La polémique autour des propos ambigus de Siné (1) et l’article absurde de Joffrin dans « Libération » assimilant les Juifs à une « race » dont on ne pourrait pas sortir (2) cachent l’essentiel.
Les réseaux de solidarité envers Val d’un côté, envers Siné de l’autre se gardent bien d’aborder le fond des questions touchées. Qu’est-ce que le racisme ? Qu’est-ce que l’antisémitisme ? Y a-t-il, oui ou non, des liens entre anticapitalisme de gauche et antisémitisme ? De quelle nature ? Entre antisionisme de gauche et antisémitisme ? Lesquels ? Et si des passerelles ont existé et existent encore entre ces idéologies, comment peut-on y mettre fin et lever toute ambiguïté ?
En clair : critiquer et combattre à la fois le sionisme (qui n’est qu’une des formes de l’idéologie nationaliste et procapitaliste) et l’antisémitisme, sans employer des expressions idiotes telles que « sionazis », sans lancer des slogans tels que « Israheil » ou « Sharon = SS » ou sans faire passer tous les Palestiniens (toutes classes et toutes tendances politiques confondues) pour des figures christiques victimes de tous les Juifs ou de tous les Israéliens, quelle que soit leur classe et leur position sociale. En clair, sans recycler l’ancien antijudaïsme chrétien en antisionisme moderne aux accents plus ou moins antisémites. Sans faire l’apologie aveugle du nationalisme arabe, sans fermer les yeux sur l’antisémitisme de l’islam politique, et en dénonçant l’impérialisme et le nationalisme français, tout comme le colonialisme israélien. Et en gardant la possibilité pour les peuples juifs, s’ils le veulent, d’avoir leur propre Etat dont les frontières doivent bien sûr être radicalement transformées pour que le peuple palestinien aussi puisse faire valoir ses droits à l’autodétermination et à un Etat viable, en attendant que les exploités de la région décident d’envisager un changement social plus radical.
Ces questions ne sont jamais discutées sérieusement et sereinement par ces réseaux, car ce qui les intéresse c’est uniquement de se dénoncer mutuellement, pas de faire réfléchir leurs soutiens.
Les réseaux pro-Val ou pro-Siné, on devrait même dire les clans pro-Val et pro-Siné, disposent de moyens très inégaux, les premiers étant nettement plus proches du pouvoir et du « grand capital » que les seconds.
Néanmoins, ils emploient les mêmes procédés ; ils veulent exiger des lecteurs de leurs sites et journaux divers une solidarité sans faille envers l’un ou l’autre des protagonistes, sous prétexte qu’un de leurs copains (Val ou Siné) est attaqué.
Cette pratique des pétitions et contre-pétitions empêche chaque individu de réfléchir calmement et l’oblige à témoigner d’une solidarité automatique envers celui qui est clairement la victime (un dessinateur qui risque d’être licencié mais ne sera quand même pas réduit à toucher le RMI et à faire la manche demain matin) et son employeur (Val, un bouffon des plateaux télé pour lequel il est difficile d’éprouver la moindre sympathie tant ses discours sont réacs, creux et insipides – sans compter son statut de patron qui le situe clairement de l’autre côté de la barricade).
Dernière question : tous les défenseurs ou les critiques de « Charlie Hebdo » agissent comme si ce journal ne jouait pas depuis des décennies sur les ambiguités de certaines formes de l’humour antiraciste et antisexiste. (On se demande à ce propos ce qu’en pense la féministe Caroline Fourest.)
« Charlie Hebdo » a toujours véhiculé les clichés racistes et sexistes les plus débiles pour – paraît-il – mieux les dénoncer. Il serait peut-être aussi temps de s’interroger sur l’efficacité de cette forme d’humour gras, macho, beauf et franchouillard au second ou au troisième degré qui se prétend anarchiste ou libertaire. Le 9 août 1982 Siné, invité sur les ondes de la radio libre Carbone 14 avait déjà déclaré : "Je suis antisémite. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien…" Selon l’un de ses défenseurs qui a écouté l’émission, Siné avait à l’époque "endossé, le temps d’un sketch, l’identité d’un intégriste antisémite et prenait un ton délirant : c’était ouvertement, évidemment, de l’ironie, de mauvais goût certes".
