• Un mouvement qui vient de loin •
« C’est une tache dans l’histoire de la Birmanie. À l’intérieur de la Birmanie, maintenant, beaucoup d’étudiants et de personnes sont en train d’organiser la prochaine étape contre le SPDC – l’acronyme pour le gouvernement militaire –, je pense que cela se passera en même temps que les Jeux Olympiques en Chine », poursuit-il, en référence aux Jeux de 2008 à Pékin. « C’est mon opinion personnelle. »
Devançant les prédictions d’Ashin Kovida, l’un des leaders des jeunes moines birmans qui ont défié la junte militaire au pouvoir en août et septembre 2007 (voir la Lettre de Mouvement communiste n°27), les luttes contre l’oppression en Asie du Sud-Est ont repris mais le flambeau a été transmis aux Tibétains.
Si elle n’est pas sans rappeler les émeutes népalaises de 2006 et le soulèvement démocratique en Birmanie pendant l’été 2007, l’agitation au Tibet, qui a débuté par des marches pacifiques de moines avant de se muer en émeutes le vendredi 14 mars, a une grande spécificité : le facteur nationaliste et religieux, conséquence de l’invasion du Tibet en 1950, puis de sa colonisation par l’Etat chinois.
Selon la presse chinoise pas moins de 30 000 personnes ont participé à près de 100 “incidents de masse », pour reprendre l’expression consacrée pour désigner en Chine les diverses manifestations de protestation. Comme le note Wang Lixiong, un universitaire chinois spécialiste de la question tibétaine, « les derniers troubles majeurs au Tibet en 1987 et les émeutes de 1989, quand la loi martiale avait été imposée, avaient été limitées à Lhassa et ne concernaient que des moines, des intellectuels et des étudiants… Aujourd’hui toutes les catégories de Tibétains ont participé aux troubles »
Aux revendications politiques (en vrac : autonomie ou indépendance du Tibet, libertés politiques, culturelles et religieuses, respect de l’environnement, fin des discriminations, en particulier à l’emploi) se mêle aussi un fort ressentiment anti-Han et anti-Hui ; ces deux groupes ethniques étant considérés comme des envahisseurs.
Exploitant cet aspect, l’Etat chinois fait tout son possible afin de faire passer ce mouvement pour un pur produit nationaliste sécessionniste, dirigé en sous-main par le Dalaï Lama, non seulement pour répondre aux critiques internationales mais surtout pour empêcher toute velléité d’identification avec les luttes au Tibet pour l’ensemble des opprimés de Chine.
Mais les événements du Tibet ne sont que le produit d’une situation qui dure depuis 58 ans. L’occupation chinoise a débuté un an après la fondation de la République populaire de Chine. Les troupes chinoises entrent dans Lhassa en octobre 1950. Les 5 000 hommes de l’armée tibétaine ne purent résister aux dizaines de milliers de soldats chinois (entre 40 et 80 000 soldats) mais un mouvement de résistance se développa dans le Kham et l’Amdo .
En septembre1951, « l’accord de libération pacifique du Tibet », extorqué par le pouvoir chinois, permet à la Chine de se réapproprier officiellement le royaume himalayen. En 1954, le Dalaï Lama, (le chef spirituel et temporel des Tibétains) signe la constitution chinoise qui proclame que le Tibet fait partie intégrante de la Chine.
Mais entre 1955 et 1959 des soulèvements réguliers éclatent dans l’Est du Tibet (le Kham et l’Amdo) organisés par les khampas, tribus guerrières de cavaliers, pour atteindre Lhassa et culminer dans la révolte de mars 1959. Il y aura des milliers de victimes. Les réfugiés se dirigent vers le Népal et l’Inde. Le 14e Dalaï-lama fuit en Inde, en mars 1959, et forme un gouvernement en exil à Dharamsala. En 1965, Pékin crée la Région autonome du Tibet (RAT). Entre 1966 et 1968, pendant la Révolution Culturelle, de nombreux monastères sont détruits et les religieux persécutés.
À partir de 1978, la Chine offre la possibilité au Dalaï Lama de revenir au Tibet, une offre renouvelée maintes fois. Entre 1978 et 1983, le Dalaï Lama est autorisé à envoyer quatre missions d’enquête au Tibet et des délégations politiques tibétaines se rendent à Pékin. Les droits à l’exercice de la religion sont rétablis en 1980. En 1983, la Chine exclut que le chef spirituel tibétain puisse obtenir un poste de responsabilité au Tibet après son retour. En 1986, les négociations sur le retour du Dalaï Lama achoppent sur le fait que l’État chinois exige qu’il réside à Pékin. En 1987 et 1988, des manifestations anti-chinoises à Lhassa sont durement réprimées.
En juin 1988, le Dalaï Lama propose une autonomie interne, proposition restée sans suite. En mars 1989, Pékin impose la loi martiale à Lhassa après trois jours d’émeutes anti-chinoises qui font plusieurs dizaines de victimes. En octobre de la même année : le Dalaï Lama obtient le Prix Nobel de la Paix.
En 1990, il préconise la création d’une confédération sino-tibétaine, abandonnant ainsi ses revendications indépendantistes. À partir de 1992, le Tibet s’ouvre au monde extérieur pour promouvoir son économie. En 1996, le Dalaï Lama propose des négociations sans condition sur l’avenir du Tibet, mais Pékin oppose la reconnaissance au préalable de la souveraineté chinoise sur le Tibet.
