http://endehors.org/news/de-la-lcr-...
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Je trouve ces 2 articles parus sur le site libertaire de l’Endehors intéressants et je suis d’accord avec beaucoup des critiques que l’auteur adresse à la LCR mais j’aimerais ajouter quatre remarques qui ne sont d’ailleurs pas forcément l’expression de divergences.
1) Il faut absolument sortir du cadre de l’Hexagone pour comprendre la LCR
Si l’on veut discuter de la stratégie de la LCR, on ne peut la comprendre que dans un cadre qui ne soit pas strictement franco-français. L’expérience que tente la LCR est en liaison étroite avec des aventures menées par ses organisations sœurs :
– au Brésil (dans le Parti des travailleurs, sorte de grand parti travailliste né des syndicats),
– en Allemagne (dans le parti Die Linke, coalition entre l’ex-parti stalinien est-allemand, le PDS, et une fraction de la « gauche » qui a scissionné du SPD entraînée par Oskar Lafontaine),
– au Portugal (dans le Bloc de gauche, une coalition avec d’ex-staliniens du PC et d’ex-maoistes de l’UDP)
– en Italie dans le Parti Rizondazione comunista (scission de l’ancien PC italien qui lui est devenu les Démocrates de gauche, puis le Parti démocrate)
– du SSP en Ecosse (coalition de différents groupes trotskystes)
– et de Respect (coalition de différentes forces trostkystes sous la houlette d’un député travailliste hostile à l’intervention en Irak, George Galloway, et avec la collaboration du MAB, les Frères musulmans britanniques) en Angleterre. – Même si ces expériences se sont finalement traduites, dans 4 cas sur 6, par l’exclusion des trotskystes ou des scissions non désirées (Brésil, Italie, Ecosse, Angleterre) et qu’elles ont été relativement éphémères (la plus longue ayant été la présence des trotskystes au sein du PT brésilien) la LCR veut, comme ses organisations sœurs, dépasser le cadre de ce qu’elle appelle ses « frontières organisationnelles et programmatiques » historiques (le marxisme, le léninisme et le trotskyme) pour créer de toutes pièces (ou entrer dans) un regroupement de gauche plus large. C’est le bilan qu’elle a notamment tiré après la disparition de l’URSS et de ses satellites. Selon la LCR, les trotskystes ne peuvent plus espérer devenir un gros parti révolutionnaire en fusionnant toutes les tendances trotskystes ensemble ou en ralliant un pan du PS ou du PC à leur seul drapeau rouge. Ils doivent contribuer à la formation de gros partis réformistes de gauche (qu’ils appellent « anticapitalistes » pour la galerie, mais qui seraient de fait réformistes s’ils prenaient racine).
Il est important de tenir compte de cette dimension internationale, d’une part parce que cela constitue une des originalités fortes de la LCR et d’autre part parce qu’elle permet de comprendre pourquoi la critique de Patrick Mignard rate en partie sa cible. En effet, un militant de la LCR un tant soit peu sophistiqué ne sera pas vraiment ébranlé par la réflexion selon laquelle le NPA risque d’être un PCF-bis. Si j’étais lui, je répondrais : « Oui, et alors, ce serait déjà vachement mieux que la situation actuelle ! » Et par « situation actuelle », il entendrait à la fois le nombre de militants et l’oxygène politique limités dont dispose aujourd’hui la LCR, mais aussi la capacité de peser dans le champ politique, social…et médiatique. En d’autres termes, « on serait drôlement plus audibles et efficaces ». Et cet argument-là, même s’il n’est pas très « radical » ou « libertaire », est extrêmement séduisant. J’ai participé récemment à une réunion nationale d’une association à laquelle participe la LCR et cela m’a frappé d’entendre tous ses militants quadra ou quinquagénaires au sein de cette assoc répéter à plusieurs reprises qu’ils « n’étaient pas des gauchistes ». On voit qu’avec l’âge, les trotskystes ont envie d’un peu de notoriété et de respectabilité. Et qu’ils ne seraient pas fâchés de collaborer davantage avec les Verts, le PS et le PCF, bien sûr pour défendre les « intérêts des travailleurs ». Je crois que ce sentiment « unitaire » (en clair la peur de l’isolement) explique bien des choses, chez les militants de la LCR, comme chez les futurs adhérents potentiels du NPA. De la peur de l’isolement à l’opportunisme, il n’y a qu’un pas.
