Dans les « Thèses sur le parlementarisme » adoptées par le deuxième congrès de l’Internationale communiste en 1920, le raisonnement des communistes était limpide et précis :
« les réformes parlementaires (...) ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses » (nous étions donc entrés, selon la Troisième Internationale, dans une période historique où il ne s’agissait plus de proposer un catalogue de revendications minimales, comme le font invariablement les trotskystes à toutes les élections) ;
- si les communistes participent aux élections municipales ou législatives, c’est en vue de hâter la destruction de l’État : il s’agit de « détruire le parlementarisme en général », de « faire sauter la machine gouvernementale de la bourgeoisie, y compris les institutions parlementaires » (discours que ne tiennent plus ni LO et le PT puisque ces organisations se réclament, de façon certes différente, de la démocratie communale, ni la LCR qui souhaite une « Assemblée constituante » et un « gouvernement anticapitaliste ») ;
il est « théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux » les « institutions municipales ou communales de la bourgeoisie » (ce que font régulièrement Lutte ouvrière et le Parti des travailleurs) ;
la participation à l’action parlementaire « consiste surtout à user de la tribune parlementaire à des fins d’agitation révolutionnaire » et elle doit être subordonnée « aux buts et aux tâches de lutte extraparlementaire des masses » (on a vu que les 5 députés LO et LCR n’ont pas du tout eu cette attitude au Parlement européen ; de toute façon leur temps de parole était limité à 90 secondes quelques fois par an, et ils devaient voter des dizaines de textes par jour en appuyant sur des petits boutons de couleur différente ; la cadence était telle que chaque chef de groupe parlementaire se plaçait devant ses députés pour indiquer par des signes ce qu’il fallait voter, afin d’éviter les erreurs !) ;
l’objectif est de « remplacer, dans certaines circonstances, les municipalités par des soviets de députés ouvriers » (les trotskystes français ne parlent jamais des soviets ou des conseils ouvriers pendant leurs campagnes électorales) ;
si des députés communistes sont élus, ce sera en vue de déposer régulièrement des « projets de loi purement démonstratifs conçus, non en vue de leur adoption par la majorité bourgeoise, mais pour la propagande, l’agitation et l’organisation ». On est loin des polémiques grotesques autour de la taxe Tobin au Parlement européen. Ou des souhaits de LO, en 1978, d’avoir des députés pour voter les meilleurs projets de la gauche ;
le député communiste doit « se rappeler qu’il n’est pas un législateur, cherchant un langage commun avec d’autres législateurs, mais un agitateur du Parti envoyé chez l’ennemi ».
Ces thèses ont formé des générations de trotskystes depuis 70 ans (enfin, en principe...), et elles n’ont jamais été critiquées frontalement par les descendants actuels, ternes et mollassons, de la Troisième Internationale, les Besancenot, Krivine, Laguiller ou Gluckstein. En lisant les thèses de l’Internationale communiste, on se rend cependant compte qu’elles ont été conçues pour une période prérévolutionnaire, où il s’agit de préparer l’armement immédiat du prolétariat et le renversement (ou la destruction) de l’État. En même temps, période pré-révolutionnaire ou pas, on y sent une détermination révolutionnaire qui n’a rien à voir avec la bouillie « antilibérale » (LCR), « national-républicaine » (PT) ou populiste (LO) que nous sert la « gauche radicale » actuelle.
Etant donné que les campagnes électorales des trotskystes français depuis presque 40 ans ne se déroulent pas dans une conjoncture pré-révolutionnaire, et que, de plus, ils ne peuvent même pas s’appuyer sur des luttes de masse dans lesquelles ils auraient un rôle déterminant, quels choix ont-ils faits ? Ont-ils osé s’attaquer de front au contenu de leurs textes sacrés ? Ont-ils expliqué l’utilité, ou l’inutilité, de leurs références politiques et historiques dans la situation actuelle ? Ont-ils su trouver de nouvelles réponses à des situations finalement assez classiques, tout en restant fidèles à leurs principes « communistes », « révolutionnaires » et « internationalistes », puisque ces adjectifs se retrouvent dans les sigles de leurs organisations encore aujourd’hui ?
Certes, quelques révisions théoriques ont eu lieu à la LCR, mais de façon pas très claire, pour un observateur extérieur du moins. Des débats se sont déroulés dans ses revues confidentielles (Critique communiste, Contretemps) plus que dans son journal. De plus, comme les textes sont signés individuellement, il est difficile de savoir s’ils reflètent un point de vue collectivement débattu et adopté par une majorité, ou la position personnelle de tel intellectuel ou de tel cadre dirigeant.
Les articles qui suivent tentent d’explorer, chacun à leur manière, le discours trotskyste :
ceux de Combat communiste concernent principalement Lutte ouvrière (LO), un peu la Ligue communiste révolutionnaire et accessoirement le Parti des travailleurs (qui s’est appelé successivement l’OCI, le PCI puis le MPPT avant de devenir le PT - accrochez-vous, il envisage de changer encore une fois d’appellation et de prendre le nom de POI !). Ces textes contiennent inévitablement des répétitions, mais aussi des idées que nous ne partageons pas (ou plus), mais nous les avons reproduits presque tous intégralement. Ils tentaient de s’adresser aux militants d’extrême gauche en dévoilant les contradictions au sein de leurs discours, mais aussi entre leurs discours et leur pratique, le trait le plus permanent et le plus grave depuis 40 ans étant l’ignorance totale des travailleurs immigrés pendant les périodes électorales comme en dehors de ces périodes. Cette ignorance délibérée explique en partie l’apparition de mouvements identitaires comme le MIB et les Indigènes de la République, créés par des hommes et des femmes qui en avaient marre d’être ignorés par l’extrême gauche franco-gauloise ;
celui de Karim Landais est consacré exclusivement au Parti des travailleurs (PT). Il s’agit d’un texte à la tonalité plus universitaire, moins strictement militante que les précédents, mais qui a l’avantage de prendre de la distance par rapport à son sujet d’étude et de poser des questions clés sur le fonctionnement bureaucratique des organisations d’extrême gauche. Une réserve, cependant : l’auteur prend un peu trop au sérieux, au pied de la lettre, les références politiques générales des dirigeants du PT (notamment celles concernant le Front unique tel que le concevait, selon eux, la Troisième Internationale), même s’il sait parfaitement (et d’ailleurs il l’écrit lui-même) que ces références servent surtout à manipuler la révolte et les pulsions révolutionnaires de jeunes militants qui ont envie d’en découdre avec la société capitaliste.
De l’Union communiste (alias Voix ouvrière, puis Lutte ouvrière) qui proposa à tous les groupes d’extrême gauche de se présenter ensemble aux élections de juin 1968, aux candidatures Laguiller, Schivardi et Besancenot de 2007, on constate un sacré acharnement de l’extrême gauche à profiter de la tribune électorale. Pour quoi faire ? telle est la question à laquelle essaient de répondre les articles rassemblés dans cette partie concernant les « obsessions électorales » des trotskystes hexagonaux.
Si la situation politique française a considérablement évolué depuis la première campagne présidentielle d’Alain Krivine en 1969, campagne soutenue à l’époque par Lutte ouvrière, un facteur, lui, n’a guère changé : l’opportunisme de ces deux organisations, qu’elles se présentent ensemble, séparément, ou que l’une d’elles (la LCR) appuie au premier tour un candidat indépendant, comme ce fut le cas avec Pierre Juquin en 1988.
Les articles parus dans Combat communiste entre 1976 et 1988 et reproduits dans ce numéro illustrent bien l’incapacité pour les groupes trotskystes de défendre un programme révolutionnaire durant les périodes électorales... comme durant le reste de l’année, d’ailleurs.
Et les textes écrits durant les années précédant l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 sont particulièrement instructifs pour la période actuelle, notamment en France. En effet, la gauche parlementaire se trouve aujourd’hui de nouveau dans « l’opposition ». Il est donc fort tentant pour l’extrême gauche de servir à nouveau de caution et de marchepied aux partis communiste et socialiste, à l’instar de ce qu’a fait Rifondazione comunista en Italie : après avoir fait tomber le premier gouvernement de coalition de la gauche et du centre, le PRC les a remis en selle avec le grand révolutionnaire Romano Prodi à leur tête. Et que peuvent y faire tous les militants d’extrême gauche italiens (notamment l’organisation sœur de la LCR) qui se sont réfugiés au sein du PRC, notamment pour bénéficier des prébendes parlementaires ?
Avaler et faire avaler des couleuvres aux travailleurs qui ont des illusions sur le PRC ou créer une scission pour de nouveau contribuer à fabriquer un « machin » social-démocrate de gauche, dont le destin politique ne nous réservera aucune surprise ? Après avoir aidé à construire Rifondazione, voilà que les trotskystes italiens appellent à une « altra Rifondazione » au sein d’une tendance « Sinistra critica » ! Les trotskystes cherchent des raccourcis tout en édulcorant de plus en plus leur programme politique qui se réduit en fait à un très vague et très confus « antilibéralisme ». Et en bons opportunistes, les camarades italiens de LCR veulent continuer à profiter de la mangeoire du PRC. Ce qu’ils expriment dans un charabia aux intentions néanmoins transparentes : « la réorganisation doit d’abord se produire sur les mots d’ordre centraux et sur les contenus, avant de se doter de formes organisationnelles ». (Pour plus de détails on se rapportera à un article intitulé - sans rire - « Une nouvelle phase de la gauche » http://www.europe-solidaire.org/spi...)
Notons aussi qu’en Allemagne les trotskystes se sont intégrés au parti Die Linke, qui agglomère des sociaux-démocrates comme Oskar Lafontaine et des néostaliniens comme Georg Gysi. Les trotskystes allemands militent donc mano dans la mano avec une partie des ex-partisans du régime stalinien est-allemand !
Au fil du temps, plus le nombre de voix des trotskystes français, ou en tout cas plus leur couverture médiatique augmente, plus leurs discours à la télévision ou dans leurs meetings deviennent insipides : collection de bons mots, de références branchées ou de petites phrases assassines pour Olivier Besancenot ; rappel de quelques cruelles réalités de l’exploitation ou des différences de classe, pour Arlette Laguiller, mais aucune référence au fonctionnement concret du socialisme, ni à ce qu’une révolution sociale changerait dans notre vie quotidienne. Ne parlons même pas de Gérard Schivardi, le candidat du PT... Si la révolte perdure toujours chez le sémillant facteur et la retraitée du Crédit Lyonnais, ils sont totalement incapables de nous faire rêver d’un autre monde dès qu’ils ouvrent la bouche.
L’extrême gauche trotskyste a certes franchi un cap électoral depuis 1995 et les médias lui font une place un peu plus grande.
Mais le bilan d’activité des cinq députés européens LO-LCR et des quelques conseillers municipaux ou généraux trotskystes (PT inclus) est extrêmement maigre, pour ne pas dire inexistant - du point de vue de la classe ouvrière, bien sûr, pas des micro-appareils concernés, qui, eux, touchent de l’argent public pour chaque voix obtenue.
Non seulement ces militants ne se sont pas servis de leurs postes électifs comme d’une véritable tribune pour le communisme, mais leur présence au sein des institutions n’a rien changé au sort des travailleurs. LO et la LCR réussissent à toucher un public plus large en période électorale tant à la télévision que dans leurs meetings locaux, mais ils n’en profitent absolument pas pour expliquer en quoi la société qu’ils souhaitent serait fondamentalement différente de la société capitaliste actuelle ; les postes que ces groupes ont obtenus leur ont permis d’attirer l’attention de la presse locale sur tel ou tel événement, mais les gains pour la masse de la population laborieuse auront été nuls.
Les articles du journal Combat communiste et de la revue Contre le courant (éditée par le même groupe) permettent de comprendre quelles sont les raisons politiques fondamentales de cette incapacité et pourquoi il est vain d’attendre quoi que ce soit des scores électoraux de ces organisations et de leur présence au Parlement ou dans d’autres institutions. Le ton relativement fraternel et « pédago » de ces articles constitue un gage de lisibilité, même s’il exprimait aussi, chez les militants de ce groupe aujourd’hui disparu (mais dont la plupart sont soit retournés à LO soit allés à la LCR), de profondes illusions sur la capacité de l’extrême gauche trotskyste à se réformer et à apporter une contribution nouvelle à la lutte pour le socialisme.
Les articles intitulés « LO et la crise », « Ouvriers contre capitalistes ou petits contre gros ? » et « LO face aux mesures Stoléru » ont été inclus ici parce que ces trois thèmes ont des liens étroits avec les activités électorales. En effet, en ce qui concerne l’analyse de la crise et les conceptions erronées du capitalisme et des classes sociales que propagent les trotskystes, on en voit encore les traces indélébiles dans les récentes affiches électorales de la LCR ou de LO, et leur antilibéralisme creux (LCR) ou leur populisme (LO), tous deux calqués sur les conceptions du PCF.
Pour ce qui concerne les travailleurs immigrés, dans la mesure où ils ne votent pas et où, en plus, la dénonciation de leur présence en France sert d’argument électoral permanent au FN (et indirectement à Sarkozy, quand il était ministre de l’Intérieur, avec ses opérations coups de poing contre les squats ou les immeubles insalubres loués aux travailleurs africains, ou, aujourd’hui qu’il est président, avec ses rafles et l’augmentation annuelle des quotas d’expulsés), il est tristement « évident » qu’il n’est pas de l’intérêt immédiat d’une organisation qui vise à conquérir les voix des travailleurs franco-sgaulois d’évoquer trop bruyamment ce type de questions lors des périodes électorales, au risque d’en payer lourdement le prix.
Et ni LO ni la LCR ni le PT n’ont failli à cette règle électoraliste élémentaire depuis près de quarante ans.
Une telle lâcheté en dit plus long sur la nature de ces organisations que bien des commentaires.
Y.C.
(octobre 2007)
La longue marche ...vers l’électoralisme (1968-1978)
Publié dans la revue Contre le courant n° 2 (1978), cet article reprenait, dans sa partie centrale, trois articles parus antérieurement dans le mensuel Combat communiste, avec une introduction consistante et une longue conclusion. Les trois articles s’intitulaient : « Plate-forme électorale LCR-OCT. Une gestion révolutionnaire des municipalités est-elle possible ? ». (l’OCT, Organisation communiste des travailleurs, était un groupe maoïsant aujourd’hui disparu), Combat communiste n°23, 15 février 1977 ; « Lutte ouvrière. “Changer la vie...” ou faire la révolution ? », Combat communiste n°30, 15 octobre 1977 ; et « Un échec » Combat communiste n° 35, 25 mars 1978.
Ni patrie ni frontières
Alors qu’avant 1968 Lutte ouvrière bornait son intervention au terrain des entreprises, depuis 1968 LO s’est mise à faire de la « politique » et à intervenir sur toute une série de terrains qui débordent le cadre de l’intervention syndicale : campagne sur les transports en commun ; participation à quelques manifestations internationales (Vietnam, Espagne, etc.) ; adhésion (plutôt symbolique) au MLAC ; travail en direction des CET ; soutien (sur le papier) des revendications des soldats, des écologistes et de certaines revendications ou luttes des femmes ; organisation de fêtes, de caravanes pendant les vacances, et enfin campagnes électorales.
Autant on peut dire que toutes les autres activités ont peu changé les habitudes, la mentalité et la routine de Lutte ouvrière, autant les campagnes électorales ont amené des changements très importants dans les activités et surtout la politique de LO.
1968-1978 : zigzags
Lutte ouvrière s’est préoccupée pour la première fois de participer aux élections en mai 1968 (eh oui !). C’est ainsi que pendant plusieurs jours, notamment à la Sorbonne occupée, LO collecta de l’argent pour présenter des candidatures révolutionnaires. Ce projet fut vite abandonné et finalement LO appela à voter pour le PSU - parti que LO considère aujourd’hui, à juste titre mais un peu tard, comme une branche de la social-démocratie depuis sa fondation.
En 1969, Lutte ouvrière, en plein dans ses pourparlers unitaires avec la LCR, soutint la campagne unitaire de Krivine, « candidature trotskyste » sans que la LCR laisse à LO la moindre opportunité de discuter du contenu de sa campagne.
En 1971, retour aux amours de 1968 : LO se présente aux élections législatives partielles du XIIe arrondissement avec le PSU.
En 1973, nouveau retournement d’alliance : LO se déclare en faveur d’une apparition unitaire des trotskystes lors des élections législatives et négocie un partage des circonscriptions électorales avec la LCR (l’OCI se retirant à la dernière minute des négociations). La façon dont LO justifie une apparition unitaire AVANT les élections est intéressante :
LO considère que les organisations trotskystes se réclament « d’une même tradition politique et d’un même terrain de classe », que leurs divergences « importantes sont finalement de peu de poids, en regard de ce qui nous est commun, lorsqu’il s’agit d’affronter devant les travailleurs nos ennemis bourgeois », qu’elles « représentent, qu’elles le veuillent ou non, un même courant politique (...) face à l’ennemi de classe, d’une part, aux yeux des travailleurs, d’autre part » (Lutte de classe n° 6, janvier 1973). « Le mouvement révolutionnaire, écrit LO dans le même article, a encore fort à faire pour se débarrasser d’une de ses tares majeures : le sectarisme qui mène à la démission devant les tâches politiques. Pour notre part, nous en sommes très conscients et nous continuerons à le combattre sous toutes ses formes. »
Nous sommes loin, alors que ni la LCR ni l’OCI n’ont fondamentalement changé depuis 5 ans, des positions défendues par LO pour justifier sa campagne menée seule en 1978. Mais nous y reviendrons.
1974 : nouveau changement de ligne. LO décide, tout comme la LCR en 1969, de mettre les autres organisations devant le fait accompli et de présenter Arlette Laguiller.
1977 : nouveau virage. LO signe une plate-forme au contenu très ambigu avec la LCR et l’OCT (cf. plus loin).
1978 : LO se présente seule dans 470 circonscriptions, refusant tout accord avec les autres organisations, y compris la LCR et l’OCI « trotskyste ».
On voit donc que de 1968 à 1978, LO a eu, vis-à-vis de ce qu’elle considère comme l’extrême gauche et particulièrement le mouvement trotskyste, des attitudes opposées et contradictoires, présentant à chaque fois sa position tactique comme une position de principe, pure, révolutionnaire et immuable.
Il est inutile de chercher la cohérence entre toutes ces positions : il n’y en a pas, ou plutôt si, ce sont les intérêts de boutique qui dictent à LO telle ou telle position, et non les intérêts du « mouvement trotskyste »,ou de la classe ouvrière dont elle parle si bruyamment.
« Mais après tout, nous diront les camarades de LO, c’est notre droit de changer d’alliances suivant les différentes conjonctures politiques, et ce n’est tout de même pas un problème très important. Ce qui compte, c’est le contenu de notre campagne. » Nous sommes d’accord et nous allons y venir. Mais il nous semblait important de souligner que la direction de LO a justifié des campagnes, unitaires ou pas, avec des arguments complètement contradictoires. En clair, LO met l’accent sur ce qui la sépare des autres organisations trotskystes, quand elle se sent capable matériellement de mener campagne seule (présidentielles 1974, législatives 1978), et présente de fait comme secondaires ses divergences quand elle a besoin de l’aide des autres groupes (1969, 1971, 1973, 1977). Cet opportunisme est bien significatif du mépris total de la direction de LO pour ses militants auxquels elle fait adopter des positions opposées sur des questions tactiques sans les justifier politiquement d’une façon sérieuse.
Campagne révolutionnaire et vote de défiance
Le tournant opportuniste pris par LO date de la campagne présidentielle de 1974. Entre 1969 et 1974, LO a certes défendu des positions « antimonopolistes » sur les petits commerçants, et émis des critiques peu claires vis-à-vis du PC et du PS (se bornant à attaquer surtout la personnalité des grands leaders de la gauche), mais elle maintenait, du moins sur le papier, des positions révolutionnaires sur les élections.
Ainsi, elle expliquait dans la Lutte de classe n° 6 de janvier 1973 : « La LCR et LO appellent les travailleurs à voter pour leurs candidats afin d’exprimer ainsi leur volonté d’en finir avec l’exploitation capitaliste, de ne pas se fourvoyer dans les impasses réformistes - stalinienne ou social-démocrate - et de s’engager ensemble sur la seule voie qui puisse mener à leur libération : la révolution socialiste. »
Et dans le n° 7 de février 1973 : « Il ne s’agit évidemment pas de faire croire ou de laisser croire, qu’il suffirait d’une majorité de députés ouvriers (si même cela était mathématiquement possible) au Parlement des bourgeois, pour transformer celui-ci en instrument du pouvoir ouvrier. Il s’agit au contraire, là aussi, de lutter contre toutes les illusions électoralistes et de démontrer le caractère de classe du pouvoir en place, et la nécessité pour le prolétariat de le détruire. Les révolutionnaires luttent pour le pouvoir des travailleurs, pour un pouvoir exercé non par quelques poignées de députés incontrôlables ou incontrôlés (même révolutionnaires), mais par les travailleurs eux-mêmes, à tous les échelons de la vie sociale. Pour un pouvoir où les organismes centraux de contrôle ou de décision seront l’émanation de la classe ouvrière organisée dans ses conseils d’usine ou de quartier. »
LO, à cette époque, menait campagne sur deux plans :
elle faisait de la propagande révolutionnaire, anti-électoraliste, montrant les limites de députés révolutionnaires et s’affirmait ouvertement pour le pouvoir des conseils ouvriers,
elle s’adressait aux travailleurs hostiles à la droite et méfiants vis-à-vis de la gauche en leur disant en substance : « Peu importe que vous ne soyez pas d’accord avec nous sur tous les points de notre programme, en votant LO (et LCR) vous exprimerez votre méfiance vis-à-vis de l’Union de la gauche, en même temps que votre refus de la droite. »
Pour simplifier, LO voulait s’adresser donc à la fois à l’électorat « gauchiste » et aux travailleurs critiques du rang. « Les révolutionnaires ne se présentent pas dans le simple but de se compter ou de faire de la propagande pour leurs idées, mais pour permettre aux travailleurs de faire un geste politique pour eux-mêmes » (Lutte de classe n° 9, avril 1973). On pouvait déjà trouver d’ailleurs un germe de la campagne réformiste de 1978, puisque LO expliquait que, si la défense du programme révolutionnaire à la radio, à la télévision, dans la presse, constitue une « raison pour les militants révolutionnaires de se présenter, ce n’en est pas une, pour les travailleurs auxquels ils s’adressent, de voter pour eux » (Lutte de classe, n° 8, de mars 1973). Considérant qu’il n’est pas intéressant de se présenter aux élections pour avoir les voix des travailleurs révolutionnaires (puisqu’il n’y en a pas ou si peu), LO finira par en tirer, cinq ans plus tard, une conclusion « logique » : puisque les travailleurs ne sont pas révolutionnaires, pour avoir leurs voix, une seule solution : ne pas faire de campagne révolutionnaire.
Nous pensons, pour notre part, qu’il est possible de s’adresser à de larges fractions de travailleurs, révolutionnaires ou pas, sans mettre pour autant son programme dans sa poche.
