano, Fonds Li Causi, b. 7, f. 9, texte dactylographié, “Commento a I giorni della nostra vita”, propos tenus par D’Onofrio aux jeunes communistes de la FGCI le soir du 11 juillet 1955 à la section Testaccio de Roma, pp. 7-8 ; raconté in G.C. Marino, op. cit., p. 108.
117. Ibidem.
118. Ibidem, p. 105.
119. Archives centrales de l’Istituto Gramsci, fédération de Bologne, procès-verbal de la réunion du Comité exécutif du 15 avrile 1949. L’intervention de Fortunati reprenait et contestait une phrase de Grieco, MF. 0301-2119.
120. Ibidem, Intervention de Grieco, MF. 0301-2120.
121. Archives centrales de l’Istituto Gramsci, fédération de Turin, rapport de Luigi Brunetti “Sulla funzionalità delle cellule giovanili”, in Atti della Conferenza di officina del 9 luglio 1948, OFF. 29 M-cell. N° 7-8, MF. 0181-923.
122. Cfr. Il discorso sulla “questione giovanile” di Luciana Viviani, 28 ottobre 1952, publié par l’UDI, Rome, 1953, p. 4.
123. Archives centrales de l’Istituto Gramsci, fédération de Bologne, procès-verbal de la réunion du Comité exécu¬tif du 15 avrile 1949, discours de clôture prononcé par A. Masetti, MF. 0301-2128.
124. Ibidem, intervention de Gastone Biondi, MF. 0301-2122.
125. Pietro Germi, Divorzio all’Italiana, Edizioni FM, Rome 1961, p. 60.
125. Relaté in Corrispondenza Socialista, N° 2, 16 juin 1957.
126. P. Spriano, op. cit., p. 16.
127. Irene Bignardi, Memorie estorte a uno smemorato. Vita di Gillo Pontecorvo, Feltrinelli, Milan 1999, p. 66.
128. Cf. Enzo Siciliano, Vita di Pasolini, Rizzoli, Milan 1978, pp. 141-143.
129. Cité in Pier Paolo Pasolini, Lettere 1940-1954, Einaudi, Turin 1986, p. CIX.
130. G. Trevisani, “Le mani sporche sono quelle di Sartre”, L’Unità, 27 janvier 1949, p. 3.
131. Rinascita, N° 5, mai 1951, p. 242.
132. Chiara Valentini, op. cit., p. 91.
133. Archives du Parti communiste Bologne, Fonds de l’Istituto di studi A. Marabini, b. 2, f. 4, IX Corso provinciale (1952), pages non numérotées.
134. G. Sorgiu, Stato e diritto nell’Unione sovietica, Macchia, Rome 1953.
135. Confession publiée par Oggi le 2 décembre 1954.
136. L’Unità (édition milanaise), 17 novembre 1954.
137. Cf. Filippo Ceccarelli, Il letto e il potere. Storia sessuale della prima repubblica, Longanesi, Milan 1994, pp. 126-127.