Comment s’est construit le mouvement contre la nouvelle loi pénalisant les immigrés.
Le mouvement anti-CPE et le peu de médiatisation en France d’un courant de résistance des immigrés aux Etats-Unis ont quelque peu escamoté ici l’importance de ce mouvement, au début de l’année. Mais le silence gardé sur ce mouvement peut être aussi dû au fait qu’il s’est développé hors de tous les circuits habituels de protestation et ne pouvait être revendiqué par aucun parti ou syndicat traditionnel.
Avant de relater les origines et les faits marquants de cette offensive essentiellement ouvrière, il importe d’en brosser les arrière-plans (1), ce qui permet aussi d’établir des comparaisons avec ce qui se passe en France dans les mêmes milieux face à la répression anti-immigrés.
Les immigrés, aux Etats-Unis sont, comme en France, répartis sur tout le territoire – mais l’étendue de celui-ci représente vingt fois celle de la France, et sa population cinq fois celle de la France. Cette répartition s’est modifiée dans la période récente : en 1990, les trois quarts des immigrés vivaient dans six Etats du Sud, et 7 « latinos » sur 10 vivaient en Californie, au Texas et en Floride, la seule exception étant l’Etat de New York. En 2005, on les trouve sur tout le territoire ; leur présence a doublé dans 25 Etats, triplé dans 9 Etats et parfois, localement, elle s’est accru de 500 %. Les Etats-Unis compteraient actuellement 32 millions de latinos, soit près de 12 % de la population totale.
Si l’on compare leur situation avec celle des immigrés en France, on ne peut que relever des différences qui expliquent les différences des mouvements de résistance d’un pays à l’autre :
– le nombre des « illégaux » (« undocumented », sans papiers américains autorisant le séjour) ; il procède, bien sûr, d’évaluations : il serait aujourd’hui situé entre 12 et 20 millions, soit entre 4 % et 8 % de la population (l’équivalent pour la France serait de 2,5 millions à 5 millions de clandestins) ; il s’accroîtrait de 500 000 par an ;
– leur homogénéité : environ 80 % de ces illégaux sont des « latinos », en grande majorité mexicains (dans certains régions comme le sud du Texas 70 % sont mexicains). Cette homogénéité signifie aussi un fort tissu de solidarités familiales et ethniques ;
– leur combativité, qui serait en partie due au fait que ceux qui émigrent sont « ceux qui osent », mais aussi (ce que soulignent cyniquement les avocats de la surveillance stricte de la frontière sud des Etats-Unis) d’une sélection naturelle qui fait que ce sont les plus costauds et les plus astucieux qui parviennent à surmonter les épreuves terribles que représente la traversée de cette frontière (voir encadré page 4). Comme en France (comme partout), sur tout le territoire, ces immigrés sont victimes de discriminations à différents niveaux. Elles sont pour une bonne part la conséquence de la situation économique des Etats-Unis et de la politique du gouvernement Bush dans l’étroite relation entres les engagements extérieurs (notamment la guerre en Irak) et intérieurs (voir dans ce même numéro l’article sur les problèmes du dollar) ;
– un premier niveau de discrimination n’a pas l’importance qu’on lui prête habituellement, bien qu’il puisse être une source d’anxiété pour tout immigrant illégal ou pas d’ailleurs. Il s’agit des organisations racistes, plus actives et plus virulentes qu’en France, qui recourent aux agressions physiqueset pratiquent la chasse à l’immigré à la frontière. Deux organisations se partagent ces privilèges dans une relative impunité : les Minutemen et Save Our Stare (SOS, sauvez notre pays). Mais par rapport à l’impact des autres mesures, l’incidence de leur action est dérisoire et elles restent impuissantes devant la montée des oppositions dont nous allons parler ;
– un second niveau de discrimination vient de la crise économique et des restructurations constantes des activités industrielles. L’abaissement du niveau de vie touche, comme partout, les catégories sociales les plus défavorisées et les illégaux sont particulièrement fragilisées dans la recherche d’un emploi (voir encadré page 6) et les conditions de leur exploitation ;