Notons aussi qu’à l’époque (un an avant les présidentielles), LO se vantait de tourner « le dos à tout “vedettariat”, à l’encontre de ce qu’ont fait dans le passé, et de ce que font encore aujourd’hui, maints groupes révolutionnaires » (Lutte de classe, n° 7, février 1973), alors qu’elle justifia la mise en vedette d’Arlette, lors des présidentielles de 1973, en ces termes : « Quant à la “personnalisation” ou à la “dépersonnalisation” de la campagne (présidentielle, NDLR), c’est évidemment un faux problème. Il est évident que, par leur nature même, les élections présidentielles sont personnalisées. Mais le problème des révolutionnaires n’est pas de les “dépersonnaliser”, au nom d’on ne sait trop quelle morale abstraite » (Lutte de classe n° 19, mai 1974).
Comme quoi la morale devient « abstraite » quand il ne s’agit plus de critiquer Krivine. C’est ainsi que LO, après 1974, commença à faire signer tous ses éditoriaux par Arlette, fit une campagne de publicité pour LO présentée comme le « journal d’Arlette », fit figurer systématiquement la photo et la signature d’Arlette sur les affiches et les tracts électoraux. On vit aussi les militants de LO écrire sur les murs du métro parisien le slogan éminemment communiste : « Arlette c’est chouette. » Mais sans doute n’avons-nous pas compris que la fin (le nombre des voix) justifie les moyens (la démagogie).
Notons enfin que LO ne donnait, contrairement à 1978, aucune illusion sur la possibilité d’avoir un député élu : « Dans la situation actuelle, aucun travailleur ne peut voter dans le but d’envoyer un député trotskyste au Parlement, car il est évident qu’il ne peut pas y avoir d’élu trotskyste à l’Assemblée nationale française (...). Avec le mode de scrutin actuel, uninominal à deux tours, ils (les trotskystes, NDLR) pourraient en recueillir dix fois plus, deux millions (de voix, NDLR), qu’ils n’auraient probablement aucun élu » (Lutte de classe n° 8, mars 1973).
A cette époque, LO disait la vérité à ses militants - ce qui est tout à son honneur - et n’avait nul besoin de faire naître de vains espoirs. Les temps changent.
1974 : premier glissement
En 1974, LO fit une campagne présidentielle en retrait par rapport aux élections de 1973 et cela apparaissait aussi bien dans la présentation de l’axe de la campagne que dans le contenu de la campagne elle-même.
« Si les révolutionnaires se présentent aux élections qu’organise la bourgeoisie, ce n’est pas seulement pour faire connaître leur existence, ou celle de leur organisation, ni même seulement pour y défendre leurs idées. C’est aussi et surtout (c’est nous qui soulignons, NDLR) pour permettre aux travailleurs d’utiliser le bulletin de vote que leur donne la bourgeoisie pour faire un geste positif et utile » (Lutte de classe n° 19, mai 1974).
Le thème « Votez utile » ( !?) de 1973 devient le thème le plus important en 1974. Et la démagogie « féministe » de LO commence, Arlette expliquant aux femmes de la bourgeoisie qu’elles ont tort de préférer un choix dicté par « leur conscience de classe » à un choix dicté par leur « conscience d’être humain », et que LO veut parler « pour toutes les femmes ». La propagande « socialiste » de LO se réduisant à dire que LO lutte pour « construire un État infiniment plus démocratique que l’État actuel, car la quasi-totalité de ses fonctions seront exercées par la population elle-même, ou sous son contrôle direct, exactement comme une municipalité gère démocratiquement une petite commune sous le contrôle direct des habitants » (Une travailleuse révolutionnaire dans la campagne présidentielle, p. 37). Des soviets à la « petite commune », quelle évolution !!!
LO profitait de la tribune de la télé pour lancer son idée du contrôle de la police : « Sans ce contrôle, la police n’est pas et ne sera jamais la protectrice, mais l’ennemie, non seulement des travailleurs, mais de toute la population » (Une travailleuse..., p. 78).
Sous prétexte de « pédagogie », LO cultive de grossières illusions sur la possibilité de réformer l’État et l’économie en régime capitaliste. Et ce glissement à droite allait se poursuivre et s’accélérer à grande vitesse les années suivantes.
La plate-forme municipale
Pour les élections municipales de 1977, LO signe une plate-forme extrêmement ambiguë qu’elle ne diffusa pratiquement pas, mais dont elle ne critiqua pas le contenu opportuniste.
Des positions contradictoires et inconciliables
La présentation de la plate-forme sous le titre déjà équivoque de « Défendre dans les municipalités les intérêts des travailleurs » juxtapose deux positions politiques opposées. (...) D’une part, elle affirme qu’il faut lutter pour la destruction de l’État bourgeois, que des révolutionnaires à la tête de municipalités ne pourraient pas « changer en profondeur la situation des travailleurs » et qu’ils refusent de s’inscrire dans « une logique gestionnaire », même dite « démocratique » ; d’autre part, cette même plate-forme prétend lutter pour la « démocratie communale », proteste contre la « faible autonomie politique » dont disposent les communes et réclame :
« l’accroissement des moyens budgétaires de la commune »,
« la suppression de la TVA »,
« une fiscalité imposant essentiellement les capitalistes et les détenteurs de gros revenus »,
« l’extension du domaine des conseils municipaux contre la tutelle du préfet et de l’administration centrale et contre la double fonction du maire, agent de l’État et de la commune » : « ses pouvoirs doivent se réduire à ceux d’un simple exécutant du conseil municipal ».
En fait, les rédacteurs de la plate-forme se refusent à définir clairement la municipalité comme un organe de l’État bourgeois. Et ils ne voient pas qu’il n’y a pas de contradiction fondamentale dans la fonction du maire ; même si les intérêts essentiellement locaux qu’il défend s’opposent souvent à ceux de l’État central, il demeure un rouage indispensable de l’État bourgeois.
La mise des municipalités sous la tutelle de l’État central, la création d’organismes qui permettent de passer par-dessus la tête des maires pour prendre des décisions concernant l’aménagement du territoire, l’urbanisme, les équipements collectifs, etc., ont certes des conséquences néfastes pour la population laborieuse, dans la mesure où l’existence d’un conseil municipal élu ou plus proche de la population (il dépend de ses suffrages) est parfois un obstacle à la réalisation de projets lésant gravement cette population locale.
Toutefois, il s’agit là d’une tendance générale à la centralisation de l’État bourgeois, et il est aussi vain de rêver de revenir à la « démocratie (bourgeoise) communale » d’antan où les maires étaient maîtres chez eux, que de vouloir revenir au parlementarisme de la Quatrième République.
Ces formes correspondaient à des formes surannées du capitalisme : le capitalisme de libre concurrence où les différents bourgeois réglaient plus ou moins démocratiquement leurs problèmes entre eux.
Quant à établir une fiscalité frappant essentiellement les capitalistes et les gros revenus (pourquoi essentiellement et pas uniquement d’ailleurs ?), il s’agit tout bonnement d’une niaiserie réformiste : un tel système fiscal est tout à fait impossible dans le cadre du capitalisme ! Il est d’ailleurs indispensable de souligner que tenter d’établir une telle fiscalité au niveau des impôts locaux dans les limites tracées par la législation fiscale se heurterait à des contradictions insurmontables : imposer de façon draconienne les grosses entreprises aboutirait, par exemple, à en faire fuir certaines ; à dissuader les patrons d’installer des usines sur le territoire, donc en définitive... à priver la commune de revenus et également à en diminuer les emplois, donc à mécontenter les électeurs. La boucle est bouclée : il n’existe aucune possibilité de gestion révolutionnaire du capitalisme, même au niveau national...
Un, deux trois Louviers ?
Mais le premier point de cette plate-forme tente également d’expliquer qu’une municipalité révolutionnaire mettrait le « conseil municipal et toutes les décisions communales importantes sous le contrôle direct des travailleurs » et de « leurs organes de lutte » (syndicats, associations de locataires, comités de quartier, comités de lutte sur tel ou tel problème, etc.).
Si l’on en croit les écrits du PSU, il existerait en France une commune qui fonctionnerait de cette façon : Louviers. Nous ignorons si la description idyllique que le PSU trace de la vie municipale de Louviers correspond à la réalité, ce qui nous surprendrait, mais il n’est pas besoin de réfléchir beaucoup pour comprendre qu’il est absolument impossible que toutes les communes de France, ou même une partie significative d’entre elles, puissent rendre gratuits piscine, spectacles, transports, ateliers récréatifs d’artisanat, comme on nous affirme que c’est le cas à Louviers. La meilleure volonté municipale ne pourrait que se heurter à d’évidents problèmes de rentabilité.
Prenons, par exemple, le problème du logement. Ou bien la municipalité et l’office HLM qui dépend d’elle procèdent à une gestion saine des crédits HLM et ne louent qu’à ceux qui peuvent payer, c’est-à-dire excluent les économiquement faibles, les vieux, etc., et doivent exiger la rentrée des loyers des chômeurs ou les faire expulser. Ou bien la municipalité distribue gratuitement les logements et elle se retrouvera en faillite au bout de six mois.
Auquel cas voilà le langage que devrait tenir honnêtement le candidat révolutionnaire : « J’appellerai les travailleurs à occuper gratuitement les logements, à utiliser gratuitement les piscines, terrains de sport, etc., mais je vous préviens honnêtement qu’il en découlera inévitablement une faillite des finances locales, et cela démontrera qu’aucun changement n’est possible au niveau local, sans un changement global de société. »
Sinon, on voit mal ce que pourraient réellement contrôler ces fameux « organes de lutte » des travailleurs. En dehors d’une période révolutionnaire où le « contrôle » ne constituerait qu’une brève étape préparant immédiatement la destruction des municipalités, leur remplacement par des conseils ouvriers (et non par de vagues comités de lutte regroupant indistinctement diverses couches de la population), comme autorité locale, l’armement des travailleurs au niveau local et la préparation de l’insurrection, les « contrôleurs » ne pourraient que se transformer en bureaucrates et se couper des travailleurs. On retombe alors dans l’autogestion version PS.
Il faut ajouter que, de toute façon, de tels organes n’existent actuellement nulle part.
Mais peut-être les signataires de la plate-forme escomptent-ils que la présence de révolutionnaires dans les municipalités favoriserait la naissance de ces organisations, voire une situation révolutionnaire ? C’est tout simplement poser les problèmes à l’envers : le jour où se développera un puissant mouvement de comités ouvriers locaux, nous verrons éventuellement si, tactiquement, le parti révolutionnaire devra briguer le poste de maire ou balancer tout simplement le conseil municipal. Mais, dans une telle situation, il est peu probable que la bourgeoisie laisse sans réagir le pouvoir local aux révolutionnaires, dans le cadre municipal ou non, car ce sera le problème du pouvoir qui sera posé.
Un autre point de l’accord (le troisième) concerne la « défense des libertés ». Il se propose non seulement de mettre en permanence les salles de réunion, locaux, journaux municipaux, etc., à la disposition des travailleurs, mais d’établir un véritable contrôle sur la police en rendant « la plus publique possible l’activité des organes répressifs locaux (commissariats, postes de police) ». On atteint là le summum de la naïveté et du ridicule.
Pour mettre hors d’état de nuire les forces de répression locales, il ne suffit pas que des comités les contrôlent, mais il faut que les travailleurs les désarment. Tout au plus est-il possible d’imaginer une brève période d’équilibre des forces, de « double pouvoir » au niveau local, où les bandes armées du Capital ne peuvent plus faire la loi, mais où les travailleurs ne les ont pas encore dispersées... Mais ce n’est que dans une période révolutionnaire que pourra se présenter une telle situation. D’ici là, un maire peut certes user de son titre et de ses prérogatives pour mettre des bâtons dans les roues de la flicaille, mais l’expérience montre que ça ne peut pas aller bien loin !
D’ailleurs, pour dénoncer les exactions policières, il n’est pas nécessaire d’être maire ou conseiller municipal, et l’attitude des flics envers la population dépend essentiellement du rapport des forces avec les organisations ouvrières, pas de la présence d’édiles de gauche ! Les flics ne se gênent nullement pour tabasser jeunes et immigrés dans les municipalités de la banlieue ouvrière dirigées par le PCF, en dépit des protestations régulières de ses élus. C’est sans égard pour les innombrables questions écrites déposées sur le bureau de l’Hôtel de Ville que les flics au service des promoteurs jettent régulièrement à la rue des mal-logés ! Pire : en attribuant un tel rôle aux élus, les révolutionnaires risquent d’encourager la tendance générale qui consiste à compter sur des personnalités jouant le rôle d’avocats.
Par ses contradictions, par l’importance tout à fait exagérée qu’elle attribue à la possibilité d’utiliser les municipalités comme « leviers » des luttes, cette plate-forme est plus qu’équivoque : elle repose sur une grave confusion de principe. Il faut ajouter que si son titre est « Pour le pouvoir des travailleurs » ... le texte ne parle en aucun point de ce dit pouvoir.
Notons enfin que le paragraphe accordé aux travailleurs immigrés est ridiculement réduit, quand on pense que ces travailleurs représentent 20% de la classe ouvrière française et plus de 50% de la population dans certaines communes ouvrières de banlieue comme Gennevilliers. Nous ne ferons pas l’injure de soupçonner les signataires de la plate-forme d’avoir négligé la fraction la plus exploitée du prolétariat de ce pays, parce qu’elle ne dispose pas du droit de vote, mais on ne peut s’empêcher d’y voir un lapsus inquiétant.
L’épisode de la brochure « Changer la vie »
La signature de la plate-forme municipale par LO soulignait déjà les positions très ambiguës vis-à-vis de l’État bourgeois que partageait LO avec la LCR et l’OCT. La brochure « Changer la vie », publiée par LO en septembre 1977, allait montrer que le virage droitier de LO prenait des proportions inquiétantes.
Dans cette petite brochure d’une trentaine de pages, LO explique de façon simple « ce que les travailleurs peuvent attendre de la gauche au pouvoir » et « le programme des révolutionnaires ».
La critique de cette brochure nous donne l’occasion de préciser certaines de nos divergences fondamentales avec Lutte ouvrière sur le langage à tenir aux travailleurs face à un gouvernement de gauche.
Précisons d’abord en quoi nous sommes d’accord avec LO : le Programme commun est un programme bourgeois, un gouvernement de gauche sera un gouvernement bourgeois, et les travailleurs doivent s’organiser face à un tel gouvernement pour défendre leurs intérêts. Une fois que l’on dépasse ces quelques généralités, commencent bien vite les désaccords.
Les révolutionnaires ne peuvent faire pression sur la gauche au pouvoir et changer la nature de la politique suivie par le PCF et le PS
Toute la première partie de cette brochure est centrée sur « ce que les travailleurs peuvent attendre de la gauche au pouvoir » - comme si la gauche pouvait donc ne pas mener une politique bourgeoise.
C’est ainsi que LO, dans un premier temps, présente la politique du PCF et du PS comme dépendant de la « pression » que pourraient exercer les travailleurs sur ces partis. Il faut contrôler et surveiller la gauche au pouvoir, nous dit LO, pour qu’elle applique en gros le Programme commun : augmentation des salaires et du SMIC, échelle mobile, retour aux 40 heures, retraite à 60 et 55 ans, abrogation des ordonnances de 1967 sur la Sécurité sociale, etc.
Dans cette première partie, le Programme commun n’est soumis à aucune critique radicale, à part la question de l’emploi où LO préconise « les 35 heures tout de suite, avec partage du travail entre tous et maintien intégral du salaire ». Pourtant, plutôt que d’expliquer que chacune de ces mesures constituerait « un progrès », LO aurait mieux fait d’expliquer que la gauche (si elle était venue au pouvoir en 1978) n’aurait sans doute même pas appliqué toutes ces mesures, sauf si la lutte de classe l’y avait contrainte.
Elles étaient en effet évoquées en termes suffisamment vagues dans le Programme commun pour que la gauche revienne sur ses promesses. La polémique PC-PS a d’ailleurs bien montré qu’au moins les Radicaux de gauche et le PS ne voulaient prendre aucun engagement ferme et que le PCF céderait facilement à leurs exigences au nom de l’unité, même s’il a continué à faire une certaine démagogie.
De plus, à notre avis, dans le cadre même de la discussion des revendications immédiates du Programme commun, il aurait fallu expliquer :
que la gauche aurait respecté la hiérarchie et que donc les augmentations de salaires qui auraient pu intervenir n’auraient même pas amené à un tassement des privilèges des hauts salariés ;
que les travailleurs n’avaient vraiment rien à attendre d’un accord d’échelle mobile qui n’aurait abouti qu’à des bagarres d’indices entre bureaucrates et statisticiens bourgeois (et que cela aurait constitué donc une illusion et non « un progrès »).
Certes, LO termine la première partie de sa brochure en expliquant que le Programme commun rendrait plus douce l’exploitation des travailleurs, mais ne la supprimerait pas et que les quelques « avantages acquis » seraient repris à cause de la crise. Mais le travailleur réformiste à qui l’on a expliqué pendant six pages que le Programme commun constitue malgré tout « un progrès » ne peut guère être convaincu par une conclusion où tout à coup on lui explique, sans prononcer d’ailleurs une seule fois les mots de socialisme et de révolution, qu’on ne pourra « changer la vie » qu’en expropriant « les plus grandes entreprises du pays ».
La planification n’a aucun intérêt pour les travailleurs
dans le cadre de l’État bourgeois
Dans la deuxième partie de la brochure, LO essaie de prendre le problème de plus haut : les nationalisations, la planification et le protectionnisme permettront-ils à la gauche de « dominer les mécanismes économiques » ? LO répond que non, bien sûr, et prédit un virage à droite des classes moyennes, un temps attirées par la gauche, et un retour au pouvoir d’une droite plus musclée.
Dans cette partie, LO essaie de démontrer aux réformistes qu’ils n’auront pas une politique économique efficace, mais elle le fait bien maladroitement et en semant bien des illusions.
En ce qui concerne les nationalisations, par exemple, comment LO peut-elle expliquer qu’elles ne changeraient rien au fonctionnement du capitalisme français actuel ? LO commet une énorme bourde en écrivant que 15% de la production seulement seraient nationalisés après l’application du Programme commun. De plus, LO explique que le secteur privé resterait encore régi par les lois du profit capitaliste » « et de la concurrence capitaliste sauvage » (trusts, monopoles où êtes-vous ?) comme si le secteur d’État nationalisé ne fonctionnait pas suivant « les lois du profit » !!!
De même pour le plan : LO critique le Programme commun comme si la France se trouvait encore au stade du capitalisme de libre concurrence du XIXe siècle ; dire que le plan, sous la gauche, jouera un rôle purement indicatif, c’est faire croire qu’un « plan obligatoire » pour les capitalistes serait par nature plus favorable aux travailleurs. D’une part, les plans dans tous les pays capitalistes d’Europe de l’Ouest sont beaucoup plus qu’« indicatifs ». D’autre part, dans les pays d’Europe de l’Est, où la planification règne en maître, le chômage, l’inflation et la surproduction existent non à cause de l’absence de « plan obligatoire » mais... tout simplement parce que les travailleurs n’ont pas le pouvoir. On peut noter que le régime hitlérien fut également un des plus autoritaires sur le plan économique. La planification par l’État bourgeois n’est que la planification de l’exploitation !
Bien que LO termine cette deuxième partie en écrivant qu’ « il n’y a pas de solution réformiste valable », en fait, sa critique de la politique économique de la gauche est si faible que l’on peut se demander ce que LO aurait fait si la gauche était parvenue au pouvoir et avait nationalisé un peu plus et mis en application un plan plus « obligatoire » ...
Et nos craintes sont d’autant plus justifiées que le « clou » de la brochure, la troisième partie consacrée « au programme des révolutionnaires », contient en fait l’exposé d’un programme... de réformes du capitalisme, ni plus ni moins.
Un « État bon marché », ni bourgeois ni ouvrier
Reprenant des propositions qu’elle avait déjà évoquées tout au long de la brochure et lors de ses campagnes électorales précédentes, LO propose en fait un programme de gouvernement réformiste alternatif à celui de l’Union de la gauche.
Si LO ne propose pas un gouvernement PC-PS comme l’OCI et parfois la LCR, elle parle d’un « État à bon marché » (dans le cadre du capitalisme !), d’un « gouvernement qui voudrait vraiment réduire la charge fiscale qui pèse sur toutes les couches de la population laborieuse », etc. Cet État à bon marché, ce gouvernement seraient-ils formés par les travailleurs organisés en conseils ouvriers ?
Non. LO précise que les travailleurs devraient contrôler l’armée, la police bourgeoises, exiger leur désarmement, « savoir ce qui se passe dans les municipalités, les quartiers, les écoles, les commissariats ». Il s’agit donc bien de l’État bourgeois démocratisé et de rien de plus.
Nous supposons que les camarades de LO savent comme nous qu’il n’est pas possible de désarmer l’armée et la police en France sans former des milices ouvrières armées qui détruiront - et par la violence - les corps de répression de l’État.
Alors pourquoi essaient-ils de jouer les naïfs et de faire croire aux travailleurs qu’il serait possible de contrôler les commissariats ? Pourquoi font-ils semblant de croire qu’il serait possible de réduire de façon radicale « les charges de l’État » bourgeois, de « s’attaquer aux dépenses de l’armée, de la police » sans que la bourgeoisie réagisse violemment ?
Pourquoi font-ils semblant de croire qu’en période de crise le capital pourrait être « mis à la disposition de tous » ( ?!!!), le chômage supprimé, le secret commercial et bancaire levé, les mouvements de capitaux contrôlés par les travailleurs, TOUT CELA DANS UN REGIME QUI RESTERAIT CAPITALISTE ?
L’impasse du trotskysme
En cherchant à se mettre à la portée (croit-elle) des travailleurs réformistes, LO reste dans la tradition du mouvement trotskyste qui, depuis des dizaines d’années, se livre sans succès à de véritables acrobaties pour proposer des formules de gouvernements bourgeois intermédiaires susceptibles de mobiliser les travailleurs et d’accélérer le cours de l’histoire. La politique de LO n’est ainsi pas fondamentalement différente de celle de la LCR et de l’OCI qui réclament à cor et à cri un gouvernement PC-PS. Ne lisons-nous pas d’ailleurs dans la brochure de LO :
« Nous militons pour que la victoire électorale de la gauche se fasse sans illusions sur la base d’une méfiance légitime et argumentée. Nous militons pour que la classe ouvrière envoie ses représentants au gouvernement, sans leur donner un chèque en blanc, et pour qu’elle se mobilise afin d’exercer un contrôle et une surveillance indispensables. »
Il ne s’agit pas là d’un seul écart de langage ou d’une maladresse de rédaction. Par souci pédagogique, LO tient véritablement un double langage. Côté cour, LO affirme « les travailleurs n’obtiendront que ce qu’ils imposeront ». Côté jardin, LO affirme lutter pour un gouvernement de gauche.
C’est en fait une façon honteuse de défendre le même programme que la LCR. Celle-ci lui reproche d’ailleurs à bon droit ce double langage (la LCR n’en tient pour sa part qu’un seul : celui du partisan le plus conséquent de la venue de la gauche au gouvernement...). À la fin de la brochure de LO, on a la surprise d’entendre LO parler de la « fonction utile de la police (protection des biens, des libertés publiques et des personnes) ». Si... vous avez bien lu : « protection des libertés publiques ».