En 1997, Jiang Zemin demande au Dalaï Lama de déclarer que le Tibet a toujours été une « partie inaliénable de la Chine » et en fait une condition à un dialogue, rejetée par le Dalaï Lama. En mars 1998, le Dalaï Lama accuse la Chine de « génocide culturel », à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement de 59. En mars 1999, les autorités chinoises, par le biais de l’agence Chine Nouvelle, lancent des attaques contre le Dalaï Lama, l’accusant d’être le responsable des troubles au Tibet.
L’État chinois a proposé le 25 avril 2008 de reprendre le dialogue avec le Dalaï Lama. Les derniers contacts remontent à juin-juillet 2007. L’annonce du 25 avril serait encore un coup tordu. Pour Brian Bridges, professeur de sciences politiques à l’Université Lingnan de Hong Kong, « c’est peut-être soit juste une rencontre pour tâter le terrain (...) soit du théâtre politique pour réduire la pression internationale »
• ************************************* • • Chronologie des luttes au Tibet depuis le 10 mars
• Avertissement : les inconnues restent nombreuses et la politique de black-out du gouvernement chinois n’y est pas étrangère. Les rumeurs de part et d’autre en sont une conséquence. L’omission de faits et une retranscription déformée, indépendante de notre volonté, devraient être considérées, une fois de plus, de la responsabilité du gouvernement chinois.
02 mars
La chanteuse islandaise Björk déchaîne les critiques des autorités chinoises après avoir crié « Tibet, Tibet ! » à la fin de sa chanson « Declare independence » dans un concert à Shanghai.
10 mars
Une date sensible car c’est l’anniversaire du soulèvement de Lhassa en 1959.
Plusieurs centaines de moines sortent en défilé à l’aube d’un grand monastère à huit kilomètres de Lhassa. Une seule revendication, la libération de ceux qui avaient été emprisonnés en octobre 2007 pour avoir célébré, en repeignant en blanc les murs du monastère, la remise par Bush au Dalaï Lama de la médaille d’or du Congrès. Les moines marchent jusqu’à un barrage, s’assoient et restent ainsi pendant plusieurs heures, puis se dispersent. Le soir, nouvelle manifestation de moines et d’étudiants en centre ville, des manifestants sont embarqués par la police.
11 mars
Nouvelle manifestation des moines rejoints par d’autres en provenance d’un monastère proche. Ils brandissent des drapeaux tibétains et la police les disperse en fin de matinée à coups de matraques et de lacrymogènes.
12 mars
Rumeurs de deux suicides de moines et de grève de la faim dans un monastère où des moines seraient battus par la police. Le quartier tibétain de Lhassa est quadrillé par la police.
14 mars
Les moines d’un nouveau temple partent manifester en fin de matinée mais ils sont bloqués par la police. Les moines refusent de bouger, la police les attaque, des passants réagissent, lancent des pierres et mettent le feu à un véhicule. C’est l’émeute, la foule se rue dans l’artère principale de Lhassa, la « route de Pékin » et se répand dans les ruelles de la vieille ville. Les émeutiers religieux et laïques caillassent les camions de la police, attaquent l’agence de presse Chine nouvelle, les bâtiments de la sécurité publique, un complexe commercial, des grands magasins et font brûler la porte d’une mosquée. Ils attaquent également les sièges de la Bank of China et de China Telecom. Par contre, les établissements étrangers, hôtels et restaurants principalement, sont ignorés.
Des barricades bloquent les camions des pompiers et de la police. Les commerçants chinois de la vieille ville avaient sûrement bien compris la situation, selon le correspondant de The Economist – le seul journaliste présent, par hasard, pendant les émeutes –, et beaucoup avaient fui après avoir descendu le rideau de fer devant leurs boutiques. L’autorisation de la visite de ce journaliste souligne, par ailleurs, l’incompréhension des autorités devant la gravité de la situation.
La foule s’en prend aux boutiques tenues par les Han et les Hui (musulmans qui détiennent une position importante dans le commerce de la viande) et aux taxis qui, à Lhassa, appartiennent surtout aux Han. Les magasins sont pillés et les marchandises entassées au milieu de la rue sont transformées en feu de joie. Quelques cris, « Vive le Dalaï Lama ! » et « Libérez le Tibet ! ».
Pendant plusieurs heures la police n’intervient pas. Les autorités vont annoncer treize victimes, la plupart des boutiquiers et leurs familles réfugiés au-dessus de leurs magasins et morts dans les incendies. Les boutiques appartenant à des Tibétains et repérables à des écharpes blanches, sont épargnées. Les Tibétains marchent sur un vrai tapis de marchandises diverses, alimentaires ou autres, y compris des billets de banques. Durant la nuit les autorités envoient des camions de pompiers accompagnés par des véhicules blindés de la police pour éteindre les incendies les plus importants.
15 mars
A l’aube, le quartier tibétain est isolé par la police mais les pillages se poursuivent à l’intérieur. Les troupes paramilitaires vont dégager les ruelles, à coup de gaz lacrymogène et sans hésiter à tirer à balles réelles. Les troupes progressent également sur les toits pour dégager les terrasses qui surplombent les rues.
S’il n’y a officiellement que 105 « émeutiers » qui se sont rendus à la police, le niveau de répression est loin des sommets de Tienanmen en 1989. Le bilan total sera estimé à plusieurs dizaines de morts, 140 selon le gouvernement tibétain en exil, un bilan mesuré par rapport aux standards habituels du gouvernement chinois, commente le journaliste britannique.
Dans les jours qui suivent, les manifestations vont se multiplier dans les provinces proches où vivent d’importantes populations tibétaines. Des incidents vont éclater dans une cinquantaine de villes.
16 mars
Dans le Qinghai, 100 moines défient l’interdiction de sortir de leur monastère de Rongwo à Tongren et allument des feux d’artifices et brûlent de l’encens.