2) La question du régime interne et de la démocratie interne du nouveau Parti
Peut-être Mignard l’a-t-il fait dans d’autres textes que je n’ai pas lus mais il me semble que c’est un des points sur lesquels il faut insister dans la critique de ce prétendu « nouveau parti ». En réalité, le NPA ne se crée à partir d’aucune réflexion originale, novatrice, sur ce que pourrait être le fonctionnement radicalement différent d’un parti politique « anticapitaliste » (cf. à ce propos : « À ceux qui désirent fonder un nouveau parti anticapitaliste » http://www.mondialisme.org/spip.php... )
Je ne suis pas anarchiste, mais s’il y a un point sur lequel les anarchistes ont toujours eu raison contre la plupart des marxistes, c’est la nécessité de la cohérence entre la fin et les moyens . Si j’étais un militant critique de la LCR, je me poserais la question de la cohérence entre la fin (le communisme) et les moyens (le Parti et l’Etat dit ouvrier ou socialiste.)
De façon plus immédiate, je ne crois pas que la décentralisation totale soit une solution miracle (le fait que chaque groupe du NPA fasse ce qu’il veule dans son coin), mais au moins si l’on voulait sincèrement « faire du neuf » il faudrait poser tout de suite les questions ;
– de la marge d’autonomie et d’expérimentation des sections ou cellules locales du NPA,
– des permanents du NPA (un parti qui repose sur un appareil de permanents a toutes les chances de voir cet appareil s’autonomiser de la base),
– et des députés, voire même des conseillers municipaux du NPA.
Toutes ces questions n’auraient d’intérêt que si le NPA y apportait des réponses inédites ou effectivement libertaires, dans le bon sens du terme, pas celui démagogique utilisé par Besancenot qui fait l’apologie de Che Guevara, l’inventeur des camps de redressement par le travail à Cuba !
Pour ce qui concerne les élus au suffrage universel, il est significatif que les scissions ou l’écroulement des coalitions larges ou des partis réformistes de gauche auxquels ont participé les sections sœurs de la LCR dans d’autres pays ont toutes eu lieu autour de l’activité des parlementaires trotskystes ou de gauche.
En Italie c’est l’exclusion d’un parlementaire trotskyste qui a précipité la scission, tout comme au Brésil (et d’ailleurs il est significatif que l’une des députés trotskystes exclues du Parti des travailleurs, Heloise Helena, prône désormais l’alliance avec la droite sur certaines questions, en raison de ses convictions religieuses, ce qui a abouti à une nouvelle scission).
En Ecosse ce sont le comportement « privé » du député Tommy Sheridan (1) et ses mensonges publics (il a obligé toute la direction de son organisation à le soutenir, à mentir, et à engager un procès en diffamation qu’il a évidemment perdu) par ailleurs extrêmement populaire et militant qui ont provoqué l’écroulement du SSP. (Avant cet épisode minable exploité par la presse à sensation, c’est le succès électoral du SSP qui provoqua de vive tensions internes entre et autour des 6 députés d’extrême gauche.)
En Angleterre c’est, entre autres, la volonté du député George Galloway de contrôler Respect (ce député de gauche, grand ami de Saddam Hussein, déclarait ne pas pouvoir militer avec moins de 200 000 euros par an !) et d’imposer sa ligne politique qui a suscité la scission.
Sur ces questions, il n’y a pour le moment aucune réflexion sérieuse dans le NPA. Non seulement le NPA risque de fonctionner grosso modo comme la LCR (avec des tendances, ce qui est déjà mieux qu’une organisation monolithique, mais ce qui est insuffisant ; mais aussi avec des permanents, ce qui est particulièrement néfaste et dangereux), mais en plus l’objectif publiquement affiché par Besancenot, avant même que le Congrès de fondation se soit prononcé sur cette question, est de se présenter aux prochaines élections, sans que la moindre réflexion soit engagée sur ce qu’implique la participation aux processus électoraux, donc concrètement la cogestion de l’Etat bourgeois.
Il est à ce titre significatif que les militants de la LCR qui ont une expérience de conseillers municipaux et de députés européens se considèrent comme de braves « délégués du personnel » au sein de l’Etat et qu’ils refusent d’admettre qu’ils cogèrent l’Etat par le bas, en attendant (inévitablement) de le cogérer par le haut. (Cf. notre article sur les municipales http://www.mondialisme.org/spip.php...)
3) Le NPA va-t-il marcher et le PCF est-il moribond ?
On entre là dans un domaine particulièrement difficile, celui de la prévision.
D’une part, je n’enterrerais pas aussi vite le PCF que le fait Patrick Mignard. Pour le moment, le PCF existe encore et, par l’intermédiaire de la CGT et de multiples associations, il possède un pouvoir d’influence sociale et de nuisance politique qui n’est absolument pas comparable à l’influence groupusculaire de la LCR et celle hypothétique du NPA. Rappelons l’expérience des comités du Non contre le TCE qui ont abouti à un fiasco total, quand il s’est agi de traduire ce « moment exceptionnel » de discussions politiques en une organisation durable. Sans parler d’ATTAC qui n’a pas réussi, malgré toutes ses proclamations et ses prétentions à « faire de la politique autrement ».