LO s’aligne ainsi sur les illusions des travailleurs qui considèrent que la police est indispensable et qu’il y aura toujours une police. Par souci pédagogique, LO ne fait que noyer le programme révolutionnaire dans un fatras confus qui ne peut qu’embrouiller les idées du lecteur et renforcer ses illusions. LO veut s’adresser au travailleur réformiste qui désire obtenir plus que le Programme commun, mais ne souhaite pas la révolution. C’est ce qui explique sans doute l’édition d’une brochure au ton aussi modéré et ambigu.
Les travailleurs qui peuvent être sensibles à ce langage ne seront pas pour autant en contradiction avec les dirigeants réformistes, ceux-ci seront toujours prêts à adopter leur langage. C’est pourquoi cette tactique est tout à fait inefficace.
L’idée qu’une portion des travailleurs - même si elle n’est pas prête à s’engager sur la voie révolutionnaire aujourd’hui - puisse se poser les problèmes à un autre niveau ne semble pas effleurer LO.
Parler un langage clair
Le rôle des révolutionnaires est avant tout de parler un langage clair aux travailleurs. À chaque étape des luttes ouvrières, les révolutionnaires doivent proposer des objectifs permettant à l’organisation et aux positions des travailleurs de se renforcer face à la bourgeoisie. Mais ces objectifs et leurs limites doivent toujours être exposés sans équivoque et non être camouflés et vidés de leur contenu par souci de réalisme politique, pour gagner plus facilement la sympathie des travailleurs réformistes.
Sinon, ces objectifs dénaturés et vidés de tout contenu de classe peuvent aisément être repris par les partis comme le PCF qui ne sont pas avares de démagogie. Il suffit de voir le PCF reprendre le gadget de la CFDT sur les « conseils d’atelier » pour comprendre l’extrême souplesse tactique des bureaucraties syndicales et des partis de gauche, leurs capacités de récupération. En avançant des formules floues de gouvernement intermédiaire, ni bourgeois ni ouvrier, en préconisant, plus ou moins sans l’avouer, un programme pour un tel gouvernement, en réclamant l’expropriation des capitalistes qui procèdent à des licenciements, sans dire clairement quel pouvoir pourrait accomplir de telles expropriations, ou en préconisant le contrôle de la police (on n’est pas si loin que ça de la démocratisation de la police), LO engendre les pires confusions sur le rôle de l’État bourgeois : cette brochure ne parle pas une seule fois de la nécessité de le détruire !
La préparation de la révolution socialiste, même dans une période de relative paix sociale comme celle que nous vivons aujourd’hui, nécessite une inlassable et intransigeante propagande communiste qui ne mette pas entre parenthèses, comme le fait LO, les tâches majeures auxquelles le prolétariat devra faire face : la formation de conseils ouvriers, l’insurrection armée, la destruction de l’État bourgeois et l’instauration de la dictature du prolétariat. Car, contrairement à ce que prêche souvent LO - toujours par souci pédagogique - le socialisme n’a rigoureusement rien à voir avec l’administration d’une petite commune !
LO diffusa cette brochure quelques mois, puis elle disparut mystérieusement de la circulation. Les naïfs auraient pu croire que LO allait adopter un langage plus radical jusqu’en 1978. En fait, il n’en fut rien, car LO trouva un nouvel axe, encore plus opportuniste que lors des précédentes campagnes électorales : il fallait envoyer au Parlement un ou plusieurs députés de... LO !!!!
Comme l’expliqua LO dans un des éditoriaux des bulletins d’entreprise : « Il faut que les travailleurs remplacent quelques députés socialistes ou communistes par des députés de Lutte ouvrière. Les députés de Lutte ouvrière seraient des députés de gauche qui soutiendraient tout ce qu’un gouvernement de gauche ferait en faveur des travailleurs, mais des députés de gauche pas dans la ligne, qui se mettront en travers et alerteront les travailleurs dès que Mitterrand ou Marchais trahiraient les intérêts de la classe ouvrière. »
Le ou les députés de LO auraient été les seuls à ne pas tremper dans les combinaisons ministérielles ; ils auraient pu ainsi utiliser la tribune parlementaire pour défendre les masses populaires et dénoncer les manœuvres des politiciens bourgeois.
C’est ainsi la première fois en France qu’un groupe d’extrême gauche faisait de l’élection de ses candidats l’axe principal de sa campagne électorale.
Elire des députés révolutionnaires, oui mais comment ?
Notons d’abord que LO ne répond pas à cette question pratique (et qu’elle jugeait cela impossible il y a quelques années). Dans l’état actuel de la loi électorale, il ne s’agissait pas d’une question mineure. Etre présent au second tour (l’hypothèse d’une élection au premier tour paraissant tout de même hasardeuse...) nécessitait d’avoir obtenu les voix d’au moins 12,5% des électeurs inscrits (soit environ 15% des suffrages exprimés) au premier tour. Ce n’était déjà pas une mince affaire et on voit mal dans quelle circonscription LO aurait pu réaliser un pareil score.
Quant à l’emporter au second tour, il aurait fallu rien moins que LO soit, face au représentant de la droite, l’unique représentant de la gauche... ce qui aurait supposé le désistement du PCF et du PS. Comment l’Union de la gauche en serait-elle venue, le 12 mars au soir, à faire une petite place à LO, élevée ainsi au rang de cinquième composante de l’Union de la gauche, LO ne se donna pas la peine de l’expliquer. Mais on peut supposer que le silence observé par LO sur son attitude au deuxième tour était destiné à rendre possible un marchandage électoral avec les partis de gauche entre les deux tours.
Un tel marchandage, à supposer qu’il ait été accepté par les « partenaires » - ce qui est rien moins qu’évident - aurait été lourd de conséquences. Il aurait supposé que LO accorde son soutien (conditionnel et critique, mais tout de même) aux partis de l’Union de la gauche. Un tel marchandage aurait amené LO au niveau du PSU dont la seule préoccupation est d’obtenir par tous les moyens quelques strapontins. Les camarades de LO pensaient-ils que les avantages de disposer d’une tribune au Parlement justifiaient une telle compromission qui aurait fait des candidats de LO des politiciens parmi les autres ?
Si la loi électorale prévoyait une représentation proportionnelle, la question de l’élection de députés révolutionnaires se poserait autrement : ceux-ci pourraient en effet être élus sur la base de leur programme et indépendamment d’un accord et d’un soutien tactique aux partis de gauche.
Mais, même avec une bonne loi, les révolutionnaires devaient-ils axer leur campagne sur la nécessité de faire élire leurs candidats ? Nous ne le pensons pas.
Et pour quoi faire ?
Pour nous, le travail essentiel d’un député révolutionnaire ne serait pas de voter les « bonnes » mesures d’un gouvernement de gauche. Ce serait d’utiliser son poste comme tribune, autant et même plus à l’extérieur du Parlement que dans l’hémicycle dont les débats ne passionnent plus grand-monde.
En admettant même que l’élection d’un des leurs soit un succès publicitaire pour l’extrême gauche, que son mandat lui permette de se faire entendre plus facilement à la télévision et à la radio, etc., les révolutionnaires n’en doivent pas moins dénoncer inlassablement le parlementarisme et la démocratie bourgeoise.
L’utilisation de cette tribune parlementaire ne peut avoir d’intérêt que si les révolutionnaires, avant et pendant les élections, ont dénoncé sans compromis le crétinisme parlementaire, l’illusion du bulletin de vote et ont été élus sur cette base. Or, comment peut-on expliquer à la fois que les travailleurs n’ont rien à attendre du Parlement et qu’il est vital qu’ils y fassent entrer de « bons députés » ? Devons-nous « oublier » de dire que les députés - même révolutionnaires - sont des gens incontrôlables et incontrôlés par les travailleurs (ce que LO expliquait d’ailleurs en 1973) ?
Sans cette propagande antiparlementaire, les députés révolutionnaires ne seraient au mieux que la mouche du coche, la caution gauchiste de la démocratie, qui en sortirait renforcée, et les illusions des travailleurs également.
Une propagande populiste
LO a résolu cette contradiction en renonçant délibérément à toute propagande communiste.
Faisant flèche de tout bois, LO partit en quête de toutes les voix des mécontents, de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, avaient des rancœurs et ne se reconnaissaient pas pleinement dans les grands partis de droite ou de gauche.
Aux travailleurs communistes, LO rappelait que Marchais avait abandonné la dictature du prolétariat (à laquelle LO se contentait de faire une référence polie, sans se donner la peine d’en expliquer le contenu) et la lutte contre la bombe atomique.
En direction des socialistes, on mettait l’accent sur le fait que Mitterrand était un « socialiste de fraîche date », ce qui évitait de poser le problème de la nature du PS.
Aux petits commerçants et paysans, on vantait la lutte des « petits » contre les « gros », on dénonçait les grandes surfaces. On ne disait pas le moindre mot sur la différence entre la classe ouvrière et la petite bourgeoisie qui fonde toute politique d’alliance ni sur l’exploitation féroce que subissent les salariés du petit commerce. On oubliait d’expliquer que le socialisme verra la disparition de la petite propriété, du petit commerce et du petit artisanat.
Aux femmes bourgeoises, on expliquait qu’elles devaient voter LO, si elles voulaient des députés femmes. Comme si la solidarité de sexe passait au-dessus des classes.
Par contre, LO choisit de ne pas s’adresser aux travailleurs immigrés qui ne votent pas, et de ne pas faire campagne contre les mesures Stoléru, la vague d’expulsions et de crimes racistes.
Camarades de LO, pensez-vous vraiment que la voix d’une femme bourgeoise ou d’un commerçant comptait davantage que la possibilité de toucher nos camarades immigrés à l’occasion de cette campagne, de leur montrer que les révolutionnaires s’adressent à eux, même si la loi bourgeoise les prive du droit de donner leur avis ? Qui retrouverons-nous à nos côtés, dans les grèves et dans les luttes ? Les immigrés ou les femmes bourgeoises ?
LO préférait tenir un langage poujadiste (du genre « Un chômeur de plus, un consommateur de moins », qui vaut son pesant de voix commerçantes), ou voisin de celui de staliniens : « Ils ferment leurs usines, ils exportent leurs capitaux » (qui fait pendant au « Ils investissent à l’étranger » du PCF). Allons-nous conseiller les patrons sur l’utilisation de leurs capitaux ?
L’abandon de toute propagande communiste
Volontairement, LO n’a pas dit un mot sur la société pour laquelle luttent les révolutionnaires, n’expliqua pas ce que serait le pouvoir des travailleurs, et ne parla pas de l’internationalisme.
LO voulut également se distinguer par tous les moyens des autres organisations, tant par les thèmes de sa campagne que par le style même, ce qui la conduisit, par exemple, à refuser tout débat dans les meetings de province d’Arlette pour ne pas « donner de tribune aux gauchistes », considérant sans doute que les sympathisants et électeurs potentiels ne s’intéressaient pas aux débats politiques.
Dans ces meetings, le ton était d’ailleurs volontairement mesuré : le Programme commun n’était plus qualifié de programme bourgeois, mais on entendait fréquemment parler de ses « aspects positifs ». La critique des nationalisations se réduisait à celle de la LCR, c’est-à-dire à la dénonciation de l’indemnisation des actionnaires. L’anti-électoralisme était sacrifié à la dénonciation de la loi actuelle, qui prive l’extrême gauche de députés, c’est-à-dire l’insuffisance de démocratie.
LO faisait ainsi preuve d’un opportunisme qui n’a pas grand-chose à envier à celui de la LCR. Le programme communiste réservé aux jours de fête (et encore !) et aux initiés, un populisme et un économisme plats changeant au gré des circonstances pour les masses : voilà ce que LO présentait comme de la haute tactique !
Une autre voie était possible : pour notre part, à la différence des abstentionnistes de principe, nous pensons que l’utilisation des élections comme tribune et la présentation de candidats peuvent être un fait positif. Mais à la condition que cette campagne permette à la classe ouvrière d’élever son niveau de conscience et non d’obtenir sa sympathie en cachant ce que nous sommes et le but que nous poursuivons.
Une campagne révolutionnaire devait non seulement dénoncer la duperie du suffrage universel et la fonction de la démocratie bourgeoise, mais être l’occasion d’une propagande inlassable pour la dictature du prolétariat, l’internationalisme.
Quel bilan après mars 1978 ?
L’échec de l’Union de la gauche est également celui des organisations qui misaient sur la « stratégie du débordement », en premier lieu la LCR. Pour celle-ci en effet, la venue de la gauche au gouvernement constituait la condition sine qua non pour débloquer la situation politique et permettre à l’extrême gauche - en stagnation depuis plusieurs années - de proposer des perspectives aux travailleurs.
Sans caricaturer, on peut même dire que, pour les camarades de la LCR, la victoire de la gauche devait entraîner plus ou moins automatiquement une situation comparable à celle de juin 1936.
C’est cette vision qui explique d’ailleurs l’acharnement mis par la LCR à fustiger la « division » entre le PCF et le PS : face à une situation grave (qui pour la LCR est plus ou moins pré-révolutionnaire), il faut « l’unité des travailleurs » et la LCR confond cette unité avec celle des partis qui se réclament des travailleurs. Il reste que la LCR va devoir trouver une politique de rechange dans la mesure où toutes ses perspectives étaient fondées sur la mobilisation qui devait accompagner l’arrivée de la gauche au gouvernement. La conséquence inévitable - et prévisible - de cette politique est à coup sûr une certaine démoralisation d’une partie des militants entretenus depuis plusieurs années dans l’idée que 1978 constituait une échéance décisive.
Pour LO, la situation était un peu différente : LO n’a jamais affirmé que la venue de la gauche entraînerait automatiquement une vague de luttes. Pourtant, LO avait misé des forces importantes sur une poussée à gauche qui - espérait-elle - se manifesterait sur le plan électoral au bénéfice de l’extrême gauche. LO espérait donc, grâce à sa campagne électorale, effectuer une véritable percée politique qui la ferait apparaître comme une solution alternative, non seulement à la classe ouvrière, mais aux couches de la petite bourgeoisie traditionnelle.
Le petit courant de sympathie qui entourait les camarades de LO en campagne avait même pu laisser espérer à nombre d’entre eux que des candidats franchiraient la barre des 12,5% au premier tour, permettant des négociations sur le désistement au second tour, avec le PS et le PCF.
S’il était permis d’espérer un déplacement de l’électorat vers la gauche plus important, on comprend cependant mal comment LO pouvait espérer une poussée aussi importante en sa faveur, alors qu’aucune lutte d’envergure dans laquelle les révolutionnaires auraient joué un rôle ne le laissait présager.
Contrairement à tout ce qu’affirmaient les militants de LO, il n’y avait rigoureusement aucune chance de voir élire un député d’extrême gauche dans la situation actuelle. Avoir laissé espérer un tel succès à ses militants et sympathisants relève du bluff politique.
En fait, si LO a mis des forces aussi importantes dans une campagne électorale (sans commune mesure avec tous les efforts qu’elle a pu accomplir sur d’autres questions), c’est parce qu’elle pensait que cette campagne pouvait être un tremplin vers la construction du parti révolutionnaire... autour de LO. (Et elle ne semble pas avoir perdu cette ambition.) C’est véritablement accorder aux élections un rôle qu’elles n’ont pas : même si elles peuvent contribuer à faire connaître une organisation, ce n’est certainement pas sur la base de campagnes électorales - surtout aussi populistes que celles de LO - que les travailleurs les plus combatifs accorderont leur confiance à un groupe révolutionnaire. Il faudra pour cela de nombreuses luttes et une véritable avant-garde ne pourra se dégager que dans ces combats où les tendances révolutionnaires devront faire la démonstration pratique de leur capacité à proposer des perspectives correctes aux travailleurs.
Sous des formes différentes, les illusions de la LCR et de LO se rejoignent. Elles procèdent en effet de la même conception trotskyste erronée selon laquelle seule ferait défaut la bonne direction capable de mener le prolétariat au grand soir. Il en découle des tactiques manœuvrières et des tentatives de trouver ces raccourcis qui visent à se placer en bonne position pour jouer ce rôle : en poussant le PCF et le PS en avant pour la LCR, en obtenant des sièges de députés et en opérant une percée politique en mettant son drapeau et son programme dans sa poche pour LO. Mais le chemin à accomplir pour remonter la pente après des décennies de contre-révolution est beaucoup plus long : il faudra que des dizaines et des dizaines de milliers de travailleurs soient passés par l’école de luttes acharnées, qu’ils aient acquis une formation politique au cours de ces combats et par la confrontation des idées dans le mouvement révolutionnaire pour que se constitue une avant-garde qui puisse sérieusement prendre le titre de Parti révolutionnaire.
Au-delà de tous les zigzags tactiques et de l’opportunisme croissant de LO dans ses campagnes électorales, c’est cette leçon-là qu’il faut retenir : ceux qui, comme LO, croient construire le Parti, recruter des milliers de sympathisants du PCF et du PS dans la période actuelle se trompent lourdement et vont au-devant de graves désillusions.
Si LO continue à accorder une telle importance aux élections (quitte à déserter une entreprise en pleine grève, comme lors du récent conflit de la Caisse d’allocations familiales), LO grossira peut-être un peu plus, gagnera quelques postes de maires, de conseillers municipaux et même un jour de députés, mais elle deviendra une organisation complètement centriste, dont la pratique finira par rejoindre le langage modéré et populiste.
Combat communiste
Combat communiste n° 19, 15 octobre 1976
Quand la LCR succombe aux sirènes de l’Union de la gauche
Deux articles de fond écrits par Roland Yvetot dans le quotidien Rouge présentent de façon assez claire la position de la LCR face à l’Union de la gauche. Le premier, publié le 6 août 1976, s’intitule De l’Unité populaire à l’Union populaire, le PSU est en marche. Le second, du 6 septembre : A propos d’un article paru dans LO : Comment combattre les illusions ?
Dans ces deux articles, Roland Yvetot expose la tactique de son organisation vis-à-vis des travailleurs influencés par le PC et le PS qui « savent à la fois que les luttes isolées ne suffisent pas et que les luttes d’ensemble supposent un affrontement gouvernemental ». Pour répondre à l’attente de ces travailleurs et leur offrir un « débouché politique », la LCR énumère la liste des conditions qu’elle met pour accorder son soutien à un gouvernement PC-PS (sans les Radicaux de gauche), conditions qui, remplies, permettraient à un tel gouvernement - toujours selon Roland Yvetot d’« ouvrir la voie au pouvoir des travailleurs » (sic).
Le camarade Yvetot semble ainsi penser que la venue d’un gouvernement de gauche mène plus ou moins nécessairement à une situation révolutionnaire. Il fait ainsi bon marché d’un demi-siècle d’expériences de « fronts populaires » qui n’ont abouti qu’à des défaites, parfois sanglantes, et à la démoralisation des travailleurs.
La présence des Radicaux de gauche ne change pas la nature de l’Union de la gauche
La première erreur que commettent les camarades de la LCR, c’est de considérer qu’il existe un antagonisme irréductible entre la bourgeoisie et les partis « socialiste » et « communiste ». Qu’il existe incontestablement un tel antagonisme entre certaines fractions de la bourgeoisie - les plus liées à la propriété individuelle du capital et à l’impérialisme américain - et le PCF (certainement pas avec le PS !) ne signifie pas que d’autres fractions de la bourgeoisie ne soient pas prêtes à s’accommoder, non seulement du Programme Commun mais de mesures d’étatisation beaucoup plus poussées si la survie du système l’exige.
Mais admettons un instant que, sous la pression des masses, le PCF et le PS rompent avec les radicaux de gauche et gouvernent sans eux. En quoi un tel gouvernement serait-il davantage « ouvrier » qu’un gouvernement PCF-PS-RDG ? Ce ne sont pas les illusions des travailleurs ni des trotskystes qui déterminent la nature de classe d’un gouvernement mais son programme, sa politique. De toute évidence, un gouvernement PC-PS n’ambitionnerait que de gérer le système. Il ne s’appuierait pas sur une mobilisation des travailleurs pour détruire l’État bourgeois. Son rôle serait au contraire de tenter de concilier les intérêts de la bourgeoisie et ceux de la classe ouvrière au détriment de cette dernière. Quelle que puisse être son audience dans la classe ouvrière, ce serait un gouvernement bourgeois.
En réalité, la position de la LCR est maintenant rigoureusement la même que celle de l’OCI - qui le lui fait très judicieusement remarquer dans Informations Ouvrières N° 766 - pour qui un « Front populaire » se transforme en « Front unique ouvrier » par la seule élimination des Radicaux de gauche, car ce serait à travers ce parti que s’exercerait l’influence de la bourgeoisie. Cependant, l’influence de la bourgeoisie passe aussi bien au travers du PS et même du PCF qui est un parti « ouvrier-bourgeois », dans la mesure où il défend la politique de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière. Et Mitterrand ou Marchais seraient des ministres tout aussi bourgeois de l’Union de la gauche qu’Edgar Faure !
Mais contrairement à l’OCI, la LCR ne limite pas ses exigences au départ des Radicaux de gauche. Elle demande notamment « l’abolition de la Constitution de 1958 » et la « sortie de la France de l’OTAN ». Il s’agit visiblement d’une manœuvre tactique qui se veut habile pour « coincer » les militants du PCF. Cette Constitution fut en effet caractérisée comme « bonapartiste » et même comme fasciste par le PCF lors de sa présentation par De Gaulle. Mais qui s’en souvient encore parmi les travailleurs du PCF ? La LCR espère-t-elle véritablement mobiliser qui que ce soit sur un tel mot d’ordre ? Quant à la sortie de l’OTAN, elle ne constitue en aucune façon une rupture avec la bourgeoisie.
Un gouvernement de gaullistes nationalistes pourrait aussi bien prendre une telle mesure. Il ne s’agit donc que d’une surenchère de la LCR, selon une habitude qui a la faveur de cette organisation.
Suit la revendication du « droit à l’autodétermination des DOM-TOM ». La LCR ne précise même pas le DROIT A L’INDEPENDANCE. Il ne s’agit pas d’une nuance secondaire : De Gaulle a poursuivi par exemple, pendant un certain temps, la guerre coloniale d’Algérie tout en parlant de « droit à l’autodétermination ».
L’étatisation du Capital ne change pas la nature de l’État
Viennent enfin les plats de résistance : les nationalisations et le « contrôle ouvrier ». La LCR demande au PCF et au PS de « rompre avec la bourgeoisie » en expropriant et en plaçant sous contrôle ouvrier les entreprises qui ferment (...) ainsi que celles dont la nationalisation est demandée par les travailleurs ». Car, pour la LCR, le « maintien de l’économie de marché » est l’un des trois axes qui scellent la politique de collaboration de classe du PC et du PS. La LCR est ainsi cohérente avec elle-même puisqu’elle caractérise comme « ouvriers » (déformés) tous les États qui ont nationalisé l’essentiel de leur industrie, de la Pologne au Cambodge, en passant par Cuba et la Tchécoslovaquie.