– un troisième niveau est aussi la conséquence, indirecte cette fois, de la crise économique : il s’articule aussi sur les restrictions budgétaires imposées par les engagements militaires et guerriers et le rejet par les entreprises des charges sociales (maladie et retraite) qui rend de plus en plus de travailleurs et retraités tributaires des minima de services publics dans ce domaine. Les Etats, pas tant par racisme ou souci de protection des citoyens américains, mais coincés par leurs problèmes financiers, font tout pour exclure des services publics (éducation, santé, retraite, services sociaux...) les illégaux avec des mesures législatives précises et contraignantes. Ces législations restrictives se sont développées récemment : en 2006, il existe ainsi 368 lois de ce genre dans 42 Etats ;
– un quatrième niveau joue au plan fédéral. On y trouve la conjugaison de la pression des Etats pour que leur législation spécifique anti-immigrés soit coiffée par une législation fédérale qui résoudrait certains dilemmes que nous évoquons ci-après. Mais aussi, devant l’échec de la politique extérieure et la baisse de popularité des Républicains, la tentation de reconquérir la fraction la plus conservatrice de l’électorat (élections parlementaires à l’automne) en prenant l’attitude la plus répressive possible, exaltant à la fois nationalisme et fibre sécuritaire.
C’est l’ensemble de cette situation qui explique le vote par la Chambre des représentants d’un projet de loi qui, entre autres mesures de renforcement des contrôles, criminalise le fait de résider illégalement sur le territoire américain et celui d’aider ces illégaux dans leur séjour ; par ce texte, la police se voit donner le droit d’arrêter quiconque qui « paraîtrait être un immigrant illégal » La discussion devant le Sénat de ce projet déjà bien concret semble avoir été à l’origine du mouvement de résistance, mais on ne peut ignorer le fait qu’il est, comme nous venons de le voir, l’aboutissement d’un long processus – à la fois d’exclusion des illégaux et de résistance à cette exclusion –, la situation économique globale et ses conséquences dans la vie quotidienne des immigrants expliquant à la fois la montée de l’exclusion et des résistances.
On doit ajouter un fait important quant aux incertitudes du pouvoir politique face au problème de l’immigration.
Une bonne partie du grand patronat et des agriculteurs veulent conserver la possibilité de recourir à cette main-d’œuvre dont l’exploitation permet de bas coûts de production en même temps qu’elle permet d’entretenir une pression sur les conditions d’exploitation de l’ensemble du prolétariat (voir page 8). En arrière-plan se profile également la question, propre à tous les pays occidentaux, du vieillissement de la population et d’un apport de « sang frais » pour maintenir le niveau de vie.
Les résistances des travailleurs immigrés ne sont pas nouvelles. Mais elles n’ont jamais pris ce caractère politique d’une opposition à l’échelle nationale à un projet de loi. En un mouvement des travailleurs assurant le fonctionnement et l’entretien des grands ensembles immobiliers (bureaux, hôtels, etc.), les « janitors », essentiellement des latinos, ont, sous l’impulsion de syndicats de services, lancé des grèves pour voir le syndicat reconnu et obtenir des contrat collectifs leur garantissant un minimum pour les salaires et conditions de travail.
En 2001, le mouvement né en Californie s’était étendu à d’autres grandes villes américaines et avait, en général, obtenu cette régulation dans les conditions d’exploitation (2). Si ce mouvement avait vu l’essor de syndicats de services (voir encadré page 7), l’ensemble des immigrés et notamment les illégaux n’avaient pas imaginé les répercussions de ces actions qui, néanmoins, pouvaient marquer un pas dans la défense de ces marginalisés. Une autre forme de résistance s’est développée au cours des dernières années. Bien que concernant essentiellement des travailleurs, elle s’est faite en dehors des syndicats et notamment de ceux qui avaient émergé dans les grèves des janitors. On peut penser qu’elle a pris des formes concrètes en raison de l’importance croissante de l’immigration, principalement latino, et de la répression corrélative que nous avons évoquée. Elle est une réponse à la situation matérielle réelle qu’affrontent les immigrés et n’a eu en aucune façon, au départ, un caractère politique. Sa forme initiale fut la constitution de centres sociaux bénévoles pour immigrés, tissu d’une solidarité de base dont l’existence fait penser aux premiers balbutiements en Europe des organisations d’entraide lorsque la « liberté du travail » interdisait toute association de défense ouvrière et qui furent en fait la préfiguration des syndicats.
