Ce texte a été publié en brochure par Echanges et mouvement, en introduction à Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne, par Henk Canne-Meijer (1938).
Avant-propos :
Notes pour une histoire des conseils ouvriers
en Allemagne
I
On peut trouver dans certains manuels d’histoire de l’Allemagne des mentions lacunaires de la lutte des ouvriers, organisés en conseils, après la défaite de ce pays dans la première guerre mondiale. Mais, même en langue allemande, il y a peu d’ouvrages généraux sur les conseils allemands des années 1917-1921.
Le premier est, à notre connaissance, celui de Walter Tormin, Zwischen Rätediktatur und sozialer Demokratie. Die Geschichte der Rätebewegung in der deutschen Revolution 1918-1919 [1], dans lequel l’auteur montre que le terme « conseil » recouvre une diversité d’activités concrètes. Walter Tormin relève que selon les zones géographiques, le nombre des ouvriers et leur expérience, le conseil ouvrier peut être un succédané du parti ou du syndicat, un forum pour militants aguerris, le lieu d’un regroupement de classe ou bien même un composé de ces fonctions, car une organisation n’est que la forme matérielle des besoins et des intérêts de ses membres.
Après une éclipse de plusieurs années, l’irruption des luttes étudiantes en Allemagne dans les années 1960 a créé les conditions d’un nouvel intérêt pour la révolution allemande de 1917-1921. D’innombrables textes des communistes de conseils, théoriciens ou acteurs, furent alors exhumés et réimprimés.
Mais l’époque était différente de l’après-première-guerre-mondiale. Entre 1917 et 1921, les conseils avaient exprimé le combat de la classe ouvrière. Dans les années 1960-1970, les étudiants se sont naturellement tournés vers ce passé des luttes de la classe ouvrière, dont ils étaient souvent issus ; toutefois, ces étudiants aspiraient à grimper dans la hiérarchie, ne désiraient pas la révolution mais se faire une place dans la société. Et ils ont étudié le mouvement des conseils non pas tant dans les activités contradictoires de la classe ouvrière en quête de transformation sociale que du point de vue de l’évolution des idées politiques.
Les ouvrages de Hans Manfred Bock, connus des amateurs, sont nés de cette effervescence : Syndikalismus und Linkskommunismus von 1918-1923 [2] et Geschichte des "linken Radikalismus" in Deutschland. Ein Versuch [3]. Bien que fréquemment cités, ces deux livres n’ont jamais été traduits en français, pas plus que celui de Walter Tormin. Seul un bref article de Hans Manfred Bock existe dans notre langue, « Quelques tendances gauchistes dans la social-démocratie en Allemagne avant 1914 », dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de Joseph Rovan, La Social-démocratie dans l’Allemagne impériale [4].
II
Comme en Allemagne, c’est après la deuxième guerre mondiale qu’est paru en français un des récits les plus complets sur les conseils ouvriers allemands : Spartacus et la Commune de Berlin. 1918-1919, d’André et Dori Prudhommeaux [5]. Une longue période s’est ensuivie, ici encore comme en Allemagne, où l’histoire des luttes de la classe ouvrière allemande en 1917-1921 touchait uniquement des milieux extrêmement restreints avant que les révoltes étudiantes des années 1967-1968 ne remettent les conseils ouvriers au goût du jour. Mais parce que la France, contrairement à la Russie et à l’Allemagne, n’avait pas connu de mouvement des conseils, l’activité de la classe ouvrière allemande y est tout de suite réapparue, plus qu’en Allemagne, sous son seul aspect théorique ; les ouvrages postérieurs à 1968 traitent tous des conseils dans une perspective héroïque (par exemple Serge Bricianer, Pannekoek et les conseils ouvriers [6] ou en termes de combat d’idées (par exemple Michel Bourrinet, La Gauche hollandaise [7].
III
Pas plus que la France, les Pays-Bas n’ont traversé les bouleversements vécus par la Russie et l’Allemagne dans l’après-première-guerre-mondiale. D’où l’intérêt des théoriciens français et néerlandais des conseils ouvriers pour les débats d’idées plus que pour les luttes concrètes de la classe ouvrière. L’ouvrage d’Anton Pannekoek Les Conseils ouvriers [8], publié pour la première fois en néerlandais en 1946, offre la meilleure illustration de cette tendance.
L’étude des conseils ouvriers allemands par le Néerlandais Henk Canne Meijer(1890-1962), publiée en 1938 en néerlandais, fait exception. En 1952, la Gauche communiste de France, un groupuscule néo-bordiguiste [9] en publiait une traduction française dans le n° 45 de sa revue Internationalisme. Il semble que cette version française signée H. Paulo (H. certainement pour Henk Canne Meijer, Paulo étant un des pseudonymes de Bricianer) fût le résultat d’un travail commun entre Canne Meijer et Bricianer. Elle fut reprise, entre autres, dans la revue Jalons n° 8, juillet 1985 [10], sous le titre « Histoire du mouvement des conseils ouvriers en Allemagne, 1919-1935 », et dans une brochure du Courant Syndicaliste-Révolutionnaire (CSR) en novembre 2002 [11].
Bricianer faisait une traduction différente de ce même texte de Canne Meijer pour un supplément au numéro d’août-septembre 1965 d’Informations et Correspondance Ouvrières (ICO) sous le titre « Le mouvement des Conseils en Allemagne ». Ne disposant pas de l’original, nous ne pouvons juger de la qualité de la traduction. Cette deuxième version est un peu plus longue que la précédente et meilleure dans le style. Elle fut réimprimée par ICO en 1971 [12] et par Vroutsch dans le milieu desannées 1970 [13].
Mais une histoire ne se fait pas seulement à coup de dates. Tous les textes mentionnés ci-dessus ne sauraient remplacer la connaissance du mouvement des conseils par la lecture de ses propres mots. Il existe en français de nombreuses traductions, plus ou moins bonnes, des écrits du mouvement des conseils allemands. Le n° 95 d’Echanges en donnait une recension non exhaustive, p. 59 ; qu’un lecteur complétait opportunément dans Echanges n° 98, p. 33.
(Echanges et mouvement, 2006)