Dans le Gansu, plus de 100 étudiants protestent devant une université à Lanzhou.
Un couvre-feu est imposé dans la ville de Xiahe après la dispersion à coup de gaz lacrymogènes d’une manifestation de 1 000 personnes, dont des moines venant du monastère de Labrang.
21 mars,
Des Tibétains supposent que la police a tué plusieurs manifestants. Des coups de feu ont été entendus par plusieurs touristes occidentaux. La police reconnaît avoir blessé par balles des manifestants.
24 mars
Dans la préfecture de Garze, dans le Sichuan, la police a ouvert le feu contre des manifestants tibétains. Selon la police, un policier aurait été tué et plusieurs autres blessés à coups de pierres et de couteaux.
25 mars
Dans la préfecture de Xinghai, dans le Qinghai, plusieurs centaines de manifestants font un sit-in après avoir été empêchés de manifester par la police.
30 mars
Un groupe de journalistes étrangers est autorisé à visiter Lhassa, mais sous la surveillance des autorités. Alors que celles-ci vantent l’harmonie retrouvée, un groupe d’une trentaine de jeunes moines du monastère de Jokhang intervient au cri de « le Tibet n’est pas libre, le Tibet n’est pas libre ». Interrogé par les journalistes, un émeutier pris par la police, expliquera par l’intermédiaire d’un interprète officiel qu’il regrette ses actes. Mais sa version du déclenchement des émeutes contredit celle des autorités. « Ce n’était pas organisé, cela s’est passé soudainement. », affirme-t-il.
09 avril
Des moines perturbent un voyage organisé par les autorités chinoises dans la ville de Xiahe dans le Gansu. Ils accusent les autorités de les priver de leurs droits de l’Homme et agitent un drapeau tibétain.
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• Colonialisme chinois et nationalisme tibétain
• • L’enjeu du point de vue chinois
• Beaucoup a été dit et écrit sur l’enjeu que représenterait pour l’Etat chinois ce vaste territoire désertique. D’un point de vue géostratégique, le contrôle du toit du monde et des sources des grands fleuves qui irriguent une partie de la région est problématique. L’Etat chinois a dans ses cartons un projet de détournement d’une partie des eaux du Yang-Tsê Kiang vers des régions qui souffrent d’une pénurie d’eau, mais ce projet délirant semble encore peu crédible. Quant à détourner l’eau qui arrose l’Inde, le Pakistan ou le Vietnam, cela équivaudrait à une déclaration de guerre.
De plus, si les richesses minières du Tibet ne sont pas négligeables, elles ne justifient pas l’occupation chinoise ; elles resteraient en effet accessibles dans le cadre d’une autonomie du Tibet. L’immigration de chinois pauvres vers le Tibet ne peut que marginalement diminuer la pression démographique qui s’exerce sur leurs provinces d’origine.
Restent deux raisons majeures.
Digne héritier des dynasties précédentes, dont il récupère les conceptions territoriales, le Parti communiste chinois (PCC) considère que le Tibet fait partie intégrante du territoire chinois. Il ne voit donc aucune raison de faire de compromis d’autant que, comme à ses débuts, il s’appuie sur l’idéologie nationaliste, ayant totalement abandonné ses prétentions égalitaires.
Enfin, défié par des poussées autonomistes ou nationalistes, principalement chez les Ouïgours du Xinjiang et dans une moindre mesure chez les Mongols de Mongolie intérieure, il considère qu’un compromis avec les Tibétains affaiblirait ses positions dans les autres territoires autonomes.
• La situation économique coloniale du Tibet aujourd’hui
• Malgré les milliards de dollars investis au Tibet par l’Etat chinois, la province autonome demeure la plus pauvre des provinces chinoises. Si le Tibet dispose de richesses minières non exploitées – les plus importants gisements de chrome et la troisième mine de cuivre de l’empire chinois –, le revenu moyen n’est que de 400 dollars par an selon ses statistiques officielles.
Par contre, le revenu urbain moyen est de 1 300 dollars et celui des 5 % les plus riches de 2 500 dollars. Malgré une progression du PIB encore plus rapide qu’en Chine – l’économie tibétaine a doublé entre 2000 et 2005 –, ce développement n’a guère amélioré la situation de la grande majorité de la population locale, composée majoritairement d’éleveurs.
En 2004, 64 % des Tibétains travaillaient dans l’agriculture. Leurs principales activités sont l’élevage de yaks, de moutons, de chèvres et diverses fabrications liées au pastoralisme, lait, beurre, fromage, laine et viande.
Les prairies couvrent environ 68 % des 1,22 millions de km2 de la RAT. De même la moitié de la province de Qinghai et de vastes étendues du Sichuan et du Gansu. Selon les chiffres officiels, il y avait globalement 148 000 familles de nomades, soit environ 800 000 personnes. Parmi eux, pas moins de 100 000 familles, soit 540 000 individus, ont été sédentarisés.
La cueillette du Cordyceps sinensis (caterpillar fungus) , représente un complément important aux revenus des ruraux. Une famille peut gagner jusqu’à 400 dollars en une saison. Jusqu’à 30 % des revenus d’une famille pastorale viennent des champignons médicinaux. La lutte pour le contrôle des zones où poussent les champignons provoque des batailles sanglantes entre villages et ethnies.
Pour le secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) en RAT, Zhang Qingli, cette politique de sédentarisation des nomades est essentielle pour aider au développement économique, et pour contrer l’influence du Dalaï Lama. Pour ce faire, des barbelés, que les éleveurs ont du payer, ont été érigés sur les prairies. Son raisonnement est simple : si les nomades restent à l’écart de l’influence de l’Etat, il sera plus difficile de les intégrer et ils garderont leurs croyances.