Aujourd’hui les syndicats existent, reconnus et légalisés, mais incapables de répondre aux besoins d’une catégorie d’exploités qui enfle de plus en plus, les précaires (immigrés légaux ou pas et tous autres « bons citoyens »). Une autre carence, c’est celle de tout organisme officiel d’entraide – qui, dans les rares cas où ils existent, ne prennent de toute façon pas en charge les immigrants « undocumented ».
Il y a dix ans on comptait 25 de tels centres sociaux bénévoles, ils sont 140 aujourd’hui, répartis sur tout le territoire américain (voir Les centres ouvriers : une nouvelle forme d’organisation prolétarienne. Ces « associations de solidarité » se sont fédérées en un réseau dont le nom est significatif : « Tenants and Workers United » (TWU, locataires et travailleurs unis). Leur origine est très diverses, un quart se réfèrent à une origine ethnique : Korean Immigrant Workers Advocates à Los Angeles ou Chinese Stuff and Workers Association à New Tork ; un quart dépendent d’œuvres religieuses, d’autres concernent une industrie, Mississippi Poultry Workers Alliance (conditionnement de la volaille) ou New York Taxi Workers Alliance. D’autres enfin n’ont d’autre référence que leur localisation.
Aucun ne limite son rôle à un problème ou à un autre. Certains les ont défini comme « une nouvelle classe ouvrière qui parle de sa propre voix ». Leur aide peut être :
– juridique, qui joue à la fois par des textes (par exemple des brochures guidant sur la manière de revendiquer) mais aussi par des interventions directes auprès des employeurs pour des choses aussi simples que faire payer les salaires ;
– un refuge de jour pour les sans-logis avec des installations sanitaires et des salles de détente ;
– des séances de dépistage gratuits avec des conseils médicaux et, si nécessaire, l’intervention pour une prise en charge dans un hôpital ; – un rôle de lobby auprès des entreprises (Mac Do, Wal’Mart, etc.) qui surexploitent les immigrants illégaux.
Leurs contacts avec le quotidien de ces immigrants et leur connaissance intime de leurs problèmes a fait qu’ils se sont trouvés au centre d’une mobilisation qui n’était pas leur rôle initial et dans laquelle ils semblent avoir joué « malgré eux » un rôle coordinateur. Leur travail se trouvait pris dans une sorte de dynamique ; ils ne pouvaient, en raison du nombre croissant d’immigrants et de l’aggravation de la condition immigrée, rester sur ce plan de l’entraide et de la solidarité et ils durent passer sur le plan de l’intervention politique, d’autant plus que l’aggravation était globale et que l’attaque quittait le niveau des Etats pour passer au niveau fédéral.
« C’est la frontière qui nous a traversés »
Les premières manifestations, dans le courant de 2005, partirent effectivement de ces centres et elles furent relayées par les cercles hispaniques, clubs, radios locales, autres médias : on explique qu’à cause de la langue et de la confidentialité de ces médias, le mouvement passa inaperçu tant des autorités que des cercles radicaux, jusqu’à ce qu’il atteigne une telle dimension que chacun semblait découvrir ce qui restait ignoré jusqu’alors. Les premières manifestations regroupaient dans différentes villes seulement quelques centaines de personnes. Mais déjà des slogans s’imposaient : « On n’est pas des terroristes, seulement des travailleurs » ; « Nous n’avons pas traversé la frontière, c’est la frontière qui nous a traversés » ; « Nous sommes tous Américains » ; « Si se puede » ; « Nous sommes l’Amérique ». A partir de là, au début de 2006, avec les progrès parlementaires de la loi sur l’immigration, les manifestations se sont amplifiées au-delà de tout ce qu’aussi bien les organisateurs que les observateurs politiques auraient pu prévoir .