Des mesures d’étatisation poussées ne sont pourtant nullement hors de portée d’un État bourgeois. La LCR a la mémoire courte. Il n’y a pas si longtemps, au lendemain du coup d’État militaire du 25 avril 1974 au Portugal, le principal grief qu’elle faisait au Mouvement des Forces Armées (l’organisateur de la « révolution des œillets », NDLR) était de « respecter l’économie de marché » ) (brochure « Coup pour coup » n° 1). Ironie du sort : 60% de l’économie portugaise est maintenant nationalisée.
Quant au « contrôle ouvrier » (en vigueur officiellement au Portugal), on conviendra qu’il est possible de mettre derrière ce mot d’ordre beaucoup de choses différentes, surtout si Marchais et Mitterrand se chargeaient de l’instaurer avec le concours des « organisations ouvrières actuelles », c’est-à-dire des syndicats CGT et CFDT.
L’étatisation du Capital ne sort pas davantage du capitalisme et de l’« économie de marché ». C’est à l’échelle mondiale que fonctionne le marché capitaliste. Et si Mitterrand et Marchais envisagent la nationalisation des secteurs clés, une limitation des lois du marché capitaliste à l’intérieur des frontières nationales, c’est dans le seul but de renforcer les positions du capital français sur le marché mondial.
L’État bourgeois ne doit pas être contrôlé mais détruit
Restent enfin les « libertés syndicales dans l’armée et le contrôle des travailleurs et des organisations ouvrières sur l’armée ». S’il est tout à fait juste de mettre en avant la liberté d’organisation pour les soldats, ce n’est pas pour autant que doit être abandonné le programme communiste révolutionnaire de destruction de l’armée bourgeoise comme le fait la LCR. « Contrôler l’armée », c’est justement ce que toutes les variétés de réformistes (du CERES (1) au PSU et au PCF en passant par la gauche de la CFDT) laissent entendre qu’il est possible de faire. Bien sûr, à usage interne, la LCR conserve sans doute à son programme la destruction de l’armée bourgeoise, mais elle glisse discrètement ce programme dans sa poche pour qu’il ne vienne pas assombrir ses rapports avec les staliniens et les réformistes.
On se demande d’ailleurs quelles sont ces fameuses « organisations ouvrières » chargées de contrôler l’armée. La LCR pense-t-elle que la naissance de conseils ouvriers accompagnerait automatiquement (« sui generis » comme elle aime le dire) l’installation de Mitterrand et Marchais à l’hôtel Matignon ? Ou bien serait-ce la CGT qui devrait se charger de ce contrôle ? Auquel cas, nous ne pouvons qu’être inquiets : la LCR ignore-t-elle que la social-démocratie allemande qui « contrôlait » effectivement certaines unités militaires les a incitées à participer à la répression contre les insurgés spartakistes... ?
Non au soutien critique à la bourgeoisie !
Quoique la LCR s’en défende, c’est bien sur les positions du « soutien critique » qui étaient celles du MIR au Chili et qui ont contribué à dissimuler la nature de classe bourgeoise du gouvernement Allende, qu’elle passe discrètement. Un soutien sur des bases minima dont la confusion ne peut mener qu’à la capitulation de l’extrême gauche. Une fois de plus, la LCR se place en situation de « conseiller critique » des directions des partis de gauche qu’elle affecte de considérer comme des « camarades dans l’erreur ».
Il y a pourtant une autre politique possible en dehors de la politique de capitulation sur la voie de laquelle s’engage la LCR et de celle de pure dénonciation verbale de la gauche qu’elle condamne. Il s’agit de proposer un programme de lutte sur des objectifs politiques et économiques, des formes de lutte et d’organisation permettant aux travailleurs réformistes et révolutionnaires de se retrouver côte à côté et de faire l’unité de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et ses valets de « gauche ».
Combat communiste n° 19, 15 octobre 1976
Club dirigé notamment par Jean-Pierre Chèvenement, qui intégra le PS, et ancêtre de l’actuel Mouvement des citoyens (Y.C.).
Lettre ouverte à un(e) camarade de la LCR
Jeudi 29 septembre 1977
Camarade,
La rupture survenue au sein de l’Union de la gauche - qu’elle soit momentanée ou définitive - conduit sans aucun doute de nombreux militants et travailleurs qui avaient placé leurs espérances dans cette alliance à s’interroger. Cette rupture représente donc une situation relativement favorable aux révolutionnaires pour avancer leurs explications et aider ces camarades à comprendre la nature véritable des partis de gauche qui prétendent défendre leurs intérêts.
Quelle est la politique de la LCR ?
Depuis la « victoire » de la gauche aux élections cantonales et surtout depuis les élections municipales de mars 1977, la LCR s’est engagée dans une campagne en direction du PCF et du PS. L’axe essentiel de cette campagne est d’exercer une pression sur ces partis pour qu’ils « prennent leurs responsabilités », c’est-à-dire provoquent des élections anticipées, remettent en cause la Constitution de 1958, forment un gouvernement sans les Radicaux de gauche et renvoient Giscard.
Cette politique conduit en premier lieu à tromper les travailleurs sur la nature du PCF et du PS. En mettant l’accent sur la présence des Radicaux de gauche dans l’Union de la gauche, cette politique laisse entendre que seuls les Radicaux seraient des bourgeois, alors que le PC et le PCF seraient des « partis ouvriers » susceptibles de mener une politique conforme aux intérêts des travailleurs.
En réalité, l’influence de la bourgeoisie passe aussi bien par l’intermédiaire de ces deux partis que par Fabre et ses acolytes. Le PS, qui ne compte dans ses rangs que 3% d’ouvriers, ne peut être considéré comme un « parti ouvrier ». Quant au PCF, s’il possède une base ouvrière, son programme n’en est pas moins un programme tout aussi bourgeois que ceux du PS et des Radicaux. Cela, il n’y a aucune raison de le cacher aux travailleurs.
Certes, les projets politiques du PS et du PCF sont différents, contrairement à ce qu’expliquent la LCR et Lutte ouvrière. Le premier envisage une gestion social-démocrate traditionnelle respectant la propriété individuelle du Capital.
Le second cherche à faire passer le maximum de capital sous le contrôle de l’État bourgeois et à obtenir des postes de gestionnaires dans l’appareil d’État, dans les entreprises nationalisées. Ces deux projets sont antagoniques et la majorité de la bourgeoisie française n’est sans doute pas prête à accepter aujourd’hui le projet du PCF.
Mais, s’il est important de comprendre ces contradictions, il ne faut pas oublier que les travailleurs n’ont rigoureusement rien à attendre de l’étatisation du Capital par l’État bourgeois, que cet État soit géré par un personnel politique de droite ou de gauche. Le capitalisme d’État dont rêve le PCF n’est pas plus proche du véritable socialisme que la cogestion à la Helmut Schmidt ou le socialisme « scandinave ».
La LCR, champion de l’unité PCF-PS
La désunion de la gauche semble chagriner la LCR. Ainsi Rouge titrait le samedi 23 septembre : « Il faut l’unité. »
Mais quelle « unité », camarades, et sur quel programme ? Celle des travailleurs ou celle des bureaucrates et des politiciens bourgeois de gauche ?
C’est sans doute un des aspects les plus négatifs et les plus néfastes de la politique de la LCR : la LCR laisse entendre qu’un gouvernement PCF-PS pourrait être autre chose qu’un gouvernement bourgeois - fidèle en cela à une vieille illusion trotskyste.
Elle propose tout un programme de revendications que devrait satisfaire un tel gouvernement et de mesures qu’il devrait prendre, qui feraient d’un tel gouvernement un gouvernement « en rupture avec le capitalisme ».
Le but de la LCR est sans doute « pédagogique ». La LCR vise à exprimer les sentiments des sympathisants du PCF et du PS qui sont unitaires et sont déçus par la rupture entre les partis de gauche. Cette politique rejoint celle de l’OCI qui faisait signer des pétitions pour que les « partis ouvriers se mettent d’accord ».
Cette politique permet sans doute de recueillir une certaine sympathie. Mais en quoi le fait de répéter ce que pense une bonne partie des travailleurs (« Ils feraient mieux de s’unir » ) contribue-t-il à élever le niveau de conscience de la classe ouvrière ?
En fait, l’unité du PCF et du PS et leur accession au gouvernement ne peuvent se faire que contre les intérêts des travailleurs (ce que la LCR reconnaît parfois dans certains textes). Alors, dans ces conditions, pourquoi apparaître comme les partisans les plus actifs de cette formule de gouvernement bourgeois ?
Pourquoi réclamer que sociaux-démocrates et staliniens organisent des assemblées dans les entreprises pour faire arbitrer leurs divergences par les travailleurs ? Si une majorité de travailleurs approuvaient leur programme bourgeois, la force de frappe, la planification de l’immigration en fonction des besoins de l’économie capitaliste, les révolutionnaires devraient-ils se plier à l’avis de la majorité ?
Il y a une autre politique à mener
En fait, plus l’échéance de 1978 se rapproche, plus la LCR adopte un langage opportuniste et équivoque pour ne pas heurter les illusions et les aspirations des travailleurs (ou celles qu’elle leur prête...). Le bilan de cette campagne est clair : elle n’a eu rigoureusement aucun impact sur la situation politique. Elle n’a pas amené les militants du PCF à demander des comptes à leurs dirigeants. Elle n’a pu au contraire que renforcer leurs illusions (et celles des sympathisants de la LCR !) sur l’Union de la gauche.
Les révolutionnaires doivent lutter :
pour l’unité de la classe ouvrière, pas celle des appareils bureaucratiques,
pour refuser l’austérité, quel que soit le gouvernement.
Pour cela, la première condition est de donner un point de vue clair sur la nature de l’Union de la gauche, du Programme commun et des partis de gauche, de les dénoncer pour ce qu’ils sont sans ambiguïté, de répéter inlassablement que les travailleurs devront imposer leurs revendications par la lutte, et non en attendre la satisfaction d’un changement de personnel gouvernemental.
Les révolutionnaires doivent sans cesser mener une propagande communiste pour expliquer la nécessité absolue pour la classe ouvrière de détruire l’État bourgeois (et non mettre entre parenthèses sa nature, comme le font si souvent LO, la LCR et l’OCI par « pédagogie » ) et d’assurer sa dictature à travers une organisation autonome.
Ce langage est sans doute plus difficile à tenir, mais c’est le seul qui puisse aider à la constitution d’une avant-garde de travailleurs dégagés de toute illusion sur les agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier.
(Tract distribué au meeting de la LCR du jeudi 29 septembre 1977 et reproduit dans Combat communiste n° 30, 15 octobre 1977)
Le score des révolutionnaires
25 mars 1978
Rarement les résultats de l’extrême gauche auront été commentés avec autant d’insistance qu’au soir du premier tour de ces élections. À droite, on en soulignait le « succès » pour mieux faire ressortir l’« échec » de la gauche qui ne doit de frôler la majorité en voix qu’à l’appoint « gauchiste ». À gauche, on se garde bien de dénigrer et on multiplie les appels du pied.
En y regardant de plus près, force est pourtant de constater que les résultats électoraux de 1978 sont loin d’être les meilleurs de l’extrême gauche. Nous ne retiendrons pas ici les résultats du PSU - ou de son paravent électoral le Front autogestionnaire - qui sont à ranger dans la gauche unie ; encore faut-il noter qu’une petite partie de l’électorat du PSU (guère plus de 20% sans doute) a pu voter LO ou LCR-OCT-CCA là où le Front autogestionnaire n’avait pas de candidat. Quant aux maoïstes, nouveaux venus dans l’arène électorale, la faiblesse de leurs résultats (le quart environ de ceux de LO) rend l’analyse difficile. Restent les voix obtenues par les deux groupes concurrents : Lutte ouvrière et « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs » formé du cartel LCR-OCT-CCA.
Les voix de Lutte ouvrière
Lutte ouvrière arrive de loin en tête de tous les groupes, en voix et en pourcentage. D’une part, parce qu’elle est la seule à avoir présenté des candidats partout. D’autre part, parce que ses candidats obtiennent nettement plus de voix que ceux de la LCR, de l’OCT, des CCA ou des maoïstes (il y a quelques exceptions : ainsi certains maoïstes réussissent parfois des scores plus élevés en Loire-Atlantique, dans la Meuse - l’UOPDP - ou à Lyon, ce qui peut correspondre à une certaine implantation locale). Il faut noter également que, sur Paris, la LCR fait jeu égal avec LO, ce qui s’explique sans doute par l’existence d’un public gauchiste plus important dans la capitale, dont la composition sociologique n’est pas défavorable à la LCR.
Avec 1,7% en moyenne pour LO contre 0,8% à la LCR, et beaucoup moins à l’UOPDP maoïste, la tradition est respectée. Comme en 1973 et surtout en 1974 (2,33% à Arlette Laguiller, 0,36% à Krivine) LO passe mieux que les autres. À cela on peut avancer quelques explications : le sérieux et l’étendue de ses campagnes, le « tonus » d’Arlette Laguiller, l’implantation, ou l’image de marque, plus ouvrière, du groupe, enfin un langage qui exprime mieux la rancœur d’une partie de la population.
LO ne retrouve cependant pas ses pourcentages de 1974, ni même de 1973. Il faut certes tenir compte de ce que la concurrence au sein de l’extrême gauche était plus forte (en 1973, LO faisait cause commune avec la LCR et ne présentait que 171 candidats). Mais la raison essentielle est que la poussée à gauche, que les municipales paraissaient annoncer (les révolutionnaires avaient parfois atteint 10% des voix) a été stoppée. C’est sur cette poussée que LO tablait pour réussir une percée électorale, au moins dans certains endroits, puisque son objectif avoué était de franchir la barre des 12,5% des inscrits pour faire élire au moins un député.
À cet effet, la campagne locale d’Arlette Laguiller à Thiers a été l’objet d’un important investissement militant, qui ne suffit toutefois pas à expliquer les 8% records qui ont été atteints, lesquels doivent beaucoup à la notoriété d’Arlette Laguiller.
D’autres observations peuvent être faites :
* Les scores les plus élevés de LO sont souvent réalisés dans des circonscriptions détenues par la droite, où le PC, voire le PS, est faible. Il n’est pas rare qu’avec 3% des voix LO fasse le tiers des voix du PCF.
* Par contre, dans les bastions du PCF (et particulièrement en Seine-Saint-Denis), LO régresse par rapport à 1973. On peut en déduire que, dans les places fortes de la gauche - et notamment dans celles du PCF - la querelle PC-PS n’a pas profité aux candidats révolutionnaires, et a sans doute permis à une partie des électeurs de LO d’exprimer leur méfiance vis-à-vis de Mitterrand en « votant utile » dès le premier tour pour le PCF.
Là où la gauche n’a guère de chances de l’emporter et ne dispose pas d’une implantation et de moyens de propagande très importants, le choix est resté plus ouvert. Les points obtenus par rapport à sa moyenne nationale dans des circonscriptions nouvelles, où LO ne possède souvent aucune implantation locale, compensés par les pertes dans des villes où elle est mieux implantée, prouvent qu’une partie de son électorat ne lui appartient pas en propre, et que son assise réelle est très faible (bien que supérieure à celle des autres groupes).
Enfin, on peut penser que la campagne populiste de LO lui a fait perdre une fraction non négligeable des voix gauchistes, qui disposaient par ailleurs d’un éventail de candidats beaucoup plus vaste que lors des précédentes élections.
En revanche, il est peu probable que LO ait mordu sur les couches de « petites gens » dont elle cherchait à capter la sympathie.
Et celle du cartel LCR-OCT-CCA
Les listes « Le pouvoir aux travailleurs » obtiennent en moyenne, là où elles étaient présentes, 0,9% des voix, soit moitié moins que LO. L’ « unité » des organisations révolutionnaires - assez tumultueuse il est vrai - n’a donc pas fait recette.
Néanmoins, la LCR progresse par rapport aux résultats de Krivine aux présidentielles, ce qui n’est guère remarquable, mais oblige à relativiser le rapport de 1 à 7 créé en 1974 par LO grâce à la personnalisation de la campagne d’Arlette Laguiller, et qui ne correspondait pas au « rapport de forces » réel entre LO et la LCR. Avec une campagne plus dynamique à la télévision et sur le terrain, et surtout si sa politique ne l’avait pas conduite à axer l’essentiel de sa campagne sur le deuxième tour, la LCR pouvait sans doute obtenir quelques dizaines de milliers de voix supplémentaires. (Mais dans ce cas, la Ligue serait-elle la Ligue ?...)
Combat communiste n° 35, 25 mars 1978
La LCR et le deuxième tour
25 mars 1978
Après le premier tour des élections, toute critique de fond du PCF, du PS, de l’Union de la gauche et du Programme commun a disparu de la presse de la LCR. Rouge a consacré entre un tiers et la moitié de ses pages, entre les deux tours, à des commentaires électoraux. À la télévision nous avons même pu voir Alain Krivine demander au PCF et au PS d’organiser un grand meeting commun « avec la participation de Marchais, Mitterrand, Maire, Séguy, etc. » (sic).
Quand Mitterrand est venu se faire filmer aux portes de Renault-Billancourt, Rouge lui a reproché d’avoir mal organisé son intervention et manqué une occasion...
Ainsi la LCR est apparue comme une sorte de conseillère technique du PCF et du PS, visant à les aider à mieux faire leur travail... Le PCF ne s’en est guère montré reconnaissant, la LCR n’a pas eu droit à la moindre petite citation dans l’Humanité.
Il semble toutefois que, localement, certaines organisations du PCF aient accepté de recevoir des représentants de la LCR. Même s’il ne s’agit que de cas limités, cela constitue néanmoins un fait important. (Aux municipales, un représentant de la LCR avait déjà été autorisé à lire un communiqué dans un meeting de la gauche, en province.)
L’évolution pourrait se confirmer : face à l’existence durable d’une extrême gauche bénéficiant d’une petite audience, le PCF aura sans aucun doute tout intérêt dans l’avenir à utiliser les tendances les plus suivistes à son égard comme force d’appoint. C’est déjà une tactique qu’ont largement utilisée les PC italien et portugais.
Conclure des accords, et même des compromis avec le PCF n’est, certes, nullement à rejeter par les révolutionnaires. Mais à condition qu’un tel compromis se fasse dans la clarté et qu’il serve à renforcer la lutte, l’unité et l’organisation des travailleurs.
Ramper devant le PCF et le PS, et faire leur travail électoral, n’a rien à voir avec un tel accord de front unique. Derrière la position de la LCR, il y a évidemment l’illusion qu’un accord PC-PS peut entraîner une « dynamique unitaire » susceptible de déboucher sur une mobilisation des travailleurs. Encore une fois, la LCR confond l’unité des travailleurs avec celle des bureaucrates et des politiciens de gauche.
Combat communiste n° 35, 25 mars 1978
Lutte ouvrière face aux mesures Stoléru
Né en 1937, Lionel Stoléru est un représentant typique de la haute technocratie française. Polytechnicien, il appartient à la direction des affaires financières du Crédit Lyonnais, avant de devenir conseiller du très réactionnaire Giscard d’Estaing jusqu’en 1974. Il tourne ensuite sa veste plusieurs fois puisqu’il sera soutenu aux législatives de 1988 et aux municipales de 2001 par le PS, mais fera partie successivement du Parti radical-valoisien, de Génération Ecologie et du Parti radical de gauche avant de tomber dans les bras de Nicolas Sarkozy en février 2007 ! Il est l’inventeur de la scandaleuse aumône dite « prime de retour » aux travailleurs immigrés lancée en 1977 et sera secrétaire d’État aux travailleurs manuels et aux travailleurs immigrés dans divers ministères sous des gouvernements de droite (Chirac, Barre) comme sous la gauche (Rocard).
Ni patrie ni frontières
(Contre le courant n° 2, 1978)
Le développement de la crise économique et du chômage fait des travailleurs immigrés une cible privilégiée pour la bourgeoisie. Privés de droits politiques, à la merci de l’administration et risquant à tout moment l’expulsion, ces travailleurs sont particulièrement vulnérables. Depuis plusieurs années, les travailleurs immigrés ont relevé la tête et mené des luttes déterminées pour défendre leurs conditions de vie. C’est une des raisons pour lesquelles le patronat et son Etat entendent bien utiliser la crise pour leur faire à nouveau courber l’échine. L’attaque contre l’immigration est aussi, pour la bourgeoisie, une excellente arme de division, pour faire oublier aux travailleurs français la véritable source du chômage : le capitalisme. On peut remarquer que ce ne sont pas seulement l’extrême droite et les groupes fascistes qui mènent campagne contre les immigrés : des politiciens comme Chirac ne répugnent pas d’utiliser la démagogie raciste.
Répondre dans la mesure de leurs forces aux attaques dirigées contre les travailleurs immigrés doit donc être une préoccupation de premier plan des révolutionnaires. En cas d’approfondissement de la crise, le problème de l’unité de la classe ouvrière serait déterminant dans le rapport de forces entre les travailleurs et la bourgeoisie.
Les mesures Stoléru représentent un des aspects de l’attaque que la bourgeoisie mène contre les travailleurs immigrés ; les dénoncer et les combattre est une tâche importante pour les révolutionnaires : même s’ils n’ont pas à eux seuls les moyens de faire reculer la bourgeoisie (seule une mobilisation importante des travailleurs peut y parvenir), leur rôle dans cette lutte n’est nullement secondaire. Face à la capitulation complète des syndicats et des partis de gauche (qui revendiquent la planification de l’immigration en fonction des besoins de l’économie), les révolutionnaires doivent faire entendre leur voix et lutter pour l’unité de tous les travailleurs. Dans la limite de nos moyens, c’est ce qu’a essayé de faire notre tendance là où nous avons la possibilité d’intervenir.
Sur ce terrain, l’extrême gauche (et en particulier les groupes trotskystes) sont bien loin d’avoir été à la hauteur de leurs responsabilités (1).
L’initiative la plus importante contre les mesures Stoléru a été la manifestation du 19 novembre 1977 organisée à l’appel du Comité de coordination des foyers Sonacotra. Il est bien évident qu’une manifestation ne constitue pas une recette miraculeuse et que celle-ci n’avait pas la possibilité de revêtir l’ampleur suffisante pour faire reculer l’Etat. Y participer et faire en sorte qu’elle rassemble le plus grand nombre de travailleurs français et immigrés était cependant une question de solidarité de classe élémentaire. (D’autant plus qu’aucun autre axe de mobilisation « prioritaire » ne pouvait être avancé à l’époque.)
Face à cette manifestation, LO a véritablement mené « double jeu » : d’un côté, elle a refusé de participer à sa préparation, elle n’a rien fait pour assurer son succès et ses militants n’y étaient présents qu’en nombre très réduit, sans leurs banderoles d’organisation (2). Par contre, sur les entreprises où elle intervient régulièrement, LO a appelé sur ses bulletins à participer à cette manifestation, ce qui lui permettait de donner l’impression qu’elle était « dans le coup » ... alors qu’elle jugeait visiblement cette manifestation sans intérêt.
Théorisation de la démission
Cette attitude, qui n’est qu’un aspect de la démission de LO sur le problème de l’immigration, a été théorisé dans la Lutte de classe n° 49. Le raisonnement de LO est le suivant : la bourgeoisie ne peut pas se passer des travailleurs immigrés. Les travailleurs français ne sont pas prêts à accomplir les travaux les plus durs qui sont actuellement réservés aux immigrés. Par conséquent, la bourgeoisie ne peut pas expulser les immigrés. Dans ces conditions, des mesures comme celles de Stoléru sont purement démagogiques. LO affirme qu’il faut les combattre, même si elles restent « non suivies d’actes » (sic) ; mais il ne s’agit de toute évidence que d’une clause de style. Pourquoi en effet se mobiliser contre des mesures qui n’ont pas d’effets concrets ?