Le nouveau modèle intensif de production de viande ne nécessite plus les migrations des troupeaux qui sont concentrés dans des étables, proches des centres urbains, et nourris avec des tourteaux d’oléagineux ou des céréales. La force de travail fournie par les pasteurs devient inutile et ils sont supposés être prêts à accepter leur transfert vers des emplois urbains peu rémunérés qu’ils refusaient jusqu’à présent. Les vastes prairies qui étaient considérées comme vide par les bureaucrates chinois le deviennent de fait.
Une mission d’exploration du plateau tibétain menée pendant 7 ans par un millier de géologues a identifié une quinzaine de gisements de cuivre, de nombreux gisements de chrome, de zinc et de plomb et un gisement de 500 millions de tonnes (Mt) de minerai de fer. Confronté à la nécessité d’importer les trois quarts de ses besoins en concentré de cuivre, l’exploitation des ressources du Tibet pourrait contribuer à 25 % de la production globale chinoise, mais sans pour autant modifier la forte dépendance de la Chine vis-à-vis de ses importations de cuivre. Mais pas avant 5 à 10 ans en raison des difficultés liées tant à l’altitude qu’aux infrastructures concernant l’Énergie et le transport. Le minerait de fer est également attractif pour un pays qui importe au prix fort la moitié de ce que consomment ses aciéries.
Peu de tibétains travaillent dans les mines et moins de 10 % des 100 000 travailleurs qui ont construit la ligne de chemin de fer étaient tibétains. L’entreprise minière canadienne Continental Minerals comprend un tiers de Tibétains parmi les salariés travaillant sur ses gisements au Tibet.
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Le chemin de fer Qinghai-Tibet
La ligne Qinghai Tibet qui relie Golmud à Lhassa, dont les travaux de construction ont duré de 2001 à 2006, collectionne les records. Cette ligne longue de 1142 km a 80 % de sa longueur se trouvant à une altitude supérieure ou égale à 4000 mètres, et plus de 50 % est construite en terrain gelé en permanence.
Elle culmine à 5068 mètres d’altitude, ce qui en fait la ligne la plus haute du monde.
Les voitures de voyageurs sont pressurisées comme des avions. Le contrat pour la fourniture de ces 361 voitures a été attribué à Bombardier et celui des 78 locomotives à General Electric.
Au-delà de l’exploit technique, et du trafic voyageur lié au tourisme, cette ligne affirme la volonté du pouvoir central chinois de relier au reste de la Chine, la province autonome du Tibet, mais aussi d’y pouvoir transporter rapidement des forces militaires pour pallier d’éventuels troubles (la ligne peut être parcourue en 12 heures).
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La faiblesse du capitalisme privé dans la RAT est soulignée par des salaires représentant les deux tiers du PIB de la RAT. Si, dans les autres régions de la Chine, une classe bourgeoise classique, qui possède les moyens de production, est active et contrôle une part importante de l’économie à côté de l’Etat, il n’en est pas de même au Tibet où le secteur public est hypertrophié.
La plupart de ces salariés sont employés par l’administration et par le PCC. Les employés de l’Etat bénéficient d’un statut garanti et ont des salaires largement supérieurs à ceux des autres travailleurs. Leurs revenus qui étaient supérieurs de 50 % en 1998, atteignaient en 2002 le double des revenus des autres catégories. Supérieurs aussi à ceux des autres régions, au Tibet, les salaires des employés de l’Etat sont aux niveaux de ceux de Pékin ou de Shanghai. Ces avantages ont été accrus par l’Etat chinois pour soutenir son mouvement de redéploiement vers l’Ouest du pays. Cependant, comme la plupart des Tibétains, une partie importante des immigrés Han ou Hui, qui travaillent dans les secteurs informels, ne bénéficient pas de ces hauts salaires.
Les investissements induits par l’Etat concernent massivement des grands travaux d’infrastructure qui ont servi à désenclaver le Tibet pour mieux l’inclure dans l’empire chinois. En particulier, l’Etat a fait construire la voie ferrée qui relie, depuis 2006, Lhassa à Qinghai et au réseau ferré chinois. Celle-ci et un nouveau réseau d’autoroutes ont permis l’immigration massive de Han venus de l’intérieur de la Chine. Cette politique de développement du Tibet et d’autres provinces de l’intérieur est organisée sous la direction du président chinois Hu Jintao, ancien responsable du PCC au Tibet et organisateur de la répression du mouvement tibétain en 1989. Par contre, les investissements étrangers sont insignifiants, 15 millions de dollars en 2007, contre 82 milliards pour l’ensemble de la Chine.
En 2005, pas plus de 6 % des investissements au Tibet étaient consacrés à l’éducation (en 2004, 44 % de la population locale est pourtant illettrée alors que 40 % n’a suivi qu’un enseignement primaire) alors que l’administration locale et le Parti recevaient 13 %. Si une minorité de Tibétains a intégré l’administration provinciale en devenant cadres, administrateurs ou fonctionnaires, la grande majorité n’a guère vu sa situation changer suite au programme de développement de la province. L’explosion du tourisme, 4 millions de visiteurs en 2007, ne leur a pas profité, bien au contraire.
Paradoxalement, selon Andrew Martin Fisher, chercheur au LES (London School of Economics), bien que le niveau de vie des ruraux du Tibet soit parmi les plus bas de Chine, ils font partie de ceux qui disposent des moyens les plus importants (usage de la terre et propriété des troupeaux). Ce qui pourrait expliquer une réticence plus importante qu’ailleurs à immigrer en ville pour y occuper des emplois peu rémunérés.