Elles ont eu lieu dans la plupart des villes américaines. Le 25 mars, entre 500 000 et 1 million de Latinos déferlent dans Los Angeles, dans la plus grande manifestation qu’ait jamais connu cette ville. On compte 300 000 manifestants à Chicago, 200 000 à Washington, 400 000 à Chicago le 10 avril, 20 000 à Phoenix (Arizona), 50 000 à Denver (Colorado) 20 000 à Milwaukee (Wisconsin) etc. La liste est fort longue…
Le 1er mai, les manifestations syndicales habituellement squelettiques s’enflent considérablement par la grève d’une « journée sans Latinos ». La moitié des ouvriers du bâtiment sont en grève ; même l’aéroport de Dallas est touché ; dans les ports de Long Beach et Los Angeles, il n’y a pratiquement pas de trafic et 30 000 camions sont bloqués. Ce fut le plus grand 1er mai de plusieurs générations.
Cette fois, ce n’étaient pas seulement les travailleurs qui manifestaient mais l’ensemble de la population latino, femmes et enfants, vieux et jeunes. Et ils étaient rejoints par d’autres immigrants : Coréens, Philippins, etc. La revendication principale était le rejet de la loi mais parfois aussi l’amnistie (3) . Pour ceux qui ont vécu le mouvement pour les droits civils des années 1960, cette levée des Latinos peut aller dans le même sens d’une « reconnaissance citoyenne » et nullement une contestation du système ; ce que confirme le slogan : « Aujourd’hui on marche, demain on vote. »
Le résultat immédiat a été de bloquer le vote de la loi au Sénat car cette action a exacerbé les tensions déjà fortes au sein de la classe dirigeante et a suscité des appuis religieux et politiques. Difficile de dire quelle sera l’issue et l’avenir de ce mouvement. D’une part il ne regroupe pas seulement des travailleurs mais pour une part (certes réduite) des Latinos intégrés dans les petites classes moyennes ; lors de la « Journée sans Latinos », bien des petits patrons latinos ont favorisé la participation de leurs travailleurs aux manifestations.
Rendez-vous le 12 octobre
Le fait qu’il s’agissait de manifestations politiques par leur objectif permet aux partis et groupes d’opposition, particulièrement aux démocrates, de chercher un soutien électoral, ne serait-ce que par des promesses. Un point incontournable reste, quelle que soit l’issue du mouvement, c’est la prise de conscience par une communauté, essentiellement de travailleurs, de leur force et de possibilités d’action qui ne passent pas par les canaux politiques ou syndicaux traditionnels. Une nouvelle marche sur Washington est prévue pour le 12 octobre.
Les discussions se poursuivent entre républicains et démocrates pour tenter de sortir de l’impasse. Il y a une proposition de Ted Kennedy et J. Mc Cain de régularisation pour les illégaux déjà présents sur le territoire moyennant le paiement d’une amende et pour les éventuels, l’instauration de quotas. D’autre part se profilent des récupérations de toutes sortes, notamment par les syndicats de l’AFL-CIO. Le problème, même s’il trouve une solution provisoire, reste insoluble dans le système capitaliste. L’immigration est un sous-produit du système d’exploitation de la marchandise qui contraint les travailleurs à entrer dans l’exploitation pour leur survie dans les conditions fixées par ce système à un moment précis, conditions dont la particularité est d’être particulièrement fluctuantes en fonction des impératifs du capital tout entier. Ce qui fait que toute « solution » ne saurait être que provisoire et que la lutte des immigrants, comme celle de tous les travailleurs ne durera que tant que le capitalisme existera (4).
H. S.
Notes
(1) Les matériaux utilisés dans cet article proviennent des publications suivantes : Against The Current n° 122 (mai-juin 2006) ; New York Times du 23 avril, Financial Times du 25 mai, The People de mai-juin, Socialist Worker des 6 et 13 mai ; Le Monde et Libération d’avril et mai ; Spark du 24 avril.
