Villains of All Nations
Atlantic Pirates in the Golden Age
Marcus Rediker
Ed. Verso (Londres et New York), 2004
Depuis la parution de cet article, une traduction française de ce livre est sortie aux éditions Libertallia, sous le titre Pirates de tous les pays L’âge d’or de la piraterie atlantique (1716-1726) (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fred Alpi, illustrations de Thierry Guitard, 288 p., 16 €.). En même temps est parue une traduction d’un ouvrage de Marcus Rediker et Peter Linebaugh, L’Hydre aux mille visages. L’Histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Jaquet et Hélène Quiniou, éd. Amsterdam, 526 p., 27 €).
Les pirates, ça fait très romantique. Qui n’a pas lu L’Ile au Trésor de Stevenson ? Qui n’a pas rêvé des hauts faits de ces intrépides seigneurs de la mer ? Qui n’a pas fait état de leur violence et de leur cruauté ? Mais qui peut penser que les pirates furent un pur produit de la lutte de classes à l’ère de l’expansion du capital, qui vit le développement du commerce maritime et de la colonisation au XIXe siècle ? Pourtant cette étude minutieuse et détaillée des origines et des vicissitudes de la piraterie montre bien ce que fut en réalité l’âge d’or de la piraterie de 1650 à 1730. Les chiffres montrent son importance économique et expliquent comment les nations capitalistes finirent par s’unir pour l’éliminer (après l’avoir plus ou moins utilisée, avec les corsaires, dans leurs guerres intestines pour la domination mondiale, qui se jouait alors en grande partie sur la mer).
Cette élimination ne se régla pas seulement dans le combat naval, mais dans un arsenal répressif commun (qui n’est pas sans rappeler la présente lutte internationale contre le terrorisme). Les décrets pris par la classe dominante de tous pays décrivent les pirates comme des « monstres assoiffés de sang visant à détruire l’ordre social ».
Les mesures répreessives visaient surtout à dissuader ceux des exploités, terriens ou marins, qui auraient été tentés de trouver dans une vie dangereuse jouissance de richesse et de liberté. Entre la misère des campagnes, la cruelle exploitation capitaliste de ceux qui avaient été contraints d’émigrer vers l’industrie naissante, l’effroyable condition de ceux qui avaient été séduits ou enrôlés de force sur les navires marchands ou les vaisseaux de guerre, c’est tout un prolétariat naissant qui pouvait être attiré par l’aventure sur mer.
Pour les uns comme pour les autres, la discipline était brutale, la nourriture infecte, les salaires minables, les maladies et les accidents dévastateurs et la mort précoce. Pour les pirates, la mort rôdait tout autant, mais l’argent était facile, la nourriture et les beuveries abondantes et on vivait dans un monde plus ou moins égalitaire. « A merry life but a short one. »
La piraterie fut-elle une des premières tentatives d’un combat prolétarien et les premiers balbutiements d’une conception d’une société sans classe ? On peut le penser, non seulement à la mesure des réactions féroces de la bourgeoisie (qui pouvaient s’expliquer autant par la perte des profits capitalistes que par le danger pour l’ordre social que représentaient les modèles sociaux de la piraterie). Les boucaniers voulurent établir des sortes de communautés. Tous les témoignages concordent : élection des officiers qui pouvaient être déchus de même façon, égalitarisme tant dans le partage des prises que dans les soins aux blessés et malades, camaraderie et fraternité, et un sentiment de justice.
La plupart des pirates étaient des jeunes de moins de trente ans venant des plus basses classes sociales de l’époque et qui avaient occupé les emplois les plus durs du bas de l’échelle sociale. L’ordre social qu’ils tentaient d’instituer, c’était finalement eux qui l’avaient conçu et construit délibérément, en réaction contre tout ce qu’ils avaient souffert dans leur vie antérieure. On peut penser que cela pouvait aussi inquiéter les tenants de l’ordre social, non seulement parce que la perspective d’un autre ordre menaçait la discipline sur les navires, mais aussi parce qu’elle pourrait viser toute l’exploitation du prolétariat dans un monde capitaliste en expansion.
A ce titre, la piraterie mérite bien d’avoir sa place pas seulement dans la geste prolétarienne mais aussi dans les tentatives concrètes et théoriques de construire un monde nouveau.
H. S.