Cette réticence est renforcée par leur mode de vie communautaire auquel ils ne veulent pas renoncer et qui, malgré les tentatives de sédentarisation forcée, leur permet de résister.
Si la situation des tibétains s’est un peu améliorée, le développement des inégalités, à l’image de ce qui se passe dans les autres régions chinoises, attise les ressentiments.
Les émeutes ont également révélé la violente séparation entre la majorité de la population tibétaine et la minorité qui participe à l’administration coloniale. Ces derniers comptent plusieurs dizaines de milliers de responsables religieux, de petits et moyens patrons, d’administrateurs provinciaux et même d’enseignants et de travailleurs de la santé. Contrairement aux petits boutiquiers tibétains, ils n’ont pas été systématiquement épargnés durant les jours d’émeutes. Dispensaires, cliniques et écoles ont été attaqués bien que leurs salariés soient Tibétains. Ces derniers, s’ils ont échappé à un sort plus dur, ont cependant été rudoyés par la foule en colère.
Cette situation, sans équivalent dans les autres provinces chinoises, traduit une politique de colonisation classique de déplacement de populations pauvres vers des territoires considérés inhabités.
• Immigrés ou colons ?
• L’autre versant de la politique d’intégration du Tibet au reste de la Chine est l’arrivée massive d’immigrants chinois qui sont aujourd’hui 300 000 contre 158 000 en 2000, pour 2,8 millions (contre 2,4 millions en 2000) d’habitants de la province. Concentrés dans les villes, ils représentent près de 40 % de la population de Lhassa, ville de 200 000 habitants. Disposant de petits capitaux, ils ont pris une importance considérable dans le commerce de détail. Pour encourager leur venue, le gouvernement a multiplié les aides, les déductions fiscales pour les commerçants et les entrepreneurs, les bourses pour les étudiants et la solde a été multipliée par 2,5 pour les militaires.
Ils ont également intégré massivement les emplois qualifiés et administratifs pour lesquels la connaissance du mandarin est obligatoire et nécessaire pour occuper de nombreux nouveaux emplois est le facteur discriminant majeur contre la majorité des Tibétains qui ne maîtrisent pas cette langue. Même pour les emplois peu qualifiés du tourisme, la connaissance du mandarin est nécessaire.
Une mesure technique pas à priori discriminatoire, puisque la grosse majorité des visiteurs sont des chinois. Les migrants ruraux chinois de l’intérieur ont un niveau d’éducation supérieur à celui des tibétains urbains. Ils ont accès plus facilement à des financements pour lancer de petites entreprises. Par exemple, ils dominent la nouvelle industrie des taxis qui n’existait pas au milieu des années 1990.
Censé intégrer les travailleurs tibétains en améliorant leur niveau de vie, le programme d’investissement améliore avant tout le sort des « colons chinois » venus dans la province pour échapper à la misère. Plus motivés par des considérations économiques que par une volonté coloniale, beaucoup vont confier qu’ils envisagent de quitter le Tibet suite aux émeutes. Le gouvernement va indemniser les familles des 18 morts chinois pendant les émeutes à hauteur de 28 500 dollars et va distribuer des billets de train gratuits pour leur permettre de retourner provisoirement ou définitivement au pays.
En fait, les Hans sont dans la même situation que celle des Russes, ouvriers, techniciens et ingénieurs, ayant émigré dans les Pays Baltes et d’autres régions de l’ex-URSS, après 1945. Ils ne sont pas des colons mais des prolétaires qui viennent chercher des meilleures conditions de travail. Mais ils ne peuvent ignorer, non pas qu’ils viennent « prendre le pain des tibétains » compte-tenu de leurs qualifications, mais qu’ils sont dans un pays dominé, occupé militairement et où ils bénéficient d’avantages matériels (et du fait d’utiliser leur propre langue et pas celle des autochtones) et qu’ils sont des facto perçus par les tibétains comme l’avant-garde (certes minoritaire aujourd’hui) de leur acculturation forcée.
• ***************************** • • L’opposition organisée à l’occupation coloniale chinoise
• • Le Dalaï Lama
• Ayant fui la Chine en 1959, Tenzin Gyatso, le quatorzième Dalaï Lama, est encore, à 72 ans, la figure principale de l’opposition tibétaine à l’Etat chinois. Bien qu’étant le dernier plus haut représentant de la théocratie féodale qui dominait le Tibet avant l’invasion des troupes chinoises, celui-ci semble rapidement avoir eu comme objectif la création d’un mouvement démocrate au sein de la diaspora tibétaine en exil.
C’est un cas assez particulier, puisqu’en l’absence de bourgeoisie réelle, ce mouvement est directement issu du clergé bouddhiste et prend sa forme la plus achevée, jusqu’à maintenant, dans la promulgation d’une constitution en 1991 par une assemblée élue par les tibétains en exil, et l’élection au suffrage « universel » d’un Premier ministre en 2001.
Ce dernier, Samdhong Rinpoche, est par ailleurs un moine comme le Dalaï Lama ; par défaut, les membres les plus influents viennent directement du haut clergé tibétain mais le mélange entre politique et religion se situe surtout au niveau du pacifisme de rigueur. Pour résumer grossièrement, le Dalaï Lama est plus à rapprocher d’un Gandhi.