L’argumentation de LO laisse cependant de côté le fait que, s’il est évidemment impossible à la bourgeoisie de chasser tous les immigrés, elle peut cependant en renvoyer une partie importante, suffisante pour démoraliser ceux qui pourraient rester, entretenir la division dans la classe ouvrière. Et, si les travailleurs français ne peuvent pas remplacer tous les travailleurs immigrés, une partie peut cependant, face à la crise et au chômage, être amenée à accepter des conditions de travail plus difficiles.
Les affirmations optimistes de LO ont d’ailleurs reçu rapidement de premiers démentis. Les mesures Stoléru s’accompagnaient d’une recrudescence des brimades, rafles racistes des flics, expulsions arbitraires. Quelques semaines plus tard, le CNPF déclarait qu’il fallait expulser un à deux millions de travailleurs immigrés d’ici 1985. Même s’il faut faire la part de la démagogie et de l’exagération patronales, les patrons ont commencé à les faire entrer dans les faits : ce sont, par exemple, les ouvriers immigrés de Sacilor qui ont été les premiers renvoyés et qui ont vu les loyers de leurs foyers doubler pour les contraindre au départ.
La campagne électorale a vu une nouvelle démission de LO sur ce terrain. Disposer de quelques minutes d’antenne pouvait permettre de dénoncer les mesures Stoléru, d’affirmer la solidarité de classe des révolutionnaires avec les travailleurs immigrés (même si d’autres axes d’intervention étaient bien sûr indispensables). Mais LO a préféré délaisser complètement les catégories de travailleurs les plus défavorisées qui sont privées du droit de vote.
De même, si LO a consacré plusieurs modèles d’affiches aux petits commerçants en termes généralement démagogiques, elle n’a pas jugé bon d’en éditer une seule sur la question des travailleurs immigrés.
Cette absence de travail en direction de l’immigration qui caractérise l’ensemble du mouvement trotskyste en France (LO-LCR-OCI) est liée en grande partie à l’attitude des trotskystes qui, traditionnellement, s’adressent aux ouvriers proches des syndicats et des partis de gauche, quand ce n’est pas aux militants, aux cadres et aux dirigeants de ces organisations (ce qui est beaucoup moins vrai pour LO que pour la LCR et l’OCI). En ce qui concerne LO, à cette tradition trotskyste s’ajoute sans aucun doute une volonté de ne pas heurter les préjugés des diverses couches de la population dont elle espérait recueillir les suffrages au cours des dernières législatives, un électoralisme débridé et un désir de respectabilité confirmé par son attitude face au problème de la violence et du terrorisme.
La critique de la campagne antiraciste du SWP
(Socialist Workers Party)
Si LO n’a organisé aucun travail concret, aucune campagne contre les attaques dont sont victimes les travailleurs immigrés (et on est en droit de penser que, si elle déployait sur ces questions une énergie comparable à celle qu’elle déploie pour les fêtes et les campagnes électorales, elle recueillerait tout de même certains résultats...), LO ne se prive pas pour autant de donner des leçons à ceux qui s’efforcent d’intervenir pratiquement.
Ainsi dans le même numéro de la Lutte de classe (n° 49) déjà cité, LO critique la politique du SWP en Grande-Bretagne contre les manifestations fascistes du National Front. Tout en affirmant ne pas connaître la situation locale, LO donne des leçons aux militants britanniques, y compris sur des points relativement précis. (Cette sorte d’hypocrisie où la fausse modestie côtoie le ton professoral et condescendant est d’ailleurs caractéristique de LO.)
Le SWP a organisé des contre-manifestations pour interdire les démonstrations fascistes dans des quartiers ouvriers à forte proportion d’habitants d’origine antillaise et indienne, manifestations qui ont entraîné de violentes bagarres avec la police.
Sur de nombreux points, la politique du SWP est certainement critiquable : par exemple, un dilettantisme organisationnel qui s’est traduit à l’occasion de ces manifestations par l’absence de service d’ordre (3). Mais on ne peut nier que ces manifestations ont rencontré un certain succès dans les quartiers immigrés, en particulier à Lewisham où un millier de jeunes immigrés concernés par la provocation fasciste sont descendus dans la rue aux côtés des manifestants d’extrême gauche, et à Liverpool où plusieurs centaines d’immigrés se sont également mobilisés. Différentes organisations locales (sections syndicales, etc.) ont également été amenées à soutenir ces manifestations.
Mais LO fait feu de tout bois pour minimiser ce succès et va même chercher ses sources dans la presse réactionnaire et celle du PC britannique (tout à fait passif face aux fascistes). Par exemple, LO utilise les déclarations d’un jeune Noir au Guardian selon lesquelles il aurait été manipulé par les gauchistes (Lutte de classe n° 49, p. 25) pour critiquer le SWP. Cette attitude est tout à fait indigne d’une polémique correcte entre révolutionnaires ! LO aurait sans doute bien du mal à l’utiliser sur le sol britannique... Imagine-t-on LO citer une interview d’un lycéen à France-Soir ou au Figaro pour démontrer que la LCR manipule le mouvement étudiant ?!
On peut également demander : A quelle occasion LO a-t-elle mobilisé plusieurs centaines de jeunes d’un quartier, puisqu’elle accuse le SWP de n’avoir mobilisé que quelques centaines de jeunes ? La seule action de LO en matière de lutte antiraciste a été la campagne sur la « vérité de l’assassinat de Béchir » à la suite du meurtre d’un travailleur immigré par un groupe de racistes. Dans un autre numéro de la Lutte de classe, LO a présenté cette campagne comme le modèle à suivre. Ladite campagne n’avait mobilisé que les militants de LO, ceux de quelques autres organisations (dont notre groupe) et les participants actuels des comités locaux : curés, chrétiens et intellectuels de gauche. Il ne s’agit pas de le reprocher à LO, mais son expérience n’est guère suffisante pour faire autorité internationale en la matière.
Un autre argument employé par LO contre le SWP rejoint son attitude générale sur le problème de la violence. Cette manifestation aurait abouti à accentuer la répression contre les travailleurs immigrés du quartier. Il s’agit là d’un vieil argument pacifiste et réformiste : la lutte entraîne une riposte de l’ennemi de classe... donc mieux vaut baisser la tête. En attendant que les immigrés soient massivement auto-organisés et capables de faire face à la répression, LO propose donc la passivité. On peut se demander ce que LO ferait si, par exemple, de manifester à Barbès ou à Gennevilliers contre « l’immigration sauvage » ...
LO et les groupes trotskystes laissent ainsi la place aux maoïstes qui déploient en milieu immigré leur démagogie populiste et nationaliste habituelle.
Notes
1. Nous n’examinons ici que les positions de LO sur ce problème, mais il faut néanmoins signaler que l’OCI n’a pas glissé un seul mot sur les mesures Stoléru dans son hebdomadaire Informations Ouvrières et que la LCR n’a pas non plus fait le moindre effort sur cette question, en dehors d’une série d’articles dans Rouge. 2. 3. Cette critique s’adresse tout autant à la LCR qui avait, elle, appelé à cette manifestation. On peut remarquer d’ailleurs que le contraste était frappant avec la manifestation de la veille contre l’expulsion de Klaus Croissant qui avait attiré massivement sympathisants et militants d’extrême gauche... 4. 5. Une autre question est celle du Front antifasciste large que constitue actuellement le SWP, problème que nous ne traiterons pas ici. 6. Contre le courant n° 2, 1978
Ouvriers contre capitalistes ou « petits contre gros » ?
Contre le courant n° 2, 1978
Sur la question des classes sociales, les révolutionnaires communistes doivent avoir des positions de principe particulièrement claires et tranchées : pour les marxistes, la seule classe révolutionnaire « jusqu’au bout » est la classe ouvrière. Les révolutionnaires doivent donc toujours mettre en avant l’organisation du prolétariat indépendamment des autres classes, montrer les intérêts qui séparent les prolétaires de ces autres classes.
Avec certaines couches sociales, la classe ouvrière peut certes envisager des alliances, à condition qu’elles se fassent sur des bases nettes et sur son propre programme. Mais la première condition est de délimiter clairement les différences de classes. Cela est d’autant plus important dans les pays de vieille tradition démocratique où tout est fait pour noyer les travailleurs dans la masse des « citoyens » et des « électeurs », où règnent comme en France de vieilles traditions guesdistes et jaurésiennes, elles-mêmes héritées du jacobinisme de la révolution française.
La révolution socialiste sera l’affaire de la classe ouvrière, pas celle du « peuple ».
Or, que lisons-nous dans un tract de Lutte ouvrière durant la campagne électorale ? « Lutte ouvrière proclame que tous les travailleurs - et par travailleurs, nous entendons les ouvriers, les employés, les artisans, les petits commerçants, les petits paysans et les femmes, dont on oublie toujours de compter le travail - doivent voter massivement contre la droite pour condamner la politique qu’elle mène depuis vingt ans. »
Toute la propagande qui a accompagné la préparation des élections permet d’être certain qu’il ne s’agit pas d’un glissement accidentel de vocabulaire. Ainsi, LO a consacré un dossier aux cadres que nous allons examiner plus en détails. Il ne s’agit plus là d’une phrase, mais de toute une étude qui doit nous donner la position « de fond » de LO sur la question.
Les révolutionnaires et les cadres
Remarquons en premier lieu que ce dossier ne comprend aucune analyse sur le rôle des cadres dans le système capitaliste et aucune analyse véritable de leur appartenance de classe, mais se contente d’affirmations générales. Essayons donc de suppléer à cette carence.
Pour les marxistes, la division du travail est le fondement de la société en classes. Seules les conceptions les plus grossières du « marxisme » stalinien et social-démocrate se limitent à opposer les « capitalistes qui possèdent les moyens de production » à tous les salariés. Si bourgeois et prolétaires sont les deux classes fondamentales de la société, autour desquelles se polarisent les autres couches au cours des affrontements de classes, de nombreuses couches intermédiaires n’en ont pas moins une existence très réelle.
Depuis bien longtemps, dans les grandes entreprises, les capitalistes ne peuvent plus exercer toutes les fonctions et attributions qui étaient les leurs au début du capitalisme quand le patron travaillait au milieu de ses ouvriers. Marx a expliqué que le capitaliste doit déléguer ses fonctions de surveillance, de direction, d’organisation du travail à des catégories particulières de salariés.
Plus le capitalisme s’est développé, plus la production s’est concentrée, plus ces couches ont augmenté numériquement. Le fait que ces catégories touchent une rémunération sous forme de salaire, qu’elles doivent, elles aussi, vendre leur force de travail, ne doit pas dissimuler leur fonction particulière.
Que lisons-nous dans le dossier de LO (p. 11) ? « Pour notre part, nous affirmons haut et clair que les cadres, ça n’existe pas. »
Pour étayer cette affirmation curieuse, LO nous explique que la notion de « cadre » est une catégorie fourre-tout créée par la sociologie bourgeoise. Certes, les sociologues bourgeois classent volontiers pêle-mêle professeurs, techniciens, etc. Mais cela ne change rien au fait qu’il existe une catégorie particulière de salariés dont la fonction est d’organiser, de surveiller, de diriger le travail des ouvriers. Cette catégorie ne peut pas être assimilée aux diverses catégories de travailleurs qui exercent des travaux distincts, plus ou moins pénibles, plus ou moins qualifiés, mais n’exercent aucune fonction d’organisation, de direction, de répression.
Pour LO (toujours p. 11) : « Ils n’ont pas d’intérêts distincts des autres et ils auraient, eux aussi, tout à gagner à l’émancipation de la classe ouvrière. »
D’une manière générale, tous les hommes - du CRS à l’homme d’affaires et au curé - auraient intérêt à l’émancipation de la classe ouvrière, car celle-ci est porteuse des intérêts généraux de l’humanité... Le problème c’est qu’ils s’y opposent parce qu’ils ont des intérêts immédiats antagonistes à ceux des travailleurs ! C’est le cas également des cadres : leurs privilèges ne reposent pas sur une division entretenue artificiellement par le patron, comme par exemple celle entretenue entre deux ouvriers qui exécutent le même travail et touchent un salaire différent. Les privilèges des cadres reposent sur leur place spécifique dans la division du travail et ils ont intérêt à lutter pour maintenir cette division. Le pouvoir des travailleurs signifierait en effet la remise en cause de leur fonction (et par conséquent des privilèges de toutes sortes qui y sont attachés). Le but de la révolution socialiste est en effet de faire disparaître la division du travail. Cette suppression ne pourra certes se faire du jour au lendemain. Mais pour tous les cadres qui n’ont aucune formation technique utilisable dans une autre société, la révolution signifie être ramenés au niveau du travailleur du rang. Pour les véritables spécialistes qui conserveront inévitablement certains privilèges de savoir dans la division du travail, cela signifiera néanmoins qu’ils devront accepter le contrôle des travailleurs et la perte d’une bonne partie de leurs prérogatives ainsi qu’une baisse du niveau de vie pour une partie importante d’entre eux, qui touchent des salaires élevés.
L’élévation rapide du niveau de connaissance technique des travailleurs entraînera même, à terme, la disparition d’un des fondements de leurs privilèges : le monopole de la possession de certaines connaissances et compétences. Tous les cadres qui ne jouent qu’une fonction de direction, de surveillance et de répression perdront naturellement du jour au lendemain toutes leurs prérogatives...
Les camarades de LO ne pensent-ils pas que cette situation crée pour les cadres des intérêts distincts de ceux des travailleurs qui n’ont, eux, rigoureusement rien à perdre ?
Cela ne rend pas impossible que certains cadres rejoignent individuellement le combat de la classe ouvrière et remettent en cause leur fonction. Mais on ne peut pas espérer gagner massivement ceux qui sont chargés d’organiser l’exploitation de la classe ouvrière.
Comment devons-nous nous adresser aux cadres ? Les travailleurs doivent les inviter à choisir leur camp, mais ils ne doivent pas leur faire de démagogie et se mettre à leur remorque.
LO fait exactement le contraire en écrivant : « Les travailleurs ne doivent pas tomber dans un certain racisme anti-cadres » (sic, même dossier, p. 11). L’hostilité des travailleurs à l’égard des cadres a pour base l’expérience quotidienne des travailleurs : elle s’adresse aux agents directs de leur exploitation. LO le sait parfaitement : ses bulletins d’entreprises n’ont pas pour habitude d’être particulièrement tendres avec les cadres.
Mais LO va encore plus loin en écrivant (à propos du problème de la hiérarchie des salaires) : « Le problème n’est pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul. » C’est là l’argument traditionnel des staliniens pour s’opposer aux augmentations égales pour tous, qui aboutiraient à diminuer le salaire réel des cadres du fait de l’inflation.
Derrière ces positions, il y a l’idée qu’il faut s’en prendre au seul véritable responsable, au seul véritable ennemi : le patron-propriétaire-privé-capitaliste actionnaire et, à la rigueur, à quelques très hauts cadres (qui ont, eux aussi, généralement en poche leur petit paquet d’actions). Cette conception ressortait encore nettement dans la campagne électorale de LO avec l’accent mis sur la dénonciation des « gros comme le baron Empain ».
Mais le capitalisme ne se limite pas à un peuple de travailleurs et quelques sangsues capitalistes : c’est tout un système, et c’est ce système qu’il faut abattre. Ce qui sera d’ailleurs beaucoup plus difficile que d’exproprier Empain ou Dassault ! Pour LO, le capitalisme se limite à la propriété privée individuelle : LO refuse de voir qu’aujourd’hui le capitalisme sécrète de très nombreuses couches de salariés qui appartiennent à la bourgeoisie ou à la petite bourgeoisie. S’ils sont rémunérés sous forme de salaire, ils n’en vivent pas moins de la plus-value extorquée sur le dos des travailleurs et ont intérêt à l’accentuation de l’exploitation des travailleurs qui les font vivre.
Mais de telles positions sont également à rapprocher d’un certain mythe du spécialiste qui règne à LO, et des conditions dans lesquelles sont éduqués les militants de LO. A force de vanter la compétence de ses propres cadres, d’inciter ses militants et sympathisants au respect de ses dirigeants, de pousser en son sein la division entre spécialistes qui dirigent et exécutants qui font confiance, comment LO ne finirait-elle pas par vanter les mérites de certains aspects de la division du travail capitaliste sur laquelle elle prend modèle et par justifier la fonction des cadres en général ?...
Contre le courant n° 2, 1978
Les révolutionnaires et les élections européennes
Combat communiste, 20 mai 1979
Une fois de plus, on nous appelle à mettre un bulletin dans l’urne. Cette fois-ci, il s’agit de désigner les politiciens qui siégeront sur les bancs du Parlement européen. D’une manière générale, les travailleurs ne peuvent pas espérer le changement de leur sort, ni même une amélioration véritable de leurs conditions de vie par le bulletin de vote, et les élections ont pour but de nous mystifier, de nous faire croire que nous sommes maîtres de notre sort, alors que les véritables leviers du pouvoir sont aux mains non du Parlement mais des dirigeants des grandes entreprises capitalistes, des technocrates d’État, des chefs de l’armée et de la police qui demeurent en place, quelle que soit la couleur du gouvernement. Quant au Parlement européen, sa fonction essentielle, en dehors de son rôle mystificateur, sera de permettre des marchandages entre les capitalistes européens.
Les grands partis de droite et de gauche qui se présentent aux suffrages des électeurs essaient d’utiliser ces nouvelles joutes électorales pour renforcer leurs positions par rapport à leurs concurrents et se lancent réciproquement les pires accusations. Mais ce qui les caractérise tous, au-delà de leurs polémiques, c’est que tous entendent gérer le système capitaliste en crise, tous proposent une politique à la bourgeoisie pour essayer de surmonter cette crise. Les uns en préconisant la collaboration des trusts européens, les autres en revendiquant des mesures nationalistes et protectionnistes pour sauvegarder les intérêts de ceux des capitalistes qui seraient lésés par la concurrence internationale.
Entre ces deux politiques, entre ces deux façons de gérer le système - et inévitablement de nous en faire supporter les frais, car il n’existe aucun moyen d’éviter les conséquences de la crise, c’est-à-dire la misère et le chômage dans le cadre du système capitaliste - les travailleurs n’ont pas à choisir.
Ces deux politiques sont aussi néfastes l’une que l’autre aux intérêts des travailleurs qui consistent à s’unir par-delà les frontières nationales aussi bien contre les coalitions internationales que peuvent conclure leurs exploiteurs, que contre les tentatives de leurs Etats nationaux de les embrigader dans la guerre économique aujourd’hui, dans la guerre tout court demain, en essayant de leur faire croire qu’ils ont des intérêts communs avec les capitalistes. Nous n’avons donc à cautionner, même par un bulletin de vote sans portée, ni les partisans de l’Europe des trusts, ni ceux du chauvinisme tricolore.
Le cartel LO-LCR
A côté des grands partis, deux organisations trotskystes - la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière - ont décidé de présenter des candidats et de mener une campagne qu’ils affirment internationaliste.
On peut constater en premier lieu que c’est à l’occasion d’élections que ces organisations qui, sur le terrain des luttes, ne parviennent pas à se mettre d’accord pour mener la moindre action ou campagne commune (soutien aux travailleurs immigrés, aux manifestants emprisonnés, ou aux révoltes des ouvriers de Denain et de Longwy) sont parvenues à réaliser l’unité ! Cela est déjà significatif d’une certaine dose d’électoralisme...
Les aspects internationalistes de leur plate-forme commune ne peuvent masquer par ailleurs les autres faces de la politique de ces groupes.
D’une part - et c’est pour nous une question fondamentale -, ces organisations, dans la mesure où elles accordent un soutien, même critique, à l’impérialisme russe (qualifié par elles d’« Etat ouvrier dégénéré ») ne peuvent être pleinement considérées comme internationalistes. Ce soutien à l’État capitaliste russe s’est clairement affirmé au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans la mesure où les trotskystes n’ont pas renoncé à la « défense de l’URSS », cela signifierait qu’en cas de nouvelle guerre mondiale, ils se rangeraient derrière un des camps impérialistes en présence, au mépris de l’internationalisme.
Ce soutien à des Etats bourgeois contre d’autres s’est d’ailleurs largement confirmé depuis : soutien de la LCR à divers Etats nationalistes bourgeois du tiers monde (Cuba, Chine, Vietnam, etc.), qualifiés par elle d’« ouvriers » ; soutien de l’Egypte contre Israël lors des guerres du Moyen-Orient (position partagée par LO), et plus récemment soutien au Vietnam contre la Chine (position également partagée par LO).
Sur un autre plan, la LCR a, de son côté, déjà nettement annoncé qu’elle ferait campagne sur ses propres positions et en particulier (même si elle affirme ne pas en faire l’axe fondamental de sa campagne) contre l’entrée de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal dans le Marché commun (1).
La LCR affirme également qu’elle fera campagne pour un « gouvernement du PCF et du PS » - ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la présente campagne pour les élections européennes, mais conduit à renforcer les illusions des travailleurs dans ces deux partis, en dépit de la dénonciation de leur politique que fait par ailleurs la LCR dans la plate-forme commune.
Quant à LO, en admettant qu’elle ne mette pas son drapeau dans sa poche, dans un but électoraliste, comme elle l’a fait aux élections législatives, cette attitude aujourd’hui ne pourrait pas nous faire oublier la campagne électoraliste, populiste et opportuniste d’hier. Une telle campagne indiquerait seulement que LO se permet de mener une campagne plus « rigoureuse » quand personne ne s’intéresse aux élections que lorsqu’elle peut espérer bénéficier d’une petite audience voire grappiller un siège de député...
De plus - et en laissant de côté les points fondamentaux de programme exposés plus haut qui nous séparent des trotskystes - c’est là une question déterminante : il ne suffit pas de proclamer, le temps d’une campagne électorale, que « les travailleurs n’ont pas de patrie » pour être véritablement internationaliste !
Lutte ouvrière comme la LCR consacrent aujourd’hui des moyens militants et financiers considérables pour une campagne électorale, alors que ces organisations n’ont pas fait le moindre effort pour mobiliser sérieusement - ne serait-ce que leurs propres militants et sympathisants - pour mener campagne commune contre les mesures Stoléru ou pour essayer de développer la solidarité à l’égard du plus important mouvement autonome d’une fraction d’ouvriers immigrés, qui se soit développé depuis longtemps dans ce pays : la grève des foyers Sonacotra, et elles ont ainsi failli au devoir internationaliste le plus élémentaire.