Deuxièmement, construire un parti politique de masse demande des capacités organisationnelles particulières. Si j’en crois les confidences de Krivine dans son dernier livre, la LCR a toujours été incapable de gérer ses finances. Son journal et ses publications sont totalement déficitaires, les cotisations ne rentrent pas tous les mois, etc. On comprend d’ailleurs pourquoi la LCR tient tant à la manne électorale, car l’Etat bourgeois verse de généreuses subventions à ceux qui dépassent les 5% aux élections. L’Etat français supplée donc aux déficiences militantes et financières de la LCR. Mais je doute fort que la LCR surmonte ce handicap, celui de l’argent, qui est le nerf de la guerre, surtout dans la politique traditionnelle. Et si elle le surmonte avec l’aide de quelques gestionnaires efficaces (comme cela s’est passé par exemple quand les éditions François Maspero, sympathisant et gros cotisant de la Ligue communiste pendant des années, sont devenues des éditions traditionnelles bourgeoises, La Découverte), cela ne changera rien à la nature profonde de la future organisation. Il faut des années pour former des cadres politiques solides, or la formation politique est faiblarde à l’actuelle LCR et il n’y a aucune raison que cela s’améliore au sein du NPA si ce parti n’attire que des gens très modérés, soucieux avant tout d’action syndicale ou associative locale, qui veulent simplement un « partage plus juste des richesses » comme le disent la plupart des nouveaux adhérents sur les forums du NPA ou ceux interviewés dans sa revue Critique communiste.
Il y a fort à parier que la LCR accouchera d’un mini PSU, et avec peut-être autant de députés (4, ce qui était ridicule) et de conseillers municipaux (quelques centaines, à l’époque), donc une structure qui aura une vie brève et finira par rejoindre le PS, le PCF ou toute autre formation de gauche plus classique qui pourrait apparaître et serait aux mains de vieux renards et de jeunes loups (qui auront été formés par les trotskystes, tels que le furent les Mélenchon, Cambadélis et autres Dray ou Weber).
Mais je peux me tromper en matière de pronostics. Simplement je trouve que le milieu libertaire a tendance à se laisser un peu trop intoxiquer par tout le barouf médiatique fait autour du NPA et de Besancenot. Les médias ont laissé tomber Arlette Laguiller (qu’ils n’ont de toute façon jamais ménagé autant qu’ils ménagent aujourd’hui Besancenot et la LCR), pour mettre en avant et en valeur Olivier Besancenot, mais nous ignorons combien de temps ce favoritisme durera. Et si cette couverture médiatique devait brutalement s’interrompre, on en reviendrait au réel. « Le NPA, combien de divisions ? » Et là rien ne remplace l’huile de coude et l’imagination politiques.
4) Désorientation de la tête à la base
Pour conclure, il me semble qu’il manque un dernier élément dans l’article de Patrick Mignard. Ce ne sont pas simplement les militants de base ou les sympathisants libertaires, de gauche ou d’extrême gauche, qui sont déboussolés ou désorientés. Ce sont aussi les « têtes pensantes » de la LCR. Il suffit de lire les textes de revues comme « Critique communiste » ou les livres publiés par Daniel Bensaïd (généralement écrits dans un style jargonnant et profondément ennuyeux, mais où l’on trouve parfois quelques pistes de réflexion utiles), pour se rendre compte que la LCR est en pleine confusion idéologique et théorique. En partie parce qu’elle a toujours été plus sensible aux modes intellectuelles, aux débats théoriques branchés que ses consœurs trotskystes, mais aussi et surtout parce que tous ses pronostics politiques, et ceux de ses prédécesseurs léninistes, ont été remis en cause. Qu’il s’agisse de l’évolution du capitalisme, de la nature des Etats dits socialistes, des mouvements de libération nationale, des possibilités révolutionnaires des années 60-70, etc. Il est « normal » que Mignard n’ait eu que peu de réponses à son article, et quand il en a eu, que cela ait été des réponses généralement injurieuses ou sectaires. Ce sectarisme des petits cadres politiques de la LCR traduit beaucoup plus un profond désarroi idéologique que des convictions solides.
Raison de plus pour continuer le débat.
Y.C. (Ni patrie ni frontières)
14/10/2008
1. Ce député pratiquait l’échangisme – ce qui ne regardait que lui et sa compagne, tant qu’elle était consentante, ce qui est toujours difficile à établir dans une société machiste – mais, en plus, selon les témoignages de certaines militantes, il harcelait ses camarades, ce qui n’est plus du tout un problème d’ordre privé.