En effet, si ce dernier était un produit de la bourgeoisie indienne hindoue et jaïna, le Dalaï Lama et Gandhi ont eu probablement une conception proche d’un état laïque. Différence majeure cependant, alors que Gandhi n’avait jamais remis en cause le système de castes, le Dalaï Lama admettait que « le Tibet du passé, son système social et politique étaient sans conteste arriérés. [...] Quelques privilégiés exploitaient leurs sujets, ce qui est totalement injuste, y compris d’un point de vue bouddhiste »
Après avoir modéré avec finesse la question nationaliste qu’il laisse avec bienveillance aux jeunes tibétains plus radicaux, le Dalaï Lama, dans ses négociations avec le gouvernement chinois, place les enjeux sur un autre terrain et à un niveau plus haut : « En tant que moine bouddhiste, je ne fais pas de distinction entre Chinois, Tibétains, Indiens, Européens, Africains... Je serai toujours prêt et heureux de servir les Chinois spirituellement, en promouvant les valeurs humaines. Au moment du massacre de Tienanmen, je me suis fait la promesse d’accomplir, dès que les circonstances le permettront, une cérémonie de purification bouddhiste sur la place Tienanmen, de prier pour les milliers de personnes qui y sont mortes. »
En faisant référence à Tienanmen, il rappelle aux autorités chinoises que le problème tibétain n’est qu’un écho de celui qu’elles rencontrent dans toute la Chine, et se propose à remplir en Chine le vide idéologique créé par l’abandon des prétentions révolutionnaires du PCC et donc de l’Etat. « C’est impensable que dans ce pays socialiste dirigé par un parti marxiste de telles choses se produisent. Il m’arrive de penser que je suis plus marxiste qu’eux. Un marxiste en robe bouddhiste. Je suis persuadé que la culture bouddhiste tibétaine, qui est une culture de la compassion, peut être d’un grand secours pour la République populaire de Chine. »
Une offre de services qui tombe à pic pour un Etat inquiet par la montée d’idéologies de type Falung Gong , et qui compte toujours plus sur les ONG pour pallier les carences de l’Etat social. Le compromis suggéré par le Lama n’est autre que la division classique des rôles : à César (ici le parti-Etat) l’administration du capital ; à la religion, l’administration des âmes.
• La jeunesse radicale et la diaspora tibétaine (en dehors de Chine) • Un autre acteur organisé dans l’opposition au gouvernement chinois est la jeunesse radicale tibétaine en exil. Basée principalement à Dharamsala , où se trouve le gouvernement tibétain en exil, sa présence est aussi importante au Népal, lieu de transit des exilés tibétains. Elle s’organise notamment autour d’ONG, comme le Congrès de la Jeunesse tibétaine (Tibetan Youth Congress, TYC), qui revendique plus de 30 000 membres et dont est issu en 1994 le Parti démocratique national du Tibet (National Democratic Party of Tibet, NDPT) sur les conseils du Dalaï Lama. Créé en 1970 en présence de ce dernier, le TYC est depuis l’origine indépendantiste et reconnaît le Dalaï Lama comme chef spirituel et temporel du Tibet.
En désaccord avec le Dalaï Lama qui affirme avoir renoncé à l’indépendance du Tibet en échange d’une autonomie réelle au sein de la Chine, le TYC ne semble pas avoir changé de position sur ce sujet. Au contraire, celui-ci a formé avec quatre autres grandes ONG de Dharmsala, un « mouvement de résistance » qui ne se veut rien de moins que le « nouveau soulèvement du peuple tibétain au Tibet et en diaspora ». Diaspora dont les jeunes qui n’ont, pour certains, jamais vécu au Tibet semblent pourtant les plus déçus par la « voie moyenne » choisie par le Dalaï Lama et le gouvernement en exil.
Ainsi, Tenzin Tsundue, né dans le nord de l’Inde, ancien étudiant de Mumbay, poète reconnu en Inde et militant infatigable du Tibet libre, cauchemar des autorités indiennes qui redoutent ses actions spectaculaires lors des visites d’officiels chinois. « Je respecte Sa Sainteté, il est un bouddha et notre leader. Mais la liberté ne se mendie pas, elle se conquiert. On peut se battre pour l’indépendance avec des méthodes non violentes ! Chez nous, la non-violence est malheureusement l’excuse de l’inaction. », affirme-t-il.
A la tête de son ONG, Friends of Tibet, il est l’un de ceux qui ont entrepris une marche de six mois, d’environ 1 000 personnes, dans le nord de l’Inde jusqu’à la frontière du Tibet, indépendamment du gouvernement tibétain en exil qui y voit une action, certes énergique, mais « émotionnelle » et vouée à l’échec. Alors que le Dalaï Lama et son gouvernement se sont fait les champions de la non-violence pour engager des négociations avec le gouvernement chinois, les jeunes exilés crient dans le même temps : « A bas Hu Jintao ! »
Au Népal, à Katmandu, des centaines d’activistes n’ont pas hésité à s’affronter à la police avec jets de pierres contre gaz lacrymogènes. Comme en Birmanie, la hiérarchie religieuse est bousculée par des modes d’actions plus énergiques.
Mais, tandis qu’en Birmanie, une ligne de fracture bien nette s’était dessinée entre la haute hiérarchie bouddhiste et les jeunes moines alliés au peuple révolté, ces contradictions sont plus complexes comme le résume un jeune tibétain de 26 ans, arrivé à l’âge de neuf ans en Inde : « notre but est le même, nous avons besoin des deux côtés. Il [le Dalaï Lama] est notre chef suprême mais nous n’avons pas besoin d’écouter tout ce qu’il raconte. C’est un moine bouddhiste. Nous sommes des hommes du commun. »
Il semble en être de même avec la diaspora tibétaine qui, en règle générale, joue sur ces deux tableaux. Retenons que tout en restant attachée au Dalaï Lama et au bouddhisme, celle-ci ne milite pas pour un retour de la théocratie qui régissait le Tibet avant l’invasion chinoise. L’impression est que les radicaux tibétains sont nationalistes, le colonialisme chinois en étant une cause évidente, mais démocrates, peut-être influencés en cela par le modèle indien qu’ils sont nombreux à côtoyer.