La participation des révolutionnaires aux élections peut parfaitement se justifier dans certaines circonstances, mais, face à la crise actuelle, à la montée du chômage, aux révoltes des ouvriers de Denain, de Longwy, et celles moins connues et moins spectaculaires de nombreux autres secteurs de la classe ouvrière acculés au désespoir et laissés sans perspective, il nous semble que les importants moyens que requiert une telle participation pourraient être mieux employés ; force est de constater que la réservation d’un tel effort pour des élections, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne passionnent guère - et à juste titre ! - les travailleurs, n’est pas seulement une erreur tactique, mais la poursuite d’une ligne politique fondamentalement erronée. Même si ces organisations peuvent, au cours de cette campagne, affirmer certains principes avec lesquels nous pouvons être en accord complet ou partiel (il n’est même pas certain que ces principes seront affirmés de façon intransigeante), il ne nous semble donc nullement utile de prendre position en faveur des candidats de LO et de la LCR, quelles que soient les différences profondes qui existent entre la gauche réformiste et la coalition LO-LCR qui la dénonce sans pour autant offrir une véritable alternative internationaliste.
1. Les sections de la Quatrième Internationale en Grèce, en Espagne et au Portugal prétendent que le Marché commun et le Parlement européen renforceront la répression patronale et policière contre les travailleurs. Nous ne croyons pas que les institutions prétendument supranationales donnent à la bourgeoisie des moyens qualitativement supérieurs de s’attaquer à la classe ouvrière. Nous, révolutionnaires, n’avons de toute façon pas à prendre position sur le choix entre adhésion et non-adhésion au Marché commun. A la bourgeoisie de décider quelle est sa meilleure forme d’organisation, à la classe ouvrière de combattre tous ces plans. Les sections de la Quatrième Internationale en Espagne, au Portugal, en Grèce cherchent peut-être à gagner la sympathie de certains secteurs des PC ou des PS de ces pays hostiles au Marché commun. Mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que le principal résultat de cette tactique sera de laisser intacts les préjugés chauvins entretenus par les réformistes et les staliniens dans la classe ouvrière. 2.
LO, le PCF et les immigrés :
Autopsie d’un virage
15 février 1981
Nous avons déjà, à deux reprises, critiqué dans Combat communiste l’attitude du groupe trotskiste Lutte ouvrière, face à la campagne du PCF contre l’immigration dans les municipalités qu’il dirige. Le récent virage de cette organisation nous incite à revenir sur cette question.
Le 8 novembre 1980, l’hebdomadaire Lutte ouvrière publiait un article intitulé « Suffit-il d’être un ennemi du PCF pour être un ami des immigrés ? » Cet article apportait une véritable caution au PCF, crédité de « mettre les municipalités de droite au pied du mur ». Le journal Libération était violemment attaqué pour avoir dénoncé la politique du PCF visant à limiter l’installation d’immigrés dans « ses » communes.
Il ne s’agissait pas d’une « bavure » du rédacteur de LO. Dans Lutte de classe - mensuel théorique de LO - du 22 décembre 1980, paraissait une mise au point consécutive au congrès de LO affirmant : « sur le fond, nous ne pouvons pas le critiquer [le PCF] car ce qu’il dénonce est valable et fondé ». (...) « Nous ne nous associerons pas aux critiques. » (...) « Le pire c’est lorsque ces critiques viennent des milieux gauchistes qui participent ainsi, volontairement ou non, à des attaques électoralistes contre le PCF au profit du Parti socialiste. »
Manque de chance pour LO, deux jours après la parution de Lutte de classe, survenait l’affaire de Vitry, le maire Mercieca (PCF) de la ville organisait son commando au bulldozer contre un foyer de Maliens.
La semaine suivante, le 5 janvier 1981, Lutte ouvrière sortait un éditorial de ses bulletins d’entreprise attaquant violemment le PCF mais où on pouvait tout de même lire : « le PCF n’a peut-être pas tort sur le fond ». « Peut-être » seulement... Visiblement, le rédacteur de LO ne se sentait pas très à l’aise et cette réserve semble avoir eu pour but de ne pas avoir l’air d’effectuer un virage trop brusque... Mais la dénonciation du PCF par LO permet de s’interroger : LO roulerait-elle pour le PS, comme elle en accusait si fort les « gauchistes » qui l’avaient devancée ?
Le 20 janvier 1981, paraissait le numéro suivant de Lutte de classe, voulant présenter une analyse complète de la politique du PCF par rapport à l’immigration. LO reconnaît dans cet article que le PCF fait du « poujadisme ouvrier » et que « des manifestations comme celle organisée à Vitry ne peuvent être que des gestes d’encouragement à des gestes de brutalité contre les immigrés ». LO y explique que le PCF cherche à gagner des voix en jouant sur les préjugés d’une partie des travailleurs et « désigne l’immigration comme responsable du chômage ». (Quelques jours plus tôt encore, les militants de LO expliquaient comme un seul homme que dire cela était tout à fait faux...).
Toutefois, pour avoir effectué un virage à 180°, LO n’a pas pour autant adopté une politique claire et correcte. Ainsi, on peut lire, dans le même numéro de Lutte de classe des félicitations à Lucien Lanternier, maire PCF de Gennevilliers, qui a demandé le report de la vente d’un groupe d’immeubles à Neuilly pour y reloger des immigrés de Gennevilliers.
« Ce n’est pas la pire des initiatives prises par un maire PCF, bien au contraire. La seule chose qu’on puisse regretter est que ce type d’initiative soit resté isolé. »
Autrement dit, LO s’efforce d’opposer les « bons maires » du PCF comme Lanternier aux « mauvais » comme Mercieca. Lanternier (qui a approuvé son collègue Mercieca de Vitry au cours d’une réunion générale des maires du PCF) rirait bien s’il tombait sur l’article de LO ! Sa politique et celle des autres maires constituent une seule et même politique : la démarche à l’égard de Neuilly ne constituait qu’un geste démagogique sans suite, un alibi.
C’est ce que LO ne comprend pas, à moins qu’elle fasse semblant de ne pas le comprendre pour tenter de justifier sa propre attitude et sa caution apportée dans un premier temps à la politique du PCF. Mais en réalité, entre la démarche de Lanternier et l’attaque de Mercieca, il n’y a pas eu de modification de la politique du PCF : il suffisait de se tenir au courant pour savoir que, dans de nombreuses municipalités du PCF, une discrimination était déjà pratiquée depuis un certain temps. La seule chose nouvelle est l’ampleur donnée par le PCF à cette campagne. Cette ampleur a visiblement surpris LO qui sous-estimait sans doute les possibilités du PCF de se lancer dans une telle campagne en flattant aussi ouvertement le racisme. LO était en tout cas plus soucieuse de se démarquer des autres « gauchistes » et de flatter les sentiments anti-PS des militants du PCF que de se préoccuper du sort des travailleurs immigrés et de l’attitude réelle du PCF à leur égard.
Non seulement LO continue à cautionner en partie le PCF tout en le dénonçant, mais LO, pour la première fois, tente d’exposer ses propres positions de principe sur l’immigration, affirmant qu’elle se refuse à revendiquer la liberté de l’immigration.
LO ne revendique que « l’égalité des droits » comme le PCF d’ailleurs... Il s’agit là visiblement d’une nouvelle concession de LO aux réformistes et au PCF pour se placer sur son terrain. LO se trouve bien loin des positions internationalistes qui étaient celles des militants communistes en France, avant la contre-révolution stalinienne.
Ainsi, la CGTU, dirigée essentiellement par des militants communistes, écrivait en 1922 :
« Nul ouvrier révolutionnaire ne saurait s’élever contre les mouvements migratoires. Les migrations constituent un phénomène naturel et nul ne peut nier le droit à l’émigration pour les hommes chassés du sol natal par le chômage, la misère ou les convulsions politiques. »
En 1919, avant la scission entre la CGT et la CGTU, la CGT (qui n’était pourtant pas majoritairement « révolutionnaire » ) avait proposé une charte internationale en 1919 demandant que « les interdictions soient abrogées. Les interdictions d’immigration seront abrogées en règle générale. »
LO est donc en retrait sur les syndicalistes internationalistes de 1919 et 1922... Cette attitude de LO, au-delà de son erreur d’appréciation sur l’importance de la campagne du PCF, est significative :
de l’indifférence de LO vis-à-vis de la fraction immigrée de la classe ouvrière,
du caractère opportuniste de cette organisation qui change de positions sans s’en expliquer et procéder à une autocritique publique,
du suivisme qui y règne : comment expliquer que les militants de LO aient accepté sans broncher la caution apportée au PCF et puis sa dénonciation le lendemain ?
de l’opportunisme de LO vis-à-vis du PCF et de son abandon des positions internationalistes élémentaires de principe vis-à-vis de l’immigration.
Combat communiste n°65, 15 février 1981
L’extrême gauche et les présidentielles
20 avril 1981
Au-delà de leurs consignes de vote, le contenu de la campagne électorale menée par les différentes organisations d’extrême gauche est significatif de la politique de ces organisations qui se réclament de la classe ouvrière et du socialisme. Nous n’examinons ici que les positions des trois principales organisations trotskystes : l’OCI, la LCR et Lutte ouvrière.
Battre Giscard ce n’est pas battre la bourgeoisie
Un thème essentiel est commun à l’OCI et à la LCR : « Il faut battre Giscard », disent-elles, bien que les conclusions pratiques diffèrent. Ces deux organisations réclament « un gouvernement PC-PS », qu’elles qualifient de « gouvernement ouvrier ». Pour ces deux organisations, la défaite électorale de la gauche serait un préalable indispensable à une riposte ouvrière à la crise. « Battre Giscard, c’est déblayer la voie à l’action indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse », écrit le journal de l’OCI, Informations Ouvrières n° 994, citant un discours de Pierre Lambert. « Le maintien de Giscard au pouvoir aurait comme conséquences immédiates l’impossibilité de se faire soigner pour les personnes âgées sans ressources, pour les chômeurs. Giscard ce sont plus de deux millions de chômeurs, c’est la baisse du pouvoir d’achat, ce sont les régions dévastées, les scandales, etc. », écrit encore Informations Ouvrières.
En personnalisant ainsi cette dénonciation, l’OCI dissimule le fait qu’il s’agit là de conséquences de la crise du capitalisme et non seulement d’une « mauvaise politique » de l’équipe Giscard. L’OCI, comme la LCR, identifie la bourgeoisie et les politiciens de droite. Giscard, Barre, Chirac et Cie sont sans aucun doute des représentants du patronat et des bourgeois eux-mêmes, mais les hommes de gauche comme Mitterrand que l’OCI et la LCR veulent envoyer les relayer sont tout autant des politiciens bourgeois. Mitterrand l’a d’ailleurs largement prouvé par son passé, en participant à plusieurs gouvernements de la Quatrième République. Battre Giscard apporterait peut-être une certaine satisfaction aux travailleurs qui en ont assez de le subir, mais cela ne représenterait en aucune façon une défaite de la bourgeoisie. Celle-ci serait tout aussi bien représentée par un Mitterrand que par un Giscard. Le principe de la démocratie bourgeoise consiste d’ailleurs justement, pour la classe dominante, à disposer en permanence d’équipes de rechange susceptibles de prendre la relève quand celles qui gouvernent sont usées et ne sont plus crédibles. En dissimulant cela, l’OCI comme la LCR contribuent à entretenir les illusions des travailleurs sur les politiciens de gauche.
La victoire de la gauche : un préalable à l’action ouvrière ?
Bien entendu, ces organisations, même si elles le dissimulent, savent parfaitement que Mitterrand est un politicien bourgeois au même titre que Giscard. Mais leur « tactique » consiste à tabler sur le fait qu’une arrivée de la gauche au pouvoir débloquerait la situation en encourageant les travailleurs à imposer leurs revendications, qu’un pouvoir de gauche ne serait pas en mesure de s’opposer de la même façon que la droite à ces revendications. L’exemple le plus fréquemment mis en avant pour justifier ce raisonnement est celui des grandes grèves de 1936 et de la victoire électorale du Front populaire. Il dissimule le fait que les luttes ont largement précédé la victoire électorale, que la fonction du gouvernement Blum a justement été d’endiguer les grèves et qu’il y est parvenu avec succès, au prix de concessions, grâce à son audience dans la classe ouvrière. Etre capable, si besoin est, de jouer un rôle un peu comparable est d’ailleurs un des thèmes de campagne de Mitterrand qui se présente comme le seul capable d’éviter une « explosion sociale » et (mais cela, il ne le dit pas ouvertement et publiquement) de faire accepter la crise et ses conséquences aux travailleurs.
Mais, de toute façon, l’expérience montre qu’une victoire de la gauche n’entraîne pas nécessairement une remontée des luttes. En 1956, par exemple, une majorité de gauche a été élue au Parlement après avoir fait campagne sur le thème de la paix en Algérie. Cela n’a pas empêché le gouvernement « socialiste » de Guy Mollet d’intensifier la guerre et d’envoyer le contingent en Algérie sans pour autant que la classe ouvrière se dresse pour s’y opposer. Inversement, de grands mouvements de grève ont été menés contre des gouvernements de droite : la grève de 1953 et surtout celle de mai 1968 !
Une victoire de la gauche peut même, dans certaines circonstances, aboutir à des effets inverses de ceux escomptés par l’OCI et la LCR : démoraliser les travailleurs quand ils voient leurs espoirs déçus une fois de plus.
Une victoire électorale n’est donc ni une condition suffisante, ni même une condition nécessaire pour que s’engage une riposte ouvrière à la crise. Les élections, quels que soient leurs résultats, ne sont toujours que des péripéties secondaires qui comptent moins qu’une grève victorieuse. Tout miser sur les élections présidentielles, comme le font la LCR et l’OCI, c’est cacher aux travailleurs que leur sort dépend d’eux et uniquement d’eux, et non du bulletin de vote, des accords que peuvent passer entre eux les politiciens de gauche ou du remplacement d’un président de la République par un autre.
Les critiques de la LCR et de l’OCI à l’égard des partis de gauche se limitent d’ailleurs à leur reprocher de ne pas faire assez pour remporter une victoire électorale. C’est ici que leurs tactiques divergent : l’OCI, après avoir fait campagne pour un « candidat unique » PCF-PS au premier tour, appelle maintenant à voter dès le premier tour pour Mitterrand qu’elle présente comme le « candidat ouvrier le mieux placé », alors que la LCR se veut l’arbitre impartial entre le PCF et le PS, et axe sa campagne pour le désistement en faveur du mieux placé mais... seulement au second tour.
L’OCI est ainsi fidèle à sa politique de suivisme sans nuance à l’égard de la social-démocratie, politique qu’elle mène depuis des années aussi bien en France que dans d’autres pays. Cette politique relève beaucoup moins d’une analyse erronée que des liens concrets que l’OCI a pu nouer avec l’appareil social-démocrate (en France, au travers du syndicat Force ouvrière, où les militants de l’OCI votent, par exemple, régulièrement le rapport de Bergeron, au travers de syndicats d’enseignants, etc.). Elle est également liée à l’influence et à l’intervention de l’OCI dans certains milieux enseignants et étudiants, par exemple, où l’influence de la sociale-démocratie est particulièrement forte.
La LCR s’est faite, elle, un des principaux promoteurs du mouvement « d’Union dans les luttes » qui table sur la nostalgie de certaines franges de militants du PCF, du PS et des syndicats par rapport à l’Union de la gauche.
Ajoutons que, ni dans la campagne de la LCR, ni dans celle de l’OCI, on ne trouve la moindre trace de dénonciation de la farce électorale, pas plus que ces organisations ne parlent du socialisme, de la révolution et du pouvoir de la classe ouvrière.
Lutte ouvrière à la pêche aux voix.
Par rapport aux autres organisations trotskystes, Lutte ouvrière ne laisse certes pas planer d’illusions sur le rôle que joueraient un gouvernement de gauche et Mitterrand s’il accédait à la présidence de la République. Pourtant, au cours des dernières semaines, une évolution de l’attitude de LO peut être notée. Alors que, pendant une période, cette organisation a suivi l’évolution du PCF et s’est même alignée sur lui (par exemple à propos de sa campagne contre les immigrés, du moins au début [pour plus de détails, on lira les deux articles « LO face aux mesures Stoléru » et « LO, le PCF et les immigrés : autopsie d’un virage » dans ce numéro, Ni patrie ni frontières], elle semble, bien que plus hypocritement, vouloir, comme la LCR, jouer sur les illusions des militants et des travailleurs qui reprochent au PCF de nuire à la victoire de Mitterrand.
Arlette Laguiller devait déclarer à TF1, dans l’émission « Face au public », que, « contrairement à celle de Marchais, sa candidature n’avait pas pour but de faire obstacle à celle de Mitterrand », tout en refusant par ailleurs de se prononcer sur son attitude au second tour.
Mais, c’est essentiellement sur un autre terrain que se manifeste l’opportunisme de Lutte ouvrière. Une fois de plus, cette organisation a décidé de partir à la pêche aux voix et de récolter le plus de suffrages possible, quitte à dissimuler une grande partie de son programme et faire des concessions inacceptables aux préjugés de la population.
La candidature d’Arlette n’est pas présentée comme une candidature révolutionnaire, mais simplement comme celle d’une travailleuse révoltée contre les « injustices » (même pas contre l’exploitation...), qui « dit la vérité », emploie « le franc-parler d’une femme du peuple » et « défend toutes les femmes » (de la bourgeoise à l’ouvrière ?). Il s’agit pour LO de promouvoir le produit Arlette en employant les techniques de marketing électoral des « grands candidats », en accentuant son image de marque de petite femme courageuse qui leur dit « leurs quatre vérités ». Pas plus que les deux autres organisations trotskystes, LO ne parle de socialisme, de révolution, de pouvoir des travailleurs (principes qu’elle conserve sans doute pour ses brochures théoriques et les discours de la fête de LO...). Il fallait entendre Arlette à TF1 observer un silence prudent et détourner la discussion, quand son interlocuteur lui demandait si, justement, il ne serait pas plus franc de reconnaître que sa candidature était une « candidature révolutionnaire ».
Sur d’autres points, Lutte ouvrière s’aligne également sur les préjugés de la population :
• Sur la question de la police, LO s’aligne de plus en plus ouvertement sur les positions du PCF qui consistent à revendiquer une « bonne police » et des « îlotiers » dans les cités ouvrières pour protéger les honnêtes travailleurs contre les voyous. A une question de TF1, Arlette Laguiller ne répondait-elle pas qu’elle était partisane d’une augmentation des effectifs de la police, à condition qu’ils soient utiles à protéger les travailleurs : « Je vais étonner, eh bien, je suis pour l’augmentation du nombre des policiers. Mais il faut qu’ils soient plus prêts de la population » (cité par Rouge, l’organe de la LCR, et non démenti par LO). • • Sur la question de l’armée, l’attitude d’Arlette Laguiller n’a pas été moins équivoque. Elle a certes affirmé que « l’armée est prête à lutter contre le peuple français », mais en multipliant les expressions équivoques et ambiguës du genre : « En 1940, ça ne nous a pas servi à grand-chose d’avoir payé des généraux » ; ou [en déclarant que], face à un « envahisseur étranger », ce serait le peuple qui se battrait, elle s’est gardée en fait de heurter de front les préjugés nationalistes sur la défense nationale, la Résistance, la guerre impérialiste (alors que LO est justement une des rares organisations trotskystes à avoir dénoncé le rôle de la « Résistance » au service de la bourgeoisie et de la guerre impérialiste). • Sur tous les sujets délicats, Arlette Laguiller évite de se prononcer clairement : par exemple, pour juguler le chômage, elle se contente de déclarer que le budget militaire suffirait à donner du travail aux chômeurs (comme si une telle « solution » était possible dans le cadre du système capitaliste !), sans expliquer que seule la révolution et le renversement du capitalisme peuvent mettre fin au chômage. La suppression du budget militaire présentée de cette façon ne peut apparaître que comme une proposition complètement utopique et relevant de l’idéalisme pacifiste.
De toute évidence, Lutte ouvrière a choisi d’essayer de récolter le maximum de voix d’électeurs mécontents du PCF ou du PS (ou de mécontents tout court) en évitant de heurter leurs préjugés.
Elle s’affirme d’ailleurs comme la « candidate des travailleurs, des petits commerçants, des petits paysans, de tous les gens du peuple ».
Un tel choix tourne le dos aux principes révolutionnaires qui font de l’élévation du niveau de conscience des travailleurs un objectif prioritaire sans considération des résultats électoraux. Ces résultats électoraux seront d’ailleurs d’autant moins significatifs que les suffrages d’Arlette Laguiller se seront portés sur une contestataire qui n’a pas sa langue dans sa poche et non sur une révolutionnaire qui propose à la classe ouvrière de s’organiser pour abattre le capitalisme.
Le mythe réformiste de la relance par la consommation
« Mitterrand ne veut pas toucher aux 100 milliards du budget militaire pour avoir de quoi financer un plan valable contre le chômage, c’est-à-dire augmenter la consommation pour arriver enfin à vendre tout ce qu’on produit » (tract de LO)
Comme s’il suffisait de répartir autrement le budget de l’État pour mettre fin à la crise du capitalisme !
Combat communiste n° 67, 20 avril 1981
Les listes LO-LCR : une coalition électoraliste et opportuniste
Pour les lecteurs d’aujourd’hui, précisons que le Parti des travailleurs, celui dont les candidats aux présidentielles ont été successivement Pierre Boussel (alias Pierre Lambert), Daniel Gluckstein et Gérard Schivardi, s’est appelé l’OCI, le PCI, puis le MPPT avant de prendre le nom actuel de PT. Pour plus de précisions, on se reportera à l’article de Karim Landais dans ce numéro. Ni patrie ni frontières.
20 février 1983
Deux organisations trotskystes, la LCR et LO, se sont alliées pour présenter des listes communes aux élections municipales. Se présenter aux élections est une tactique traditionnelle des révolutionnaires - préconisée par la Troisième Internationale et Lénine - pour faire pénétrer leurs idées dans la population, se servir de la tribune électorale dans une période où l’on s’intéresse parfois un peu plus à la politique que d’habitude. Nous ne reprochons donc pas à ces organisations le fait, en soi, de se présenter. Le tout est de savoir pour défendre quel programme, quelle politique ?
Dénoncer clairement le gouvernement
comme un gouvernement bourgeois !
Dans la situation actuelle, où un gouvernement des partis de gauche a la charge de gérer le système capitaliste, un des points essentiels pour juger des organisations qui se disent révolutionnaires est l’attitude par rapport à ce gouvernement. L’avantage d’un gouvernement de gauche, pour la bourgeoisie, est en effet qu’il bénéficie d’une crédibilité parmi les travailleurs, de liens avec les syndicats qui lui permettent de faire accepter sans riposte des mesures qui passeraient beaucoup plus difficilement avec un gouvernement de droite. On l’a vu, par exemple, avec les mesures contre les chômeurs : Giscard n’avait jamais été aussi loin.
Il est donc extrêmement important de se montrer très clair sur la nature bourgeoise d’un tel gouvernement, d’expliquer qu’on doit le combattre et revendiquer face à lui de la même façon qu’avec un gouvernement de droite, de répéter qu’un gouvernement bourgeois de gauche est capable d’attaques anti-ouvrières tout aussi dures. Il faut souligner que tout gouvernement, dans le cadre des institutions et de l’État bourgeois, est amené à s’attaquer aux travailleurs, qu’il ne peut exister de « bon » gouvernement dans le cadre de l’État bourgeois, qu’un « gouvernement ouvrier » ne peut naître que sur la base d’une révolution socialiste qui implique la destruction de l’État bourgeois, la naissance d’organismes de pouvoir ouvrier : conseils d’usine, de quartier ou soviets (nom de ces comités pendant la révolution russe de 1917).