(2) Voir » Etats-Unis, aperçu sur les luttes récentes », Echanges n° 96 (printemps 2001), p 22, et « Pourquoi des roses ? », Echanges n° 97 (été2001), p 18.
(3) Un épisode de la lutte des Latinos montre la force du mouvement et la prudence du monde capitaliste devant cette force en paraissant pencher vers un statu quo qui lui est favorable. Un des parlementaires les plus actifs dans le vote de la loi et son initiateur, le Républicain Sensenbrenner représentant l’Etat de Wisconsin, avait le soutien financier de la société Miller Brewery Company, basée dans cet Etat. Un appel au boycott de la production de cette brasserie a suffi pour qu’elle affirme haut et fort qu’elle retirait son soutien et prenait ses distances avec les Républicains.
(4) L’histoire des relations entre les Etats-Unis et le Mexique a toujours été un rapport de conquête et de domination. De 1845 à 1848, notamment après une guerre avec le Mexique, les Etats-Unis annexèrent le Nouveau Mexique, la Californie et le Texas (la moitié du Mexique d’alors). Lors de la grande crise de 1929, 600 000 Mexicains (un tiers de la population d’origine mexicaine dont pas mal étaient nés aux Etats-Unis) furent déportés au Mexique par familles entières. Des mouvements de moindre importance que le mouvement actuel ponctuèrent la résistance des « chicanos » à leur exploitation et discrimination (1968, high-school blow out, 1968-1969, boycott des ouvriers agricoles, 1994 déjà contre une loi sur l’immigration).
ANNEXES
1. La traversée de la frontière, aux mains des trafiquants
La plus grande partie des immigrants clandestins doivent passer la frontières des Etats-Unis avec le Mexique qui s’étend sur 3.200 km, en partie naturelle avec le fleuve Rio Grande (dont la largeur est parfois inférieure à 10 mètres.
Depuis 1993, 1 323 immigrants s’y sont noyés) ou avec le désert (personne ne sait combien y meurent de faim et de soif, souvent abandonnés par les passeurs). Tout est entre les mains des passeurs, qui peuvent exiger 30.000 dollars (25 000 euros) pour une course (plus lucrative que la drogue). Plane la menace d’être dépossédé d’argent et de documents, de viol pour les femmes ou même celle d’être tué. Les clandestins doivent passer deux lignes également dangereuses : la frontière (fleuve, déserts, barrages électrifiés, murs, etc. et patrouilles) et à 110 km à l’intérieur d’autres contrôles : 2.000 dollars pour passer la première ligne, 3.000 dollars pour le tout. Ceux qui ne peuvent pas payer la différence doivent attendre l’argent de parents déjà résidents et sont séquestrés jusqu’à 200 dans des usines clandestines, où ils travaillent pour 2 dollars de l’heure (1,60 euro).
Pour renforcer les 12 000 flics déjà affectés au contrôle de la frontière, Bush envisage de doubler leur nombre d’ici à cinq ans et , en attendant,d’envoyer 6 000 hommes de la Garde nationale (ce qui serait contraire à un acte constitutionnel de 1878 qui interdit à l’armée le maintien de l’ordre intérieur). Beaucoup doutent de l’efficacité de ces mesures : depuis 1990, les effectifs de la police de la frontière ont été multipliés par trois et les dépenses en moyens mis à sa disposition par quatre (murs, électronique, etc.) mais le nombre des clandestins a doublé pour atteindre 500 000 par an.
Le fait qu’une ville frontière mexicaine de 400.000 habitants, Nuevo Laredo, se trouve totalement entre les mains des trafiquants de toutes sortes et échappe à tout contrôle légal, peut aussi donner une idée par où doivent passer les immigrants qui, souvent, restent plus ou moins ignorants de ce qui les attend.
2. De plus en plus de journaliers
On constate aux Etats-Unis une dégradation générale du niveau de vie des différentes classes sociales, sauf des plus riches . « Les ”presque pauvres” américains sont de plus en plus menacés » souligne un article du New York Times (6 mai 2006).