Cependant ces aspects laissent très peu d’espace à l’expression de références à l’exploitation de classe et c’est probablement l’une des principales limites de ce mouvement, d’un point de vue strictement de classe mais aussi quant à ses chances de succès. Comme au Népal et en Birmanie, aucune forme organisée représentant les intérêts spécifiques des sans-réserves et des paysans pauvres tibétains n’a pu émerger.
• Un nationalisme en alimente un autre, une impasse pour les opprimés tibétains et leurs alliés. Deux blocs se dessinent, en Chine et dans le monde entier • Dans le monde entier, rares sont les gouvernements à ne pas prendre position à propos du Tibet. Exploitant l’incident, les gouvernements américain, allemand, français, polonais, slovaque…, se construisent à peu de frais une nouvelle image de défenseurs des droits de l’Homme et de la démocratie, utilisant au mieux la vague de sympathie pour les Tibétains.
Sur le dos de ces derniers et de leurs sympathisants bouddhistes, le gouvernement américain a utilisé l’occasion pour marquer un point dans la guerre de propagande qu’il mène contre son homologue chinois. Mais aucun Etat ne prendra de sanctions économiques contre leur partenaire chinois.
Aux côtés du gouvernement chinois, se sont rangés divers pourfendeurs de l’impérialisme américain. Hugo Chavez, le représentant de l’OPEP en Amérique et accessoirement égérie de l’anti-libéralisme, accuse les « Etats-Unis de diriger en sous-main les violences au Tibet afin d’affaiblir le régime chinois et de saboter les Jeux Olympiques de Pékin ». De même, les maoïstes népalais « condamnent avec force les incidents qui mettent en danger la liberté et la souveraineté du peuple chinois », tout en étant confiant dans les capacités du gouvernement chinois à faire face à cette situation.
Parachevant son allégeance, le Parti maoïste népalais, qui a gagné les élections à l’Assemblée constituante du Népal, ajoute que « le Parti soutiendra toujours le peuple chinois et restera à ses côtés. »
Rappelons à ce propos que le 10 avril, pour le premier scrutin national depuis 1999, 60 % des 18 millions de Népalais ont désigné 601 députés. Les ex-maquisards du Parti communiste népalais maoïste (PCN-M) ont remporté 217 des 601 sièges au sein de l’Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution. D’après les observateurs, ces élections permettent surtout de consolider la paix conclue en novembre 2006 avec la guérilla maoïste (la « Guerre du peuple » a fait 1 000 morts en une douzaine d’années).
Les réfugiés tibétains (20 000 au Népal) se frottent à la police depuis le début des troubles au Tibet (manifestations devant l’Ambassade de Chine et les bureaux des Nations unies à Katmandou). 500 arrestations auraient eu lieu le 17 avril. La Chine fait évidemment pression sur le Népal et les autorités népalaises affirment qu’elles ne veulent pas de rassemblements contre un pays ami. Le triomphe électoral de ex-maquisards maoïstes doit y être pour quelque chose…
Dans la même veine, Xinhua, l’agence de presse officielle de l’Etat chinois, référence avec zèle la condamnation des émeutes et le soutien à son gouvernement par les régimes cubain, syrien, pakistanais, russe, biélorusse, turc, mongol, serbe, cambodgien, vietnamien, fidjien, tonguien, etc.
• L’extension des luttes en Chine, seule sortie de l’impasse nationaliste • Les Tibétains révoltés peuvent continuer à en appeler à la communauté internationale, ils ne seront que les jouets de la politique extérieure des uns et des autres, vrais ennemis et pseudo alliés, sans beaucoup à y gagner.
En revanche, l’extension des heurts avec les autorités chinoises dans les autres provinces de la Chine de l’ouest pourrait être bien plus déterminante. Le gouvernement chinois l’a d’ailleurs immédiatement compris et fait bloquer, par exemple, toutes les routes entre le Tibet et Chengdu, capitale du Sichuan et passerelle entre le Tibet et le reste de la Chine. Le black-out a été imposé sur un territoire grand comme la moitié de la France. Les informations qui en sortent sont éparses : protestations de moines autour des monastères, marches, sit-in, impliquant jusqu’à plusieurs centaines de personnes, mais aussi violentes confrontations avec un nombre de morts qu’il est difficile d’évaluer mais qui comprend aussi des soldats chinois.
Les heurts concernent non seulement d’autres préfectures du Sichuan comme Aba ou Kangding, mais aussi les provinces du Qinghai et Gansu, régions où habitent de nombreux tibétains. Alors que les photos du Dalaï Lama sont interdites, elles sont sorties à toutes ces occasions. Cependant, à la différence de Lhassa, les manifestants, à notre connaissance, s’en prennent peu aux petits commerces ou aux passants d’une autre ethnie mais ciblent spécifiquement les autorités chinoises, principalement à travers sa police et ses prisons et autres bâtiments officiels.
En raison peut-être d’une cohabitation plus ancienne, les relations entre Tibétains et Han semblent y être moins tendues, voire parfois amicales. Subsiste cependant, comme dans le reste de la Chine, une hostilité classique entre paysans et ouvriers, notamment en raison de la pollution provoquée par l’industrie mais celle-ci est loin du rapport colon/colonisé.