Le programme trotskyste,
source de l’opportunisme de LO et de la LCR
Or, le programme trotskyste dont se réclament la LCR et LO n’est pas du tout clair sur cette question, au contraire ! Le Programme de transition, écrit par Trotsky en 1939, met en avant le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier » dans le cadre des institutions bourgeoises. Il s’agirait de pousser, selon Trotsky, les grands partis de gauche à constituer un gouvernement qui ne serait plus capitaliste, mais pas encore socialiste (cf. notre brochure Critique du programme de transition).
C’est de cette politique que s’inspirent systématiquement la LCR et le PCI (ex-OCI) qui, avant les élections, réclamaient un gouvernement PC-PS, et, après les élections, pratiquent une politique de soutien critique au gouvernement en lui demandant de prendre un certain nombre de mesures favorables aux travailleurs, par exemple les nationalisations sans indemnités, les 35 heures sans réduction de salaire, etc. LO a suivi jusqu’ici une politique un peu différente, mais a toujours souligné qu’il s’agissait d’une divergence tactique avec la LCR. Dans d’autres circonstances, LO envisagerait de soutenir le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier » dans le cadre de l’État bourgeois (LO l’a précisé dans la Lutte de classe, son mensuel théorique).
Dans ses critiques du gouvernement, LO a par exemple exposé (dans un discours d’Arlette Laguiller) ce que ferait un « bon » gouvernement de gauche : réduction des dépenses d’armement au profit des dépenses de logement et de santé, etc. Cela sous-entend qu’il puisse exister un tel gouvernement, ce qui est démenti par toute l’expérience historique. Cette position est grave : elle induit les travailleurs en erreur en leur laissant croire qu’un tel « bon gouvernement de gauche » est possible. Dès lors, on débouche ici logiquement sur les positions actuelles de la LCR et du PCI (ex-OCI). Il suffirait peut-être d’améliorer le gouvernement de gauche, de l’épurer de ses éléments les plus marqués à droite (Delors, par exemple, cible privilégiée du PCI), de le conseiller, de le pousser à gauche. En l’absence de positions théoriques claires et correctes sur cette question, il est donc compréhensible que LO - qui se veut plus radical par rapport au gouvernement - n’ait pas été gênée par un compromis avec la LCR qui ne définit pas clairement la nature du gouvernement actuel comme un gouvernement bourgeois.
Mauroy, moins bourgeois que Barre ?
Qu’on en juge : le texte commun LO-LCR reconnaît certes que le gouvernement sert actuellement les intérêts de la bourgeoisie (ce qu’il est difficile de ne pas voir, même pour un aveugle !), mais il précise : « les capitalistes se réjouissent (...) des concessions qu’on leur fait pour en demander plus et préparer les conditions de retour au gouvernement de leurs fondés de pouvoir » (la droite, note de Combat communiste).
On croit rêver ! Ne s’agirait-il que de simples « concessions » et non d’une politique logique et cohérente de défense des intérêts capitalistes et surtout Mitterrand, Delors, Mauroy et Fiterman ne seraient-ils pas autant aujourd’hui les « fondés de pouvoir » de la bourgeoisie que Barre et Giscard et Chirac hier ?
Un autre passage du texte souligne que le PC et le PS ont entre les mains « la majorité du Parlement et des pouvoirs considérables ». Cela est une constatation favorite de la LCR qui en tire argument pour demander à cette majorité de gauche de voter des lois favorables aux travailleurs, ce que n’a pas fait LO. En filigrane, c’est bien cette position qui est défendue dans ce texte commun. Sinon, pourquoi mentionner ce fait ?
En réalité, ce texte établit bien une différence qualitative entre le gouvernement actuel de gauche et les gouvernements de droite. Même s’il semble que la LCR ait un peu élevé le ton par rapport au gouvernement - depuis les dernières mesures -, sur le fond, sa politique est toujours la même et, en se rapprochant de la LCR, LO a infléchi ses positions dans ce sens.
Un accord électoraliste
Au-delà des bases programmatiques communes entre LO et la LCR, cet accord est d’ailleurs un compromis de type opportuniste et électoraliste. LO critiquait jusqu’ici de façon virulente la politique de soutien critique de la LCR au gouvernement (même si cet opportunisme a des bases dans le programme trotskyste dont LO se revendique) ; et voilà que LO s’allie à la LCR, que le texte ne mentionne même pas leurs divergences et le fait que la LCR considère le vote pour la gauche au second tour comme un « vote de classe », alors que LO va s’abstenir ! Tout cela, dans le but de présenter davantage de listes et d’avoir plus de suffrages. Qu’on allie ses forces dans l’action, entre organisations ayant des divergences, est légitime quand il s’agit de faire triompher des revendications ouvrières, d’avancer sur un terrain de classe, de renforcer les positions des travailleurs. Mais sur le terrain électoral, il ne s’agit pas d’une lutte : le seul intérêt de la participation aux élections est de défendre des idées claires. Or, on retrouve ici la préoccupation électoraliste de LO : noyer son programme, diluer ses idées pour obtenir plus de voix, pour se donner un semblant d’existence officielle à l’échelle nationale, qui ne correspond à aucune lutte.
On peut d’ailleurs se demander quel sera le contenu de la campagne des colistiers LO-LCR : on sait qu’au cours des campagnes précédentes LO avait par exemple préféré s’adresser à « toutes les femmes » ou aux petits commerçants plutôt qu’aux travailleurs immigrés qui ne votent pas, toujours dans l’espoir, vain, d’obtenir des succès électoraux.
Aujourd’hui, il s’agit de recueillir le maximum de voix sur des listes dénonçant l’austérité. Les travailleurs qui se prononceront pour ces listes pourront en effet se démarquer par rapport à la gauche officielle, mais ils pourront le faire sans voter pour des organisations qui dénoncent clairement la nature bourgeoise du gouvernement et des partis de gauche. Le pas sera plus facile à franchir mais l’équivoque entretenue pourra être lourde de confusions et de nouvelles illusions dans l’avenir.
Combat communiste, 20 février 1983
Aux élections municipales l’extrême gauche n’a pas mordu sur le PCF
20 mars 1983
Là où les listes étaient en concurrence, les résultats globaux de l’extrême gauche sont plus élevés, et l’on remarque que LO-LCR font presque toujours des scores plus élevés que le PCI [le PT actuel, NPNF].
En analysant les résultats par circonscription, on constate des fourchettes de 1 à 6% pour les listes « Voix des travailleurs », et l’on remarque surtout que c’est dans les villes et quartiers ouvriers que l’extrême gauche réalise ses meilleurs résultats : 3,40% à Saint-Denis, 3,5% à Saint-Ouen, 4,70% à Bobigny contre 1% en moyenne à Paris, 6% dans les quartiers ouvriers de Lille (selon Rouge du 11 mars) et 6,8% à Cenon, dans la banlieue de Bordeaux.
On est loin cependant des pourcentages obtenus aux municipales de 1977 où les listes LO-LCR-OCI avaient recueilli 3,78% des voix en moyenne et atteignirent des scores miracles de 9,50% à Saint-Ouen et 12% à Orléans.
Un maintien relatif de l’extrême gauche
Ces résultats ne signifiaient nullement que l’extrême gauche avait réussi une percée, et on ne saurait donc tirer la conclusion, du moins en analysant les élections, qu’elle serait aujourd’hui en perte de vitesse.
Les quatre scrutins qui ont eu lieu de 1978 à 1981 le montrent bien : l’extrême gauche a fait 1,70% aux législatives de 1978, 3,08% aux européennes de 1979, 2,30% aux présidentielles de 1981, et seulement 1,11% aux législatives qui ont suivi.
Les chiffres suffisent à montrer que, s’il existe un électorat d’extrême gauche, celui-ci, depuis 10 ans, reste très minoritaire et que sa fidélité n’est pas absolue.
L’extrême gauche s’est donc maintenue et c’est déjà un point notable, compte tenu du recul général de la gauche qui atteste que des dizaines de milliers de travailleurs ont ainsi voulu exprimer leur défiance à l’égard du gouvernement et des partis de gauche. Cela vaut aussi bien pour le PCI, en dépit de sa campagne racoleuse « Respectez le mandat » que pour les listes LO-LCR.
Mais cette défiance, ce mécontentement, il est clair qu’une bien plus grande partie des travailleurs les ont exprimés par l’abstention au premier tour, en particulier dans les villes de gauche, et dans les quartiers ouvriers.
L’extrême gauche englobée dans le discrédit de la gauche
Une bonne partie des abstentionnistes ne donnaient sans doute pas une grande signification politique à leur grève du vote, et beaucoup n’y voyaient pas le sens d’un avertissement. Ils exprimaient ainsi, simplement, leur déception, leur écœurement, devant la politique de la gauche. Et l’on peut penser que nombre de ces abstentionnistes ouvriers n’ont pas fait la différence, n’ont pas fait le détail, entre la gauche et l’extrême gauche.
D’une part, parce que leur démoralisation les a conduits à rejeter temporairement les élections, desquelles ils n’espéraient plus aucun changement. D’autre part, pour une minorité d’entre eux, parce que l’extrême gauche ne leur apparaissait pas si différente des partis de gauche. Au meeting du vendredi 11 mars, Arlette Laguiller reconnaissait que, dans les entreprises, les militants de Lutte ouvrière entendaient souvent cette réflexion : « Oui, mais vous aussi, vous avez fait voter Mitterrand. » En effet, mais cela n’est encore rien. Depuis des années, l’extrême gauche, avec des nuances selon les groupes, a expliqué aux travailleurs que la gauche au pouvoir représentait un progrès, voire une étape obligée, pour la lutte ouvrière, le succès des revendications. Pendant des mois après l’installation du gouvernement Mitterrand, ils lui ont apporté un soutien critique, fait croire que c’étaient le patronat et la droite qui empêchaient la gauche de mener sa politique.
Durant cette dernière campagne, on a pu voir le PCI retirer ses listes dès que la gauche s’engagea à défendre l’Ecole laïque, et oublier, entre les deux tours, sa campagne gadget contre les candidats bourgeois de la gauche.
On a pu voir la LCR se mobiliser une fois de plus pour « battre la droite ». Quant à LO, si elle a justement prôné l’abstention, elle s’est gardée de trop en parler, et elle a d’ailleurs montré l’importance secondaire qu’elle y attachait en s’alliant malgré tout à la LCR. Cette insuffisante démarcation entre l’extrême gauche trotskyste et la gauche lui a sans doute fait perdre le bénéfice de dizaines de milliers de voix de travailleurs. Mais ce n’est pas le plus important, parce que ce n’est pas sur le terrain électoral que se gagnent ou se perdent les combats.
Ce qui permettra aux révolutionnaires de proposer une véritable solution alternative et de gagner à eux une fraction de la classe ouvrière, c’est de mettre en avant une politique de classe indépendante et la nécessité d’une lutte intransigeante contre le gouvernement et le patronat, sans compromis sur les partis de gauche.
Combat communiste, 20 mars 1983
Lutte ouvrière et la crise
Janvier 1986
Le dernier Cercle Léon Trotsky, organisé par Lutte ouvrière, était consacré à la crise du capitalisme. L’exposé présenté par l’orateur de LO, comme le court « débat » qui a suivi, a confirmé les glissements de plus en plus nets de cette organisation vers des positions réformistes plus ou moins honteuses qui ressortent plus nettement encore dans la campagne d’affiches lancée par LO, et dans la presse de cette organisation.
La spéculation est-elle la cause
et l’aspect principal de la crise ?
Ce qui ressortait avant tout de l’exposé du cercle Léon Trotsky, c’est que les capitalistes préfèrent de plus en plus faire fructifier leurs capitaux par la spéculation, plutôt que de les investir dans la production et créer ainsi des emplois, que le capitalisme devient de plus en plus parasitaire, et qu’il s’agit là de l’aspect fondamental, ou au moins d’un des aspects fondamentaux, de la crise que nous vivons actuellement.
Au cas où les camarades de LO nous reprocheraient de mal interpréter l’exposé - fort long - de leur réunion, ils peuvent se reporter, par exemple, aux numéros 914 et 916 de leur hebdo, et surtout aux slogans de leurs affiches.
« Quand les capitalistes spéculent au lieu d’investir, c’est la belle vie pour les capitalistes », dit par exemple un de ces slogans.
Que des capitalistes, par un simple coup de télex, puissent gagner des sommes fabuleuses en spéculant par exemple sur les cours des monnaies, notamment parce qu’ils sont bien placés pour être au courant à l’avance d’une dévaluation ou d’une réévaluation, est certes caractéristique de l’aberration du système dans lequel nous vivons ; et les révolutionnaires n’ont pas à se priver de faire de l’agitation sur ce thème, pour montrer comment se comportent ces possédants qui nous demandent de nous serrer la ceinture. Mais, d’une part, ce phénomène n’a rien de nouveau : la spéculation sur les « eurodollars » a défrayé la chronique pendant les années 60-70 ; d’autre part, mettre l’accent sur la spéculation, c’est voir la crise économique du capitalisme par le petit bout de la lorgnette.
Les investissements des capitalistes et de leurs États pour restructurer leurs industries sont gigantesques - et cela n’a strictement aucun sens d’opposer, comme le fait LO, les investissements des États à ceux des capitalistes privés individuels. Les États ne sont eux-mêmes que les plus grosses entreprises capitalistes, et les gérants des capitaux appartiennent collectivement à la classe dominante, que celle-ci soit composée de capitalistes privés ou de bureaucrates.
En période de crise, il est parfaitement naturel que l’investissement d’État prenne le relais de l’investissement privé, car chaque capitaliste individuel ne voit que son intérêt particulier, alors que l’État agit dans l’intérêt de l’ensemble de la classe capitaliste, ou du moins dans celui de ses fractions déterminantes.
Le problème est que le plus souvent ces investissements productifs, d’État ou privés, ne créent pas d’emplois, mais visent au contraire à en supprimer ! C’est le cas par exemple des énormes investissements qui ont été faits pour robotiser l’industrie automobile, et dont Ford et General Motors ont donné le signal du départ aux États-Unis, bientôt suivis par Fiat, puis par Peugeot, Renault et Cie.
Les investissements stagnent
mais c’est leur effet sur l’économie qui diminue
Si nous prenons les chiffres fournis par l’OCDE (1), ils montrent que l’investissement se maintient, contrairement à ce qu’affirme LO : pour les sept grands États de l’OCDE, les investissements ont représenté 19,9% du PIB (Produit intérieur brut) en 1984, contre 19,5% en 1983, 22,4% en 1974, 21,3% en 1970, et 20,9% en 1965.
Par contre, l’efficacité de l’investissement, c’est-à-dire la croissance de la production par rapport à l’investissement, s’est véritablement effondrée.
Cette efficacité mesurée par un nombre (1), est passé aux États-Unis de 20,9% en 1961-1973 à 10,2% en 1980-84, et en France de 24,9% en 1961-73 à 5,4% en 1980-84 !
Selon d’autres chiffres de la même source, l’investissement en Europe, en valeur réelle, représente en 1986 20% de plus qu’en 1970, alors que l’emploi stagne au même niveau.
Un autre exemple est significatif (2). Grâce aux multiples cadeaux fiscaux accordés aux patrons et autres incitations à investir, décidés par le gouvernement à la mi-1983, les investissements des entreprises ont augmenté de 2,5% dans la période qui a suivi ces mesures, et les investissements industriels de 10% en France ! Ce qui n’a pas empêché, au cours de la même période, le chômage d’augmenter d’environ deux cent cinquante mille personnes.
Les investissements industriels ont tout simplement accéléré les restructurations et les licenciements !
À la limite, en raisonnant superficiellement comme LO, il vaudrait encore mieux que les capitalistes s’amusent avec leurs coupons, leurs télex, accumulent des capitaux gigantesques par la spéculation, plutôt que d’investir car, lorsqu’ils spéculent, ils ne restructurent pas l’industrie et ne suppriment pas d’emplois ! L’absurdité de cette conclusion montre bien que le mode de raisonnement de LO est erroné !
En fait, l’accélération de la spéculation n’est qu’un symptôme de la crise. Quand l’économie s’effondre, les détenteurs de capitaux spéculent, cherchent des valeurs refuges : or, biens immobiliers, terres, œuvres d’art, etc., pour protéger leur « patrimoine » accumulé grâce à l’exploitation des travailleurs. Ce sont des phénomènes qu’on observe couramment lorsqu’un État, un régime, s’effondre, à l’échelle d’un pays, comme au Vietnam après le départ des Américains, au moment de la chute de Tchang Kaï Chek, etc. Mais il serait tout à fait faux de croire qu’aujourd’hui la classe capitaliste mondiale en est réduite à ces extrémités !
Cette fuite, cette renonciation à continuer à investir dans la production contribuent à aggraver la crise ; dans certaines circonstances, comme le fameux krach de 1929, la spéculation peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, mais elle n’est jamais la cause fondamentale d’une crise économique. La façon de LO de considérer la crise équivaut à la méthode d’un historien qui prétendrait que l’assassinat de l’archiduc d’Autriche par un terroriste serbe à Sarajevo est la cause de 1914-18 ! Pour comprendre véritablement un phénomène, il est nécessaire de distinguer ses causes profondes, fondamentales, de ses causes apparentes, immédiates, superficielles.
Une conception superficielle et fausse du capitalisme
À en croire donc la propagande de LO, la cause fondamentale de la crise serait à rechercher dans la rapacité, l’âpreté au gain de ces capitalistes individuels, qui préfèrent remplir leurs coffres en spéculant et en vidant les usines de leurs travailleurs. Et, par conséquent, on pourrait en venir à bout... en obligeant ces capitalistes parasites à jouer leur rôle de capitalistes productifs. Ainsi, un autre slogan de LO dit : « Si l’État contrôlait aussi bien les revenus des riches que ceux des pauvres, on trouverait de l’argent pour investir et créer des emplois. » Et un autre encore : « Des capitaux, il y en a, puisque la Bourse fait des profits. »
Il suffirait donc d’un « État fort » pour utiliser les capitaux dans l’intérêt général. Ainsi pourrait se réaliser ce que LO revendique également sur ses affiches : « Les entreprises doivent vivre, mais les travailleurs aussi. » Et : « Les entreprises doivent vivre, mais réduisons la part des patrons. »
Ce que LO propose là, c’est tout simplement un capitalisme bien géré, sous le contrôle de l’État, avec une sorte de partage des sacrifices entre toutes les classes. Quel autre sens peut avoir le « réduisons la part des patrons » ?
C’est tout simplement une utopie réformiste vieille comme le capitalisme. Et cette utopie est étroitement liée à la conception trotskyste du capitalisme, qui se limite à la propriété individuelle des moyens de production, source de tous les maux. Il suffirait donc de domestiquer, de discipliner, cette propriété individuelle, en l’obligeant à investir dans l’intérêt général, pour mettre fin à la crise. On notera au passage que LO évoque relativement rarement la crise qui frappe les pays de capitalisme d’État - URSS, États de l’Est, etc. -, et, quand elle le fait, c’est généralement pour ne voir dans la crise qu’une contagion de la crise qui touche les pays de capitalisme privé traditionnel, et une conséquence de la « mauvaise gestion bureaucratique », du « gaspillage » des bureaucrates au pouvoir.
Les causes profondes de la crise :
la nature même du capitalisme
Si la spéculation n’est pas, selon vous, la cause profonde de la crise, diront les camarades de LO, quelle est donc cette cause ?
Les causes de la crise sont à rechercher dans la nature même du système capitaliste, dans ses contradictions fondamentales, insolubles : contradiction entre le capital (privé ou d’État) et le salariat, entre la valeur d’échange et la valeur d’usage des marchandises produites, qui aboutit à la contradiction entre les capacités de production de la société et les capacités du marché d’absorber cette production, c’est-à-dire à la surproduction, etc.
Ces contradictions, certes, ne suffisent pas à expliquer pourquoi le capitalisme est prospère à tel moment, et entre en crise à tel autre. Chaque crise a, bien entendu, son histoire particulière. Il est important pour les marxistes révolutionnaires de comprendre l’histoire particulière de la crise actuelle, ses particularités par rapport aux crises précédentes (ce que n’essaie pas du tout de faire LO), mais la méthode qui consiste à chercher une [seule] cause, ou à privilégier une [seule] cause, est tout à fait erronée.
Les différentes causes de chaque crise particulière s’enchevêtrent de façon très complexe : aux causes économiques proprement dites se mêlent les causes politiques, historiques, psychologiques. La cause immédiate qui va faire déborder le vase n’a qu’un intérêt très secondaire, et elle peut même détourner l’attention des révolutionnaires et des travailleurs des causes fondamentales.
Ici, les camarades de LO vont nous dire : « Nous savons tout ça, toutes vos remarques ne sont que de la criticaillerie. ». Peut-être les camarades de LO savent-ils tout cela en effet, quoiqu’on puisse se demander s’ils n’ont pas tendance à l’oublier quand ils collent des affiches telles que celles citées plus haut ! Mais, comme l’a souligné un militant de Combat communiste au cercle Léon Trotsky, ce qui compte, lorsqu’on fait de la propagande, ce n’est pas ce qu’on a soi-même dans la tête, mais ce que comprennent les travailleurs auxquels s’adresse cette propagande.
Et ce que les révolutionnaires doivent faire passer dans leur propagande, c’est qu’il n’existe pas de moyens de replâtrer le capitalisme, que le problème n’est pas de savoir comment doivent être investis les capitaux, mais de détruire le capitalisme, de produire des valeurs d’usage en fonction des besoins humains, et non des marchandises en fonction du profit et de la santé des entreprises qui, selon LO, « doivent vivre ».
Ce qui doit ressortir, ce n’est pas tant le fait que les capitalistes s’engraissent en spéculant, ce que tout le monde sait aujourd’hui, mais que ces capitalistes et leurs États, même lorsqu’ils investissent de cette façon « productive » chère à LO, sont dans l’impossibilité de résoudre la crise ; et que, par conséquent, il ne suffirait pas du tout de « contrôler leurs revenus pour trouver du capital et créer des emplois », comme le propose aussi LO.
La propagande révolutionnaire ne doit faire aucune concession aux idéologies bourgeoises, et l’idéologie de l’entreprise « qui doit vivre » en est une. Les entreprises qui produisent des Mirage 2000, des bombes à billes ou nucléaires, du Zyklon B, des Rolls-Royce, etc., doivent-elles vivre, camarades ?
À ces critiques, les camarades de LO opposent généralement un souverain mépris, considérant qu’il ne s’agit que d’une pure exégèse de texte, de procès d’intention. L’essentiel est pour eux de parler un langage simple, accessible aux travailleurs, peu importe à la limite que ce qu’on raconte soit tout à fait juste ou non...
Alors, parler de la crise en langage simple, sans employer de clichés, en rompant avec la « langue de bois », entièrement d’accord. Mais s’incliner devant les préjugés et les illusions réformistes, réelles ou supposées, des travailleurs et des militants de gauche, dans l’espoir de gagner plus vite davantage d’audience, NON !