On voit que "l’humour" de ce dessinateur est très spécial (cela se passait juste à la suite de l’attentat de la rue des Rosiers qui avait fait 6 morts) et il avait dû à l’époque plaider qu’il était saoul quand il avait tenu ces propos et présenter ses excuses à la LICRA pour que celle-ci retire sa plainte.
26 ans plus tard, Siné n’est-il pas de nouveau tombé dans un piège qu’il s’est tendu lui-même, tant il est dans la toute-puissance de celui qui a raison sur tout ? Un peu comme les dessinateurs des caricatures de Mahomet qui n’ont pas compris les réactions qu’ils ont suscitées. (Comprendre n’est pas accepter, mais cela permet d’agir en toute conscience sans jouer les innocentes victimes ensuite.) Ou comme les Dieudonné, Bedos, Robin, Palmade et autres Michel Leeb qui se sont servis de clichés racistes pour (disent-ils) dénoncer le racisme. Dans le cas de Dieudonné, on voit où cette pratique l’a mené : dans les bras du parrain de sa fille – Le Pen. Et on peut se rappeler aussi ce que Desproges disait à propos de Siné le 13 décembre 1982 même s’il y avait ici aussi du second degré dans la critique : « Le seul gauchiste d’extrême droite de France (…) masquant tant bien que mal un antisémitisme de garçon de bain poujadiste sous le masque ambigu de l’antisionisme pro-palestinien…. »
Il ne s’agit pas bien sûr de limiter en quoi que ce soit la liberté d’expression (c’est un bien précieux, quoi qu’on pense de l’usage qu’en font les cons et les réacs) mais de se demander au moins si cette forme d’humour au second degré a pleinement sa place dans un combat sincère pour l’égalité et la fraternité humaines.
Quand Siné lui-même et les pro-Siné commenceront à se poser ce type de questions, on commencera à y voir un peu plus clair…
Y.C.
(Ni patrie ni frontières)
28 et 29 et 30/7/2008
1. « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !" » (Siné) À ma connaissance ce n’est pas en tant qu’« Arabe » que le plaignant a porté plainte mais en tant que victime d’un délit de fuite. On voit que les antiracistes de gauche comme Siné ont de curieuses catégories mentales. Siné, dans la même chronique parue dans Charlie Hebdo, avait subtilement écrit : "Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est fait. » Curieusement aucun antiraciste de gauche pro-Siné n’a protesté contre cette manie d’étiqueter les gens selon leurs origines religieuses ou ethniques, réelles ou imaginaires. Pas plus qu’ils n’ont mentionné les propos du même Siné affirmant le 11 juin 2008 "plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier,plus j’ai envie de leur botter violemment le cul". Cela en dit long sur la régression intellectuelle et politique de tous ces gens-là.
2. « On choisit sa religion, on ne choisit pas sa race », a osé écrire Joffrin.
P.S. Un internaute ayant placé l’article ci-dessus sur le site Bellaciao, un de mes contradicteurs me répond que, selon lui, les Juifs ne seraient pas un peuple (ou un ensemble de peuples) mais une religion. On se demande alors pourquoi tant d’antisionistes athées se disent en même temps juifs. Sans compter l’UJFP qui prétend regrouper des juifs partisans de la paix (d’après son sigle) alors qu’une partie de ses membres ne sont ni Juifs ni juifs ! Ou Edgar Morin qui considère que toute personne révoltée par le génocide commis contre les Juifs peut se sentir et se dire juif ! C’est donc bien que la judéité est une notion complexe qui ne se réduit pas à la religion ! Que sont donc ces mystérieuses "origines" religieuses ?