Au plus bas de l’échelle sociale, on voit se développer la catégorie des « journaliers », immigrants ou pas – si une partie sont des immigrants sans papiers, une autre, grandissante, est formée de citoyens américains.–, qui se louent à la journée pour tous travaux ; cantonnés autrefois dans le secteur agricole, ils se retrouvent un peu partout sur des lieux précis (coins de rue, parkings...) où les patrons d’un jour viennent chercher le bétail à exploiter. On évalue aujourd’hui à plus de 200 000 le nombre de ces migrants dont la vie fait penser à celle des Wooblies autour de la guerre de 1914. Avec bien sûr, tous les risques que représente cette insécurité (escroquerie, accident...).
3. Des janitors à l’anti-immigration
Le syndicat Service Employees International Union (SEIU), actif dans la grève des « janitors », s’est grandement élargi à la suite de ces mouvements impliquant pour une bonne part des latinos . Il s’est servi de cette croissance, qui contraste avec le déclin des syndicats de la sidérurgie et de l’automobile, pour tenter de déboulonner la direction de l’AFL-CIO s’appuyant sur les syndicats en déclin. Ils n’ont pas réussi et on dû former une fédération dissidente (voir Echanges n° 115, hiver 2005-2006, p. 23).
Malgré l’origine de son développement, le SEIU a pratiquement ignoré la montée de la résistance au durcissement de la répression concernant les immigrants, ne s’y associant que vers la fin, lorsque cette résistance ne pouvait plus être ignorée mais au contraire utilisée. Ce qui peut s’expliquer par les manœuvres bureaucratiques mais aussi par les liens avec le parti démocrate, qui sur l’anti-immigration fait de la surenchère sur la politique sécuritaire de Bush..
4. Latinos à Dalton (Georgie)
On peut donner un exemple des situations conflictuelles au sein du capitalisme américain relativement à l’exploitation des immigrants entre les industriels et les politiques avec la situation dans une petite ville de Georgie, Dalton, qui est la capitale du tapis (un tiers de la production mondiale dans 150 usines ; la population est passée de 22 000 personnes en 1990 avec 85 % de non-latinos à 28 000 en 2000, avec 60 % de non-latinos (sans compter les illégaux). La bourgeoisie locale du tapis est favorable à l’immigration et avoue ouvertement que « sans eux, les usines seraient fermées depuis longtemps ».Elle ferme les yeux sur les innombrables fraudes en ajoutant que ce sont de « bons travailleurs, de bons catholiques et de bons pères de famille ».
Pour la nouvelle loi qui prévoit aussi des sanctions contre les patrons, elle n’est pas trop inquiète ; même si le nombre des inspecteurs doit être porté en cinq ans de 300 à 2 000, elle sait qu’ils seront inopérants et que personne ne peut leur reprocher de ne pas vérifier les faux documents qu’on leur présente, ce qu’ils sont incapables de faire.
Mais l’emploi massif d’immigrants, légaux ou pas, amène des problèmes de gestion des services publics. Comme l’assurance maladie est inexistante, les immigrants se tournent vers les services publics de santé qui sont débordés notamment financièrement ; comme leurs enfants affluent vers les écoles publiques, les non-Latinos retirent leurs enfants de ces écoles qui, submergées par des enfants connaissant mal l’anglais, sont contraintes de recruter des enseignants au Mexique.
Ce dilemme, avec une plus ou moins grande acuité, est celui de presque tous les Etats des Etats-Unis.
5.En France, la mobilisation pour les enfants d’immigrés
On peut faire un parallèle entre ce mouvement et le développement récent en France d’une mobilisation spontanée, hors les organisations de toutes sortes, contre les expulsions des enfants d’immigrés à la fin de l’année de scolarisation : la force du mouvement de base sur un point très concret, hors toutes manifestations à caractère plus ou moins politique, a pourtant contraint le gouvernement à des concessions qui, volontairement vagues mais interprétées au sens le plus large par les intéressés, ont fait submerger les services d’immigration d’une vague inattendue de postulants à une régularisation de leur présence en France.