D’une part, malgré les images passées en boucle de lynchage et de destructions de commerces Han, il n’y a pas d’émeutes interethniques dans ces régions, ce qui relativise un peu la réalité du nationalisme exalté par l’Etat chinois qui fait tout pour contenir une éventuelle contagion et attise les haines pour empêcher toute identification avec les luttes des Tibétains.
D’autre part, les formes que prennent les luttes des Tibétains contre le gouvernement chinois ressemblent étrangement à celles pratiquées par les paysans ou des citadins chinois mécontents. Aux mêmes maux, les mêmes remèdes !
• Chronique des émeutes chinoises ordinaires
• L’été dernier, à Chongking, trois émeutes ont éclaté en l’espace d’un mois. Des milliers de fermiers se sont battus avec la police à propos d’une saisie de terres agraires, pour édifier une zone industrielle, mal indemnisée. Deux autres bagarres avaient auparavant opposé 10 000 résidents à la police suite à des violences commises par les flics. A chaque fois les émeutiers brûlent leurs voitures, les caillassent et quand ils le peuvent leur font un sort. Ces violences peuvent durer plusieurs jours.
En septembre, à Baotou, ce sont des milliers de soldats démobilisés et en formation dans des écoles des chemins de fer, qui, mécontents, allaient s’affronter à la police et ravager leur école.
En octobre, dans le Xinjiang, des fermiers produisant du coton, se heurtaient à la police et à des paramilitaires car ils cachaient une partie de leur production pour la revendre sur le marché libre.
Dans le Foshan, en décembre, il a fallu 2 000 policiers anti-émeutes pour venir à bout de milliers de paysans qui ont tout de même brûlé une dizaine de camions. Ils protestaient contre l’érection de pylônes à haute-tension sur leurs champs.
Régulièrement les heurts d’une grande violence produisent des dizaines de blessés et souvent des morts.
Jusqu’à maintenant, ces similitudes ne se traduisent par aucun mouvement vers une unité entre opprimés tibétains et hans. Cependant, malgré cela, c’est avant tout chez les masses opprimées Han et les autres ethnies minoritaires que les Tibétains révoltés doivent gagner la sympathie des travailleurs de Chine dans leur combat contre l’oppression de l’Etat ; de même, les travailleurs chinois doivent tendre la main à leurs frères opprimés tibétains.
Au même titre que Marx, à l’époque de la première Internationale, exhortait les ouvriers anglais à tendre la main à leurs frères irlandais, parce que c’était la condition nécessaire à leur propre émancipation. Tendre la main, non seulement à titre humain mais aussi pour accroître l’efficacité de leurs combats de classe qui devait surmonter les divisions, créées par la division du travail, au sein de la classe.
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« La tâche de l’Internationale est donc en toute occasion de mettre au premier plan le conflit entre l’Angleterre et l’Irlande, et de prendre partout ouvertement parti pour l’Irlande. Le Conseil central à Londres doit s’attacher tout particulièrement à éveiller dans la classe ouvrière anglaise la conscience que l’émancipation nationale de l’Irlande n’est pas pour elle une question abstraite de justice ou de sentiments humanitaires, mais la condition première de leur propre émancipation sociale. »
Marx à Siegfried Mayer et August Vogt, 9 avril 1870.
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Pour l’instant, à notre connaissance , seul un groupe d’intellectuels chinois, dont Wang Lixiong, a eu le courage d’intervenir sur cette question. Ceux-ci ont fait circuler une pétition demandant au gouvernement chinois d’arrêter sa campagne de propagande « unilatérale » à propos du Tibet et d’engager le dialogue avec la Dalaï Lama. Ils y accusent, avec clairvoyance, le gouvernement d’attiser la haine raciale afin de rendre la répression au Tibet populaire parmi les Han.
Camouflet pour la politique raciste du gouvernement, la plupart des signataires sont des Han, qui déclarent soutenir « l’appel du Dalaï Lama pour la paix et espèrent traiter le conflit ethnique par les principes de bonne volonté, paix et de non-violence. »
De plus, bien qu’ils ne relient pas explicitement les émeutes au Tibet et les troubles qui secouent régulièrement les villes et les campagnes de Chine, ces dissidents transcendent le caractère nationaliste du problème tibétain en le replaçant dans la perspective de la lutte contre l’oppression politique dans la Chine entière.
Ainsi, ils affirment : « Afin de prévenir l’apparition d’incidents similaires dans le futur, le gouvernement doit se conformer à la liberté de croyance religieuse et de liberté d’expression explicitement établies dans la Constitution chinoise et ainsi permettre au peuple tibétain d’exprimer pleinement ses reproches et ses espérances, et aux citoyens de toutes les nationalités de critiquer librement les politiques nationales du gouvernement »
Certes, cette action semble bien isolée et n’a probablement qu’un écho relatif en raison du filtre omniprésent que le gouvernement chinois fait peser sur toute information. Son appel à la non- violence peut paraître chimérique et elle ne s’appuie sur aucune critique de l’exploitation économique mais seulement sur un désir de liberté politique. Mais comment lui reprocher alors que, sur ce sujet, l’immense prolétariat chinois n’a pas encore fait entendre une voie distincte de son Etat-oppresseur, ce que nous ne pouvons que regretter.
Nous saluons donc ces défenseurs de la démocratie radicale qui en faisant entendre leur voix prennent bien des risques. Rappelons simplement le dernier exemple en date de l’arbitraire de l’Etat chinois : la condamnation de l’activiste Hu Jia à trois ans et demi de prison pour « incitation à la subversion »
Bruxelles-Paris, le 8 mai 2008
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique.
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