On a affaire à la même absurdité lorsque les journalistes, les hommes politiques et les intellos de gauche affirment que quelqu’un serait d’ "origine musulmane", comme si la religion se transmettait par l’intermédiaire des spermatozoïdes, des ovules ou des gènes... Là aussi, la notion de "musulmans" a une pluralité d’acceptions politiques, religieuses, nationales, voire pseudoethniques (comme au temps de la colonisation française), sur laquelle il faut se prononcer clairement et réfléchir en tenant compte à la fois de l’opinion des intéressés mais aussi de ses propres positions philosophiques et politiques.
Quand j’écrivais que les "pro-Siné" devraient commencer par réfléchir sur le sens des mots qu’ils emploient ou que leur dessinateur adoré utilise, je pensais justement à la confusion politique et théorique qui affectent certains antiracistes de gauche (dont Siné) qui ne savent toujours pas vraiment ce qu’est un Juif, un juif, un Arabe ou un musulman, ce qui facilite tous les procès justifiés – ou le plus souvent calomnieux – pour islamophobie ou antisémitisme à leur encontre.
PPS (9 août).
L’article de Bernard Langlois dans "Politis" a rajouté une petite dose de dégueulasserie dans le débat : je ne lis pas le "Nouvel Obs" mais chaque fois que j’ai entendu M. Askolovitch à la télé (à une époque il paradait sur i-télé en même que C. Aguiton dans une émission quotidienne) c’était pour l’entendre vociférer contre l’extrême gauche et traiter ses contradicteurs avec morgue et mépris en digne M. Je-Sais-Tout-Vous-êtes-tous-des-cons.
Je suppose donc que c’est un mec plutôt réac, ou en tout cas quelqu’un qui a des comptes à régler avec ceux qui veulent changer la société.
Mais, contrairement à M. Langlois, je n’ai nullement besoin d’utiliser des termes codés comme "agent d’influence israélien" pour critiquer un mec réac.
D’une part, l’adjectif israélien étant au masculin, cette expression implique que M. Askolovitch ne serait pas français, et donc quelque part disqualifié par sa nationalité. Le Pen avait utilisé ce procédé contre Stoleru, en expliquant que ce dernier avait la double nationalité. On voit que Langlois fait flèche de tout bois, ou alors ne connaît pas la grammaire française et les règles d’accord. Quant à moi je me fous complètement de savoir quelle est la nationalité d’Askolovitch.
De plus, on sait que l’expression "agent d’influence" suppose généralement un rapport financier de dépendance avec une puissance étrangère, en l’occurrence ici à Israël. Je ne doute pas que l’Etat d’Israël (tout comme le Venezuela de Chavez, l’Iran d’Ahmanidejad, l’Amérique de Bush, l’OLP, le Hamas ou le Hezbollah) paie des "agents d’influence". Mais en ce qui concerne M. Askolovitch, M. Langlois se contente de lancer une accusation en l’air. Il ne nous fournit aucune preuve de liens financiers entre ce journaliste réac et l’Etat d’Israël, donc, jusqu’à preuve du contraire, son affirmation est ridicule.
A moins qu’il ne veuille dire que toute personne qui ne partage pas son point de vue sur Israël/Palestine est un "agent d’influence israélien"... Mais là on serait dans le registre du "terrorisme intellectuel", expression bien emphatique pour désigner un procédé polémique banal. Si t’es pas d’accord avec moi, t’es un flic, un provocateur, un agent de la CIA, du KGB, on a l’embarras du choix...
Cela dit, je remercie quand même M. Langlois d’avoir introduit l’expression "agent d’influence" dans le "débat" car désormais je me demanderai systématiquement si les journaux comme "Politis" ou "Le Monde diplomatique" qui défendent les gouvernements vénézuélien, cubain ou bolivien actuels sont vraiment totalement indépendants de ces Etats et de leurs caisses noires. Et je me demanderai si les journalistes qui passent sans cesse la brosse à reluire aux dirigeants de ces Etats sont désintéressés ou seulement fascinés par les ors des palais présidentiels et les voyages tous frais payés....
Après tout, il n’y a pas que la droite qui soit fascinée par le pouvoir et ses avantages matériels.