Notes
1. Perspectives économiques, 1985. 2. 3. « Les politiques économiques », Cahiers de la Documentation française. 4. QUAND LUTTE OUVRIERE ET L’HUMANITE
TIENNENT LE MEME LANGAGE...
Il est significatif de noter que les arguments de LO sont rigoureusement les mêmes que ceux du PCF. Ainsi, L’Humanité du 21/12/1985 écrit : « Les ressources pour investir sont là, mais elles sont largement gâchées. Placements financiers, rachats, sorties de capitaux détournent ces richesses vers l’accumulation financière. (...) L’argent qui devrait servir à moderniser l’appareil productif est détourné par le marché financier au bénéfice des fortunes. » Et le rédacteur de L’Humanité de déplorer les prévisions par l’INSEE d’une légère baisse des investissements en 1986...
Même conception d’une « bonne » et d’une mauvaise utilisation de « l’argent », d’une bonne ou d’une mauvaise gestion du capital.
Combat communiste n° 109, janvier 1986
Mars 1986
La campagne de l’extrême gauche
Où sont passées les idées révolutionnaires ?
Trois mouvements trotskystes ont présenté des listes à ces élections :
Le Mouvement pour un parti des travailleurs (MPPT),
La Ligue communiste révolutionnaire,
et Lutte ouvrière.
Le MPPT : démocratie et laïcité
Le MPPT est la dernière organisation large inspirée par le Parti communiste internationaliste - PCI, ex-OCI. Le journal du PCI, Informations Ouvrières, est d’ailleurs devenu l’organe du MPPT. Les affirmations d’indépendance du MPPT par rapport au PCI ne peuvent donc guère être prises au sérieux.
Grâce au MPPT, le PCI a réussi à récupérer quelques responsables et notabilités locales de gauche, du PCF et du PS, surtout du PS, car l’essentiel de la campagne du PCI est faite en direction du PS.
Les points de référence du MPPT, publiés dans Informations Ouvrières, suffisent pour se faire une idée de sa nature, et de la nature de la campagne électorale du PCI qui est derrière. Ils se résument ainsi :
« Reconnaissance de la lutte de classe. » (Mais pas de la nécessité de renverser la classe bourgeoise et son Etat pour instituer le pouvoir de la classe ouvrière.)
« Laïcité. » (C’est le grand cheval de bataille du PCI qui a été jusqu’à s’allier dans certaines circonstances à des notables laïcs notoirement anticommunistes.)
« Abrogation de la Constitution gaulliste de 1958, et instauration d’une démocratie contrôlée par le peuple. » (Ce sont là des positions purement démocratiques, sans aucun caractère de classe.)
On chercherait donc vainement dans le programme du MPPT la moindre référence à la classe ouvrière, à la révolution socialiste, au communisme, à l’internationalisme...
La LCR : alliance floue tous azimuts
et suivisme par rapport à la gauche
La LCR s’est efforcée de mettre sur pieds une alliance large, avec des forces allant des « Verts » - dénomination des écologistes - au PSU. Elle contribue donc à redorer le blason de gens qui ne défendent en aucune façon les intérêts des travailleurs, et qui ne représentent plus grand-chose aujourd’hui.
Le PSU, par exemple, aujourd’hui exsangue, n’a servi que de tremplin à toutes sortes d’arrivistes, dont le plus fameux est Michel Rocard, et la dernière en date Huguette Bouchardeau. Il n’a jamais dénoncé clairement la participation de Bouchardeau au gouvernement. Au point que c’est cette dernière qui a fini par le quitter, pour obtenir un mini-strapontin au PS. La LCR ne fera donc qu’aider les successeurs de Bouchardeau à obtenir, eux aussi, un jour une petite place, à supposer qu’il en reste pour eux.
La LCR n’a pas hésité à faire le charme le plus éhonté à toutes sortes de groupes, des autonomistes bretons ou occitans aux viticulteurs hostiles au Marché commun, etc.
Bien sûr, c’est par tactique que la LCR s’est lancée dans cette alliance. Mais quel sens a une tactique en direction de gens qui ne représentent rien, n’ont aucune influence parmi les travailleurs ? Qui la LCR espère-t-elle récupérer ainsi ?
Le second volet de la politique de la LCR est son appel à voter pour la gauche - PS comme PCF - là où elle n’est pas présente. Et elle accorde ainsi sa caution à un parti bourgeois au pouvoir, au moment où celui-ci vient de se déconsidérer parmi les travailleurs, au moment où le PS met à profit ses derniers jours au gouvernement pour faire passer une loi anti-ouvrière, la loi sur la flexibilité...
Enfin, la LCR continue à demander à la gauche de mener une autre politique, et affirme que ce qui manque, « c’est une volonté politique de répondre aux espoirs du 10 mai en s’attaquant au pouvoir du Capital », comme si un gouvernement de gauche, élu dans le cadre des institutions bourgeoises, pouvait avoir cette volonté et la possibilité de la mettre en pratique dans le cadre du système... La LCR, dans un tract national, donne aux électeurs une raison de voter pour elle : « Dire aux dirigeants du PS et du PCF (...) ce que nous voulons, c’est une politique qui satisfasse nos revendications et nos aspirations, et qui s’appuie sur la mobilisation unitaire de tous les travailleurs ». Autrement dit, votez pour nous afin de faire pression sur la gauche.
L’opportunisme et le suivisme indécrottables de la LCR par rapport à la gauche se vérifient une fois de plus.
Lutte ouvrière : opportunisme et électoralisme
Dans le précédent numéro de Combat communiste, nous avons déjà largement critiqué la campagne d’affiches de Lutte ouvrière, nous ne reviendrons pas en détail sur cette question.
Notons que, depuis, la pression du « vote utile » sur LO s’est fait sentir. Ainsi, cette organisation s’est sentie obligée de répéter qu’un « député d’extrême gauche serait aussi utile qu’un député de gauche » et de parler (en titre de son journal) du « peu de bien du gouvernement de gauche ».
Bien que le système électoral, qui défavorise les petites formations, ne lui laisse strictement aucune chance d’avoir un élu, LO ne renonce donc pas à faire campagne pour se faire élire - on se souvient de la fameuse campagne « Il faut un député LO » - au cours de laquelle LO expliquait en long et en large combien la présence d’un de ses militants à l’Assemblée nationale serait utile pour les travailleurs. Beaucoup de camarades de LO y croyaient d’ailleurs dur comme fer...
LO, au lieu de mettre la campagne électorale à profit pour défendre les idées révolutionnaires, internationalistes, continue donc à délayer son programme dans l’espoir d’avoir des voix.
D’ordinaire, LO souligne la nécessité de définir des axes dans une campagne électorale, de donner aux électeurs des raisons de voter pour elle. Cette fois, ces axes n’apparaissent pas clairement, pas davantage que les raisons de voter LO. Ce n’est pas pour autant que la campagne de propagande est plus claire : sur beaucoup de points elle se distingue à peine de celle du PCF.
Au cours du meeting parisien de LO, on a pu ainsi encore entendre Arlette Laguiller déclarer : « une autre idée de gauche que le gouvernement a complètement vidée de sens est celle des nationalisations ». « La seule nationalisation qui vaille la peine, c’est la nationalisation sans indemnités ni rachat », ajoute Arlette Laguiller (Discours reproduit dans Lutte ouvrière n° 926.)
A aucun moment, LO n’explique que la nature d’une nationalisation dépend de la nature de l’État qui la réalise, que même sans indemnités, une nationalisation réalisée par un État bourgeois n’a aucun caractère « socialiste » en elle-même. Quand les travailleurs ne sont pas au pouvoir, peu leur importe que le capital soit aux mains de bourgeois privés ou de l’État ! LO capitule donc ainsi elle-même devant une vieille idée « de gauche ». « De gauche » peut-être, mais pas révolutionnaire ni communiste ! L’ambiguïté de ces fameuses idées « de gauche », c’est justement de toujours rester floues sur la nécessité de la révolution socialiste, de la destruction de l’État bourgeois, de la mise en place du pouvoir ouvrier comme préalable à toute transformation à caractère socialiste. LO se place ainsi sur le même terrain que la LCR en réclamant à l’Etat bourgeois et aux partis de gauche de prendre des mesures anticapitalistes, ou en leur reprochant de ne pas les avoir prises, ce qui revient à peu de chose près au même.
Visiblement, le désir de LO est de ratisser large, en tenant un langage qui ne heurte pas trop les électeurs et militants des partis de gauche. En agissant ainsi, elle commet une double erreur : d’une part, elle ne récoltera pas davantage de voix pour autant, car les électeurs de gauche préfèrent voter « utile » ou plus exactement ce qui leur semble utile. D’autre part, elle se prive de la possibilité de faire réfléchir ces mêmes militants et sympathisants de gauche, et surtout d’attirer vers elle les plus révoltés par la politique de la gauche.
Dans les conditions actuelles, l’abstention ne peut certes pas être considérée comme une preuve de conscience de classe parmi les travailleurs, mais ce n’est sans doute pas un hasard si les plus écœurés, les plus révoltés, ne se reconnaissent pas du tout dans l’extrême gauche, et préfèrent se réfugier dans l’abstention.
Ce qui pourrait en effet toucher les travailleurs dégoûtés par la politique de la gauche, c’est un langage complètement différent. Ce langage, aucune organisation d’extrême gauche ne l’a tenu.
Le rôle d’une véritable organisation révolutionnaire aurait été de mener une campagne révolutionnaire, une campagne de propagande communiste internationaliste :
En expliquant le caractère de duperie des élections et de la démocratie bourgeoise, et non en recherchant une façon originale de proposer un « vote utile ».
En expliquant le caractère inéluctable de la crise du capitalisme, et non en la présentant comme le résultat d’une « mauvaise politique », d’un gouvernement « faible », « capitulant devant le patronat », etc.
En tenant un langage internationaliste sans compromis, en insistant sur le caractère international de la crise, en dénonçant toute la propagande bourgeoise nationaliste sur la « compétitivité », la guerre économique, en attaquant l’idéologie de l’entreprise - et non en se plaçant sur son terrain comme LO avec ses slogans sur les « entreprises prospères ».
En insistant sur la nécessité de l’unité des travailleurs français et immigrés, en n’hésitant pas à s’adresser aux travailleurs immigrés qui ne votent pas, en menant campagne pour le droit de vote des immigrés, contre le contrôle de l’immigration, pour l’égalité complète des droits politiques et syndicaux de tous les travailleurs.
En expliquant la nécessité de la lutte et de l’organisation, même s’il ne s’agit aujourd’hui que d’une pure propagande.
La nécessité de la révolution socialiste, comme seule alternative à la crise - et la révolution, même si elle n’est pas à l’ordre du jour immédiat, les groupes d’extrême gauche n’en parlent plus que... les jours de fête, et encore !
Il est clair que l’ensemble de l’extrême gauche subit la pression du recul actuel des luttes, la pression du retour en force de l’idéologie bourgeoise ; de sorte que le langage tenu par ces diverses organisations, malgré leurs différences - et nous ne les mettons pas toutes dans le même panier - apparaît davantage comme celui de démocrates radicaux et populistes, faisant de la surenchère avec la gauche officielle, que comme celui de révolutionnaires proposant une solution alternative globale à la société capitaliste et visant à abattre celle-ci.
Combat communiste n° 110, mars 1986
Lutte ouvrière et les élections
Juin-juillet 1988
Avec 1,99% des suffrages exprimés, la candidature d’Arlette Laguiller présentée par Lutte ouvrière n’a pas réussi à faire davantage que lors des précédentes élections. Elle perd même 0,3% par rapport à 1981 et 1974. Et ceci alors que le Parti communiste a, lui, perdu les deux tiers de ses électeurs depuis dix ans. C’est dire si la candidature d’Arlette Laguiller n’a pas réussi à regrouper sur son nom une petite fraction significative de l’électorat ouvrier du Parti communiste. Lutte ouvrière souhaitait faire effectuer un geste aux travailleurs. Ceux-ci ne l’ont pas fait.
Il faut reconnaître que, si le Parti communiste est passé de plus de 20% à 6,8%, c’est sur sa droite, au profit du Parti socialiste et de Mitterrand. Et c’est d’ailleurs ce mouvement de toute la société vers la droite auquel nous assistons depuis plusieurs années. La montée électorale du Front national de Le Pen en est une autre illustration.
Mais, ou bien l’électorat d’Arlette Laguiller lui est fidèle d’une élection à l’autre, ou bien, malgré un déplacement d’une partie de son électorat vers la droite, elle a tout de même eu des voix d’électeurs communistes. Dans les entreprises, sa candidature n’est pas passée inaperçue ; bon nombre de travailleurs en parlaient, et bien des ouvriers proches du Parti communiste. Il est difficile de savoir pour qui ces travailleurs ont voté, une fois dans l’isoloir. Il reste que, contrairement au Parti communiste, Arlette Laguiller a globalement réussi à maintenir son audience, si faible soit-elle.
Dans son adresse, après le premier tour, Lutte ouvrière explique que le maintien de son audience électorale montre peut-être quelle politique aurait dû avoir le Parti communiste pour ne pas voir chuter son nombre de suffrages : « une politique plus proche de la nôtre ». Ainsi, Lutte ouvrière explique son influence dans les urnes par sa politique, et le maintien de son audience par celle-ci. Cette analyse est contestable, et on peut légitimement poser la question de cette politique. Dans sa revue Lutte de classe, Lutte ouvrière montre qu’elle base sa campagne sur une radicalisation de la classe ouvrière, et ce même si celle-ci a lieu après les élections. Elle demande aux travailleurs de faire un geste qui leur soit propre.
De ce point de vue, on ne peut parler de succès. Les travailleurs ne l’ont pas suivie. Un sondage repris par Lutte ouvrière ne lui attribue que 4% du vote ouvrier dans ces élections.
Permettre aux travailleurs de faire un geste ?
Les campagnes électorales de Lutte ouvrière ont toujours eu pour justification le « geste » des travailleurs. Mais, depuis 1974, voici 14 ans, une fraction notable de la classe ouvrière n’y est jamais venue. Par contre, Lutte ouvrière, en période électorale, n’a jamais voulu faire le choix d’une propagande révolutionnaire pour un changement de société.
Dans la campagne qui vient de se dérouler, Lutte ouvrière s’est contentée de choisir l’axe de la lutte pour un SMIC à 6000 francs, l’augmentation des salaires grâce à une lutte d’ensemble de la classe ouvrière. Les travailleurs savent que leur salaire baisse, que les profits des entreprises se rétablissent, et il n’est nul besoin d’être révolutionnaire pour le dire. Le PCF, lui aussi, ne parlait que de la lutte pour le SMIC à 6000 francs, que la CGT a d’ailleurs proposée la première.
Bien sûr, le PCF ne tenait pas ce langage de 1981 à 1984 quand il était au gouvernement. Bien sûr, les dirigeants du Parti communiste ne veulent pas parler d’un troisième tour social, et Marchais n’a pas manqué de s’en démarquer au soir du premier tour. En réalité, ce qui retient la classe ouvrière d’entrer en lutte ce n’est pas principalement que le PCF ne veuille pas d’une grève générale. Les travailleurs pourraient très bien engager une telle lutte sans, et compris contre, le PCF, s’ils le voulaient vraiment. Non ce qui retient les travailleurs d’entrer massivement en lutte, c’est la peur du chômage ; ils pensent aussi, que par la lutte pour les salaires ils risquent de mettre en difficulté leur entreprise, voire l’économie tout entière. De ce point de vue, on peut dire que la classe ouvrière a largement accepté l’idée selon laquelle il valait mieux se serrer la ceinture que de se retrouver au chômage parce que l’entreprise ne fait plus de profit, ou pas suffisamment au goût des patrons qui préfèrent alors placer leur argent ailleurs. C’est ce que peut traduire le vote pour Mitterrand. Les travailleurs n’en espèrent même pas un changement, ils craignent seulement que la droite soit pire.
L’état d’esprit dans la classe ouvrière
La grève à la SNCF est due en partie au fait que cette entreprise est relativement protégée du chômage. Aujourd’hui, des mouvements de grève se sont déclenchés à Chausson, à la SNECMA, à Michelin. Mais si des entreprises font de gros profits, combien en font beaucoup moins ? Et en disant, comme le fait Lutte ouvrière, qu’il faut lutter parce que les entreprises font des bénéfices, que pourra-t-on expliquer si, d’ici quelques mois, l’économie s’effondre, et que les faillites s’enchaînent... ?
Malgré un mécontentement certain dans la classe ouvrière, celle-ci accepte le discours tenu par la bourgeoisie et que le PS a fait sien, en mettant sa démagogie sur le « changement » dans sa poche. Selon le credo actuellement à la mode, il n’y aurait pas d’autres choix que d’accepter les baisses de salaires pour que les entreprises soient compétitives. C’est ce langage que tient aussi le PCF d’une certaine façon avec « Produisons français » ; c’est cette politique qu’il a cautionnée par sa participation au gouvernement jusqu’en 1984. Et si les patrons peuvent remercier la gauche, c’est bien de ce point de vue.
La conséquence de cette politique, de ce matraquage idéologique - conjugué au chômage - est le recul du sentiment chez les ouvriers d’appartenir à une classe. Et ceci ne disparaîtra pas si les révolutionnaires ne répètent pas inlassablement qu’il ne peut y avoir de bonne gestion du capitalisme pour les travailleurs, c’est-à-dire s’ils n’essayent pas de s’attaquer aux illusions réformistes de la classe ouvrière. LO répond qu’un tel discours n’est pas crédible aux yeux des travailleurs. Ce langage n’est peut-être pas crédible pour la majeure partie des travailleurs. Mais pas plus que le « vote LO » ! LO semble oublier que les révolutionnaires ne seront crédibles pour la majorité des travailleurs que lors d’une situation révolutionnaire, et seulement peu de temps avant que la révolution ouvrière ne soit possible.
Pour avoir aujourd’hui l’oreille des travailleurs, ne faut-il pas se placer sur le terrain d’une gestion du capitalisme ? Et quand LO dénonce le fait que les patrons ne veulent pas investir pour créer des emplois, et élargir la production, les travailleurs doivent-ils comprendre que le programme de Lutte ouvrière est celui-là ? LO ne parle même pas d’un changement quelconque.
Combattre les illusions
Les illusions des travailleurs sur une bonne gestion du capitalisme, ou même sur son bon fonctionnement, doivent être combattues. Car ce sont non seulement les besoins des travailleurs qui les font entrer en lutte pour leurs intérêts, mais aussi la compréhension du fait qu’il ne faut rien attendre du bon fonctionnement du système lui-même. Participer à établir ce point de vue, mais aussi se démarquer de ceux, nombreux, qui veulent gérer le système. Dire, comme LO, que le PCF aurait dû mener une politique proche de la sienne, c’est laisser croire que les dirigeants de ce parti pourraient changer de politique ; il est vrai que, sur cette campagne, il était parfois difficile de distinguer l’une et l’autre.
Il y a bien sûr d’autres aspects critiquables dans la campagne de LO, l’électoralisme, le fait de ne pas s’adresser aux travailleurs immigrés (ils ne votent pas), de ne pas réclamer l’égalité des droits. LO a même expliqué que le problème du droit de vote aux immigrés ne valait pas la peine d’être abordé !
Combat communiste n° 121, juin-juillet 1988
Elections : on prend les mêmes, et on recommence (extraits)
Juin-juillet 1988
Quel bilan les révolutionnaires peuvent-ils tirer des élections présidentielles ? Les élections ne sont qu’une sorte de baromètre de la situation politique. Elles ne nous donnent que des indications sur l’état d’esprit de la population des diverses classes sociales qui la composent, et des indications seulement - il ne s’agit pas d’un tableau exact, car toutes sortes d’éléments entrent en jeu et contribuent à déformer l’image que les élections nous donnent de la société. Par exemple, il serait erroné de penser que la majorité des travailleurs et des couches modestes de la population est acquise à la politique d’austérité, parce que ses voix se sont portées sur Mitterrand.
L’extrême médiatisation des élections, leur caractère de spectacle, de « match » entre des personnalités plutôt que de lutte d’idées et de programmes contribuent à déformer leurs résultats : les « grands » candidats bénéficient d’une prime considérable. Rappelons également qu’une des fractions les plus exploitées de la classe ouvrière ne bénéficie pas du droit de vote : les travailleurs immigrés.
Ces réserves faites, les points marquants de ces élections sont
la montée de Le Pen (...)
le nouveau recul du PCF (...)
le score de l’extrême gauche :
Aucune fraction significative d’électeurs du PCF n’a choisi pour autant le vote Laguiller. Une très faible fraction a voté, semble-t-il, pour Pierre Juquin [ex-stalinien devenu réformard bon teint et soutenu par la LCR aux présidentielles de 1988, Ni patrie ni frontières] : celui-ci réalise souvent des scores de 4 à 5% dans les ex-fiefs du PCF. Un vote qui peut difficilement être interprété comme une critique « de gauche » du PCF, vu le caractère de la campagne de Juquin, qui a ratissé large, prenant la relève du PSU - ce qu’il reste du PSU a d’ailleurs soutenu Juquin.
Il apparaît donc que, si les électeurs de droite se sont radicalisés, ceux de gauche ont voté en majeure partie pour des candidats « modérés » et « réalistes ». La campagne anti-PS du PCF et son langage social relativement dur ne lui ont pas fait retrouver son électorat [André Lajoinie, candidat du PC, obtint un peu moins de 7% des voix à ces élections, NPNF]. Ce glissement général à droite est évidemment un phénomène négatif. (La proportion d’électeurs votant à gauche et à droite est restée sensiblement la même.) Les électeurs de gauche ne se sont prononcés qu’en faible proportion pour des candidats mettant en avant la nécessité de lutter - Lajoinie et Laguiller. Sans doute ni le PCF, ni même Lutte ouvrière n’ont-ils mené une campagne révolutionnaire en mettant en avant la nécessité d’un changement de société. La campagne d’Arlette Laguiller, pour dynamique qu’elle ait été, est demeurée sur un terrain très voisin de celui du PCF. Il est impossible d’affirmer qu’une campagne plus radicale lui aurait permis de rallier les suffrages de déshérités révoltés contre cette société ou de sympathisants du PCF écœurés, ni qu’une telle campagne lui aurait, au contraire, fait perdre des voix. Mais une campagne électorale, pour les révolutionnaires, doit avant tout servir à faire avancer des idées. La performance électorale n’est que secondaire.
A propos des résultats de Lutte ouvrière, on notera aussi que le pourcentage obtenu par sa candidate est presque égal sur l’ensemble du territoire. Contrairement à Juquin, Arlette ne réalise pas de score sensiblement plus élevé dans les banlieues ouvrières et les municipalités communistes que dans les campagnes reculées, ce qui semble indiquer que son électorat ne correspond pas à une influence acquise sur le terrain par l’action militante, mais à un vote diffus pour une candidate qui exprime des idées sympathiques... Tout au plus Arlette Laguiller est-elle créditée par les sondages de 4% de l’électorat ouvrier, ce qui est peu. Cela dit, l’influence de l’extrême gauche dans les luttes est supérieure à son score électoral, et le phénomène de « vote utile » joue certainement contre Laguiller, plus encore que contre Lajoinie. (...)
Combat communiste n° 121, juin-